Lors de son dernier grand oral de l’année 2013, Abdelilah Benkirane a lancé une bombe, laquelle a touché l’Istiqlal qui a violemment réagi.
Abdelilah Benkirane était, certes, dans tous ses états, mais avec ce sentiment de triompher. C’était lors de la séance mensuelle à la Chambre des représentants, face à une opposition qui avait promis de lui mener la vie dure. Or, c’était sans compter avec la force de frappe du chef de gouvernement qui, nous a confié un député du PJD, n’était pas disposé – et il l’a prouvé ce jour-là – à encaisser les coups de l’opposition sans se défendre.
Débat houleux
Après la première partie de sa prestation mensuelle au Parlement, pendant laquelle il a présenté, calme et serein, le bilan du programme Millénium Challenge Account, figurant à l’ordre du jour, l’on s’attendait à ce que le deuxième volet du débat sur un sujet aussi houleux que le dialogue social soit chaud et que, face à une opposition prompte à «agresser» le chef de la majorité, Benkirane peine à s’en tirer à bon compte.
Les mots qui fâchent
La députée istiqlalienne, Kenza El Ghali (opposition), par qui le feu s’est propagé à l’Hémicycle, a choisi -il faut le reconnaître- les mots qu’il fallait pour pareil embrasement et surtout pour mettre hors de lui le chef de gouvernement. Faute de temps suffisant pour tout déballer, l’istiqlalienne a économisé ses mots. Elle a commencé par ceux qui fâchaient en qualifiant de «maigre» le dialogue social et en distribuant des zéros à tous les chantiers du gouvernement, dont ceux de l’élargissement de la protection sociale, du régime des retraites, etc, avant de terminer par cette prière: «Que Dieu ait en Sa sainte miséricorde le dialogue social!».
L’opposition, on le sentait, avait pris la peine d’accorder au préalable ses violons et de tenir un même langage en accusant le gouvernement de Benkirane de porter atteinte au pouvoir d’achat des Marocains et de blanchir les responsables des fuites d’avoirs à l’étranger.
Kenza El Ghali a ainsi réussi à faire sortir Benkirane hors de ses gonds et à passer à l’attaque. Il a dégoupillé une «grenade» qu’il a lancée sur le groupe istiqlalien (de l’unité et de l’égalité), en accusant sans les nommer des Istiqlaliens ou Istiqlaliennes de posséder des appartements ou des comptes bancaires à l’étranger. Il s’est exprimé en ces termes: «S’il est un parti dont les responsables sont accusés de possession d’appartements en France (référence à l’affaire de l’Istiqlalienne Yasmina Baddou, ancienne ministre de la Santé, dont on avait dit qu’elle possédait deux luxueux appartements, »maijich yatbourad aliya »». Et d’ajouter, l’air triomphant et sous une salve d’applaudissements des députés de son parti (PJD): «Machi ghir achouqaq, il ne s’agit pas seulement d’appartements achetés. J’ai des informations concernant également les milliards déposés dans des banques étrangères».
Ces révélations eurent l’effet d’une bombe; un véritable clash qui mit hors d’eux les députés istiqlaliens qui réclamèrent au chef de gouvernement de dévoiler les noms et d’éclaircir ses accusations. Ce à quoi Benkirane opposa un niet catégorique.
Le député istiqlalienTchikitou n’a pas mâché ses mots et, s’adressant au chef de gouvernement, il lui a lancé: «Pourquoi est-ce que vous ne dévoilez pas le nom de ceux qui touchent de l’argent de l’étranger pour financer des œuvres de bienfaisance?».
En réponse, Benkirane a rappelé qu’il n’a dit à aucun moment qu’il poursuivrait ou punirait qui que ce soit. Il a rappelé les slogans des gouvernements précédents qui avaient promis de ne pas faire la chasse aux sorcières, avant de lancer cette boutade: « Mon parti (PJD) n’a pas d’agent à l’étranger. Walli dialna ala barra, Khoudouh (ce que nous possédons à l’étranger, vous pouvez le prendre)».
Benkirane savoure sa victoire
Fort de ce triomphe et d’avoir marqué des points sur le Parti de l’Istiqlal (à travers son nouveau leader, Hamid Chabat) qui ne l’a pas ménagé, Abdelilah Benkirane a savouré sa victoire, partagée avec son groupe. Et de revenir au sujet ayant mis le feu aux poudres, celui du dialogue social: «Il est indispensable pour assurer la paix sociale», a-t-il dit, rappelant que seul un syndicat (l’UGTM de Chabat) n’a pas pris le train du dialogue social qui a fait l’objet de plusieurs réunions depuis 2012. Benkirane a cependant avoué regretter que la main tendue du gouvernement aux centrales syndicales n’ait pas été «bien reçue» par les partenaires sociaux qui ont continué de bouder ce dialogue social.
L’Istiqlal réagit vite
La réaction de l’Istiqlal ne s’est pas faite attendre et s’est traduite par un communiqué du groupe istiqlalien à la Chambre des représentants. Celui-ci a appelé l’autorité judiciaire à «ouvrir une enquête dans l’immédiat pour élucider le dossier des fuites de capitaux» dont ils (les Istiqlaliens) ont été accusés par Abdelilah Benkirane sans que ce dernier apporte de preuves.
Le bras de fer Benkirane-opposition ne fait ainsi que commencer.
Mohammed Nafaa
…………………………………………………………….
Ce qu’a encore dit Benkirane
– «J’avoue que je ne comprends pas pourquoi le député USFP, Abdelhadi Khayrat, évoque avec fougue l’action syndicale. Je me dis: il est dans son élément, dans la logique de son parti. «Excusez-moi, Mr Khayrat, si vous n’avez pas encore eu l’occasion de faire la connaissance d’un chef de gouvernement qui avoue ne pas tout savoir, eh bien, laissez-moi vous dire que vous avez aujourd’hui, en face de vous, ce chef de gouvernement».
– Lorsque d’autres partis (allusion à l’Istiqlal) font la «tbourida», je ne peux pas dire »Hawlou aliya » (Préservez-moi)».
– Certains (allusion à la députée istiqlalienne, Kenza El Ghali) disent que ce gouvernement n’a rien fait et qu’il a un problème. Permettez-moi de dire que ce gouvernement est démocratique et jouit toujours de la confiance du peuple marocain».
– «Le dialogue social n’est rompu qu’avec l’UGTM et continue avec les autres centrales. De mon côté, je n’ai pas rompu le dialogue avec l’UGTM».
– Réagissant à ce qu’a dit un député concernant les terrains octroyés à de grands promoteurs immobiliers à 5 ou 10 dirhams le mètre carré, il a enfoncé le clou, lançant: «Je connais des poussins qui sont devenus des éléphants».