Une polémique est enclenchée autour des comptes spéciaux du Trésor (CST), ces caisses noires alimentées essentiellement par l’argent du contribuable et qui échappent à tout contrôle. La tentative du ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Boussaid, lors de la réunion de la Commission des finances à la Chambre des représentants, de retirer une proposition d’amendement de l’un des articles du projet de loi organique relative à la loi de Finances, était vaine…
D’ailleurs, c’est un amendement d’une importance capitale. En témoigne l’unanimité observée autour de la question. De plus, il appelle à ce que les recettes et les dépenses des CST, qui seront publiées dans des rapports, fassent l’objet du contrôle du Parlement et soient incluses dans le budget de l’Etat. Un appel clair à plus de transparence et à un rigoureux contrôle de ces comptes animant un grand débat. Mais d’abord, que sont ces comptes spéciaux?
Les CST au Maroc
De manière générale, un compte spécial du trésor a pour objet de retracer des recettes affectées, conformément aux dispositions de la loi organique relative à la loi de Finances, au financement des dépenses afférentes à des opérations déterminées et à l’emploi donné à ces recettes.
Juridiquement, les CST sont considérés comme une composante du budget de l’Etat contribuant à la mise en œuvre des orientations du gouvernement visant à assurer une meilleure allocation des ressources budgétaires. D’où d’ailleurs la répartition des CST en six catégories.
La première concerne les «Comptes d’affectation spéciale». Ceux-ci retracent les recettes affectées au financement d’une catégorie déterminée de dépenses et l’emploi donné à ces recettes. Ils peuvent être alimentés par le produit de taxes, de versements budgétaires ou de recettes particulières. Leur solde, qui est toujours créditeur, est reporté d’année en année pour son montant intégral et constitue le disponible utilisable dans le cadre de chacun des comptes concernés.
La 2ème catégorie est constituée par les «Comptes d’adhésion aux organismes internationaux» qui décrivent les versements et les remboursements au titre de la participation du Maroc aux organismes internationaux. Ils retracent, au débit, le montant des souscriptions initiales et additionnelles et, au crédit, les dotations budgétaires destinées à l’apurement des souscriptions.
Les «Comptes d’avances», qui composent la 3ème catégorie, décrivent quant à eux les versements sous forme d’avances remboursables sur une durée égale ou inférieure à 2 ans, faites par l’État sur les ressources du Trésor et accordées pour des raisons d’intérêt public à des organismes relevant de l’État.
Dans la 4ème catégorie, on trouve les «Comptes de prêts» qui décrivent les versements sous forme de prêts octroyés sur une durée supérieure à 2 ans par l’Etat sur les ressources du Trésor et accordés également pour des raisons d’intérêt public. Les «Comptes d’opérations monétaires» de la 5ème catégorie décrivent les mouvements de fonds d’origine monétaire qui sont de différentes natures. Enfin, la 6ème catégorie comporte les «Comptes de dépenses sur dotations». Ces comptes retracent les opérations relatives à une catégorie spéciale de dépenses dont le financement est assuré par des dotations budgétaires.
Une gestion à part
Les dépenses programmées dans le cadre desdits comptes sont réalisées dans la limite des ressources effectivement recouvrées. L’excédent des ressources de chaque année budgétaire réalisé dans le cadre d’un compte de dépenses sur dotation est reporté sur l’année suivante. En termes de volume de recettes et de dépenses, les plus importants comptes sont la part des collectivités locales dans le produit de la TVA (8.185 MDH), le Fonds spécial routier (2.070 MDH), le Fonds de soutien des prix de certains produits alimentaires (1.810 MDH) et le Fonds solidarité habitat (1.000 MDH). Il s’agit au total, pour l’année en cours, de près de 58 MMDH de charges avec 79 comptes pour 27 fonds. Les programmes d’investissement financés dans le cadre des comptes spéciaux du Trésor et non couverts par des transferts du Budget général s’élèvent à 11,85 MMDH.
Autant d’argent qui, jusque-là et face à l’opacité entourant ces comptes, demeure sans contrôle, d’où cet amendement qui, pour certains, revêt davantage un caractère politique et entre dans le cadre de règlement de comptes, plus qu’il n’est une action visant la clarté et la transparence dans la gestion des CST.
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Comptes spéciaux du Trésor : Ce mystère des finances publiques
Opaques et incontrôlables, les CST passent pour être un mystère. Hérités de la période coloniale, il s’agit d’une pratique dictée par des raisons militaires. Le fait est que cette même pratique, qui a survécu à la première Guerre mondiale, perdure hors orbite et contre toute exigence de contrôle ou de transparence.
Lorsqu’on apprend que, pour ces comptes, la loi de Finances 2014 a prévu 58 MMDH comme plafond de charges, c’est-à-dire 16% des charges totales de l’Etat, on voit bien ce que ce gouffre avale comme moyens!
Ces 58 MMDH sont destinés à 27 fonds répartis entre développement social et humain, renforcement des infrastructures, promotion de l’économie et agriculture. Le rapport sur les comptes spéciaux du Trésor (CST) pour l’année 2014, qui s’inscrit dans le cadre du renforcement de la transparence dans la gestion des finances publiques, tend à mettre l’accent sur le rôle joué par les comptes d’affectation spéciale (CAS). Justement, en 2012, l’enveloppe des dépenses réalisées dans le cadre des CAS s’est élevée à 41 MMDH, contre 42 MMDH en 2011, soit une baisse annuelle de 6%. Le plus gros de ce budget (50%) est parti au développement local. L’analyse du nombre des CST par ordonnateur fait ressortir que le ministère de l’Economie et des Finances, en 2013, gère 32 comptes représentant 40,51% du total, suivi du ministère de l’Intérieur (11 comptes), du département du chef de gouvernement (6 comptes) et de l’Administration de la Défense nationale (4 comptes). Le montage financier de ces comptes est d’une grande complexité, ce qui en réduit la compréhension pour les parlementaires.
Les comptes liés au développement social sont dotés de 10 MMDH en charges. La plus grande partie (2,9 MMDH) revient au Fonds de soutien à l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH).
Il y en a d’autres…
En dehors des fonds connus du grand public, d’autres continuent d’exister, comme celui du remploi domanial avec plus de 2 MMDH de charges. Ce fonds a pour objet l’acquisition immobilière, la construction et l’équipement d’immeubles domaniaux. Les ressources réalisées en 2012 par ce fonds, y compris le solde reporté, s’élèvent à 16 MMDH, contre 15 MMDH en 2011, soit une augmentation annuelle de 6,29%. Quant aux dépenses réalisées dans ce cadre, elles ont enregistré au cours de la période 2010-2012 une augmentation annuelle moyenne de 15,79%.
L’autre fonds qui fait couler beaucoup d’encre est celui spécial routier (FSR). Les recettes affectées à la contribution au développement et à la maintenance des infrastructures routières s’élevaient en 2012 à 4,9 MMDH, contre 4, 8 MMDH en 2011. Les dépenses effectuées par le fonds sont de 2,3 MMDH en 2012, en baisse de 7,9% par rapport à l’année précédente. Le rapport sur les comptes spéciaux fait également ressortir une charge prévisionnelle de 10 MMDH pour l’acquisition et la réparation des matériels des Forces Armées Royales (FAR). Côté prévision, le gouvernement table sur 2 MMDH pour le fonds de cohésion sociale en 2013. Ce fonds est alimenté par la taxe sur hauts revenus qui a été adoptée dans le cadre de la loi de Finances 2013.
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CAS : L’autre paire de manches Les comptes d’affectation spéciale (CAS), dont les programmes d’actions intéressent le domaine de la promotion économique et financière, sont au nombre de 9 et ont réalisé en 2012 des ressources d’un montant de 12 MMDH. 60% des recettes sont liées au Fonds de solidarité des assurances (7,2 MMDH). Ce fonds a été créé en 1984 en vue de comptabiliser les opérations afférentes à l’attribution d’aides aux entreprises d’assurances en 2012. Le compte a été modifié pour prendre en charge partiellement le financement des investissements et des actions de l’Institut national des conditions de vie au travail et contribuer au financement du Fonds d’appui à la cohésion sociale… |
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Comptes spéciaux du Trésor : Ce qu’en dit la DPEF La Direction des études et des prévisions financières (DEPF) vient de publier une synthèse du rapport sur les comptes spéciaux du Trésor (CST) pour l’année 2014. Ce rapport «tend à mettre l’accent sur le rôle joué par les comptes d’affectation spéciale (CAS) en tant que levier de développement économique, social et spatial durable», lit-on dans ce document. Ledit rapport a été conçu, paraît-il, dans une optique particulière appelant à plus de transparence dans la gestion des finances publiques. Ceci se traduit d’ailleurs par l’observation de la diminution du nombre des CST passé de 130 comptes en 2003 à 79 comptes en 2013. «Une diminution très marquée qui s’inscrit dans une logique de rationalisation et d’efficience dans la gestion de ces comptes», commente la DEPF. |
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Comptes spéciaux du Trésor : Les dés sont jetés Conçus essentiellement pour retracer de simples mouvements de fonds provisoires, les CST ont souvent été au centre de plusieurs polémiques… Il y a lieu de dire que ces comptes dits spéciaux ne respectent pas l’une des règles de base de la gestion des budgets, à savoir le principe d’unité budgétaire. Selon ce principe, toutes les dépenses et toutes les recettes de l’année doivent figurer dans un seul et même document. Or, ces comptes ne figurent pas dans le budget général. D’autre part, ils ne respectent pas le principe de non affectation selon lequel les dépenses et les recettes doivent être additionnées sans essayer d’allouer une recette particulière à une dépense précise. Enfin, le gain de cause! Ce qui n’était qu’une proposition d’amendement de l’un des articles du projet de loi organique relative à la loi de Finances portant sur la publication et le contrôle des recettes et des dépenses (comptes spéciaux du Trésor ou «caisses noires de l’Etat»), échappant depuis toujours à tout contrôle, est devenu une réalité lors de cette journée où le ministre de l’Economie et des Finances, Mohamed Boussaid, a été incapable de parer le coup des membres de la Commission des finances à la Chambre des représentants! |
Hamid Dades