Pour échanger les expériences sur les problématiques essentielles auxquelles la régulation des médias est confrontée et le sera davantage dans les années à venir, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle du Maroc (HACA) a abrité les 30 et31 janvier 2020 une conférence internationale.
Organisée par la HACA, la conférence internationale sur la régulation des médias à l’ère du numérique avait pour thématique «La régulation des médias dans un environnement numérique, mobile et social, impératifs d’adaptation et enjeux de refondation».
S’inscrivant dans le cadre du mandat de la HACA au titre de sa vice-présidente du Réseau des Instances Africaines de Régulation de la Communication (RIARC) et de sa contribution à la mise en œuvre de la feuille de route 2020-21 du Réseau Francophone des régulateurs des Médias (REFRAM), la conférence de Rabat a connu la participation de 21 autorités de régulation d’Afrique, de l’espace francophone et du monde arabe. En plus d’autres réseaux de régulateurs, dont notamment le Forum des Autorités de Régulation de l’Audiovisuel des Etats membres de l’organisation de la Coopération Islamique OCI (IBRAF) et la plateforme des Régulateurs de l’Audiovisuel Ibéro-Américain (RPAI).
Manifestation médiatique
Outre les instances de régulation des médias et de nombreux experts et organismes internationaux, ont participé à cette manifestation médiatique haut de gamme les présidents et directeurs généraux des opérateurs publics et privés de l’Audiovisuel, des journalistes, des acteurs de la société civile ainsi que des représentants des milieux académiques marocains et étrangers. Une vraie manifestation médiatique !
Demande pressante de régulation
Inaugurant cette conférence internationale, la Présidente de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) et vice-Présidente en exercice du Réseau des Instances Africaines de Régulation (RIARC), Latifa Akharbach, a souligné que les sociétés expriment de plus en plus une demande de régulation, précisant que les régulateurs de par leur mandat spécifique et avec leurs outils propres se posent des questions d’intérêt général: Comment préserver les individus, les sociétés et la communauté humaine globale des risques de manipulation, de la mise en danger du vivre ensemble, de l’atteinte à la dignité humaine, de la diffusion du discours de haine et de violation de la vie privée.
Responsabilités et exigences
Tout en demeurant entières, les préoccupations classiques des régulateurs sont augmentées de nouvelles responsabilités et exigences, impliquant de nouveaux acteurs et prenant en compte de nouvelles dimensions. Les régulateurs médias sont en effet tenus plus que jamais de renforcer leur action en ce qui concerne la garantie démocratique du pluralisme et de l’expression équitable de tous les courants de pensée et d’opinion, la représentation de la diversité culturelle, ainsi que la promotion de la responsabilité sociétale des médias audiovisuels. Notamment en matière de respect de la dignité de la personne, de l’égalité des genres et de la protection du jeune public.
Quatre axes
Les régulateurs subissent une pression croissante des opinions publiques qui ont pris conscience de la nécessité d’une régulation d’internet. Outre la communication inaugurale qui a été présentée par Latifa Akharbach, présidente de la HACA, les travaux de la conférence se sont articulés autour de quatre axes: «Besoins d’une régulation rénovée dans un environnement numérisé et globalisé», «Médias classiques – nouveaux médias, dynamiques de la concurrence et contraintes de la régulation», «L’autorégulation, avenir de la régulation», «La régulation des médias à l’épreuve des aspirations citoyennes».
Finalité démocratique
Pour la présidente de la HACA, Latifa Akharbach, «La régulation des médias à l’ère du numérique a une finalité éminemment démocratique». L’objectif de cette conférence a été de croiser les perspectives et de contribuer à une réflexion collective autour de la question de l’adaptation de la régulation des médias à l’ère numérique.
Mohammed Nafaa
ENTRETIENS
Latifa Akharbach
Présidente de la Haute Autorité de la Communauté Audiovisuelle (HACA) et vice-Présidente en exercice du Réseau des Instances Africaines de Régulation (RIARC)
Garantir à la fois la pluralité d’expression et l’intérêt général
Quelles réponses aux défis de la transformation numérique des médias et qu’attendez-vous de cette conférence ?
La HACA a pris l’initiative d’organiser cette rencontre inter-réseaux des régulateurs qui réunit des instances de quatre continents, l’Amérique Latine, l’Afrique, l’Europe, l’Asie et le Monde arabe, parce qu’il y a un débat planétaire, aujourd’hui, sur les effets disruptifs de la transformation digitale du système médiatique. Parce qu’il est important, pour un régulateur, de réfléchir aux moyens de promouvoir la liberté d’expression -via les médias classiques et ceux numériques- et en même temps de faire en sorte qu’il n’y ait pas, dans les contenus médiatiques, des expressions et autres contenus qui soient en contradiction avec les valeurs démocratiques, avec les valeurs culturelles du vivre ensemble… Qu’il n’y ait pas une instrumentalisation des médias, comme les réseaux sociaux, par les discours de haine. Il y a tant de préoccupations !
D’autres préoccupations ?
Il y a effectivement d’autres préoccupations qui sont apparues. Notamment, l’utilisation des données personnelles par les plateformes numériques, sans que les détenteurs de ces données soient au courant, ni consentants. Ou les intrusions dans les scrutins par l’instrumentalisation des réseaux sociaux… Tout cela constitue de nouveaux points de vigilance sur lesquels les régulateurs doivent travailler, en partant de leur mandat, du fait que celui-ci est fondé sur deux fondements, la garantie du pluralisme d’expression, mais en même temps la réalisation et la garantie de l’intérêt général dans le domaine de la communication. C’est-à-dire l’intérêt des opérateurs, celui des citoyens usagers des médias et l’intérêt finalement de la société.
Quels sont de ce fait les défis qui se posent à une bonne régulation des médias ?
Une bonne régulation des médias est une régulation qui reste engagée dans la défense de la liberté d’expression. Cela est extrêmement important, parce que le régulateur est tout le contraire de la Censure.
Deuxièmement, c’est une régulation qui se donne les compétences et les moyens d’être à jour, de ne pas être dépassée par l’évolution de la technologie.
Troisièmement, c’est une régulation qui a un sens citoyen.
Interview réalisée par Mohammed Nafaa
Exclusif :
Nouri Lajmi
Président de la Haute Autorité Indépendante de la Communication Visuelle de la Tunisie
Il faut agir ensemble, la main dans la main
Où en est la problématique de la régulation des médias et quels enjeux ?
Il faut reconnaître que cette problématique date quand même de quelques années… Avec les dangers d’une mauvaise utilisation des réseaux sociaux et de l’internet sur nos sociétés, elle nous interpelle depuis quelques années.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je pense qu’il y a une prise de conscience.
Que faire alors pour relever ces défis ?
Nous n’allons certainement pas rester les bras croisés éternellement. Aussi, nous commençons à bouger en tant que régulateurs.
Il faut, à mon sens, que les médias et les sociétés civiles mettent leurs efforts à contribution pour faire face à ces défis. Aujourd’hui, ils sont énormes. Du fait que la mauvaise utilisation de ces réseaux et de l’internet risquent d’impacter d’une manière très négative nos sociétés.
Qu’en est-il des nouvelles plateformes avec leur calibre colossal ?
Vous savez les plateformes sont aujourd’hui de vrais mastodontes, ce sont de grosses sociétés plus fortes que des gouvernements.
Comment alors les contrecarrer, si les affronter relève des travaux d’Hercule, comme nous l’a confié un régulateur ?
Il faut que nous unissions nos efforts pour être des régulateurs à égalité. C’est comme cela que nous devons bouger dans le cadre des réseaux.
D’où l’importance de cette conférence internationale ?
Effectivement, cette manifestation aujourd’hui est très importante du fait qu’elle met en contact plusieurs réseaux, notamment le RIARC et le REFRAM.
Qu’est-ce que vous pouvez faire ensemble aujourd’hui ?
S’unir pour pousser même nos propres gouvernements, parce que nous ne pouvons pas rester les bras croisés à regarder le développement des choses, ou rester à la traîne. Il ne faut pas que l’on soit en retard sur nos propres acquis pour préserver nos cultures.
Les défis qui s’opposent à ce besoin de rénovation, voire même de révolution médiatique et de bonne régulation ?
Les défis sont nombreux. Il ne faut pas se voiler la face. Ils sont là concrets et palpables. En Tunisie, nous avons commencé par mettre en place une plateforme pour contrer les Fake news. Nous avons commencé à travailler avec cela.
Quoi au juste ?
C’est quelque chose de nouveau dans les pays arabes et dans certains pays africains. Il y a des ONG qui travaillent sur cela.
Nous, en Afrique du Nord, nous avons pris l’initiative de commencer et nous allons, de ce fait, essayer d’attirer dans notre sillon d’autres régulateurs pur renforcer ces initiatives et pour mettre à contribution les expériences des uns et des autres.
Des difficultés ?
Il y en a. Ce n’est pas facile. Sur le plan technique, il y a des défis, mais aussi des rapports de force. Les nouvelles plateformes sont très fortes et, entre nous, bien implantées. En plus, elles disposent d’énormément de moyens, je dirai des fortunes colossales.
Ces plateformes ont-elles conscience de la nécessité de vous épauler dans vos efforts de régulation ?
Ces plateformes commencent à comprendre et à prendre conscience qu’il est dorénavant primordial de participer à cet effort de régulation, parce que vous savez ce qui s’est passé sur Face book… Cet attentat terroriste en direct sur Face book… La manipulation de l’information… Tout cela porte atteinte à la crédibilité de ces plateformes. Donc aujourd’hui, les plateformes elles-mêmes sont conscientes qu’il faut participer à l’effort de régulation. Il faut donc saisir la perche et agir dans ce sens-là.
Les participants à cette conférence internationale (Rabat 30-31 janvier 2020) ont beaucoup parlé de cette nécessaire et imminente innovation, voir même révolution, refondation. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Justement, il faut innover en matière de moyens et d’outils. Nous allons contrer cette situation. Et bien évidemment, il s’agira d’inscrire ces efforts-là dans notre souci quotidien et faire notre travail en tant que régulateur.
Qui consiste en quoi ?
Qui consiste à garantir la liberté d’expression, mais bien entendu tout en garantissant la qualité du journalisme et de l’information.
Que nécessitent ces deux défis ?
Ils nécessitent qu’il y ait un travail en amont pour essayer de plaider à ce que nous puissions garantir tout cela. J’estime en ce qui concerne ce volet, qu’il faut travailler sur le volet éducation aux médias. C’est un volet très important, un grand et énorme chantier pour préparer la génération future.
Le facteur temps ?
Justement, il faut commencer maintenant, à l’instant même, sinon nous risquons d’avoir des problèmes et de rater le train.
Qu’est-ce que vous attendez de cette conférence ?
Nouer des liens entre régulateurs et essayer de continuer le travail ensemble main dans la main.
En quoi elle peut aider ?
C’est une rencontre très importante, pour pouvoir sceller des partenariats, parce que nous ne pouvons pas avancer tous seuls. Ensemble, nous nous enrichissons mutuellement de nos expériences respectives.
Et l’Afrique dans ce grand chantier ?
Nombre de pays africains sont touchés par ce fléau de Discours de haine dans les réseaux sociaux, qui fleurit un peu partout. Ils sont conscients et demandeurs, aujourd’hui, de comment ils peuvent agir et faire face à ces nouveaux défis. Ce qui est déjà un énorme progrès. Ils prennent conscience que la situation et de plus en plus grave et qu’il faut constituer un front commun pour y faire face.
Interview réalisée par Mohammed Nafaa
Karim Idourki,
Président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie Bruxelles – Belgique.
La régulation des médias est un enjeu majeur
Que vous inspire le choix de cette thématique pour cette conférence internationale sur la régulation des médias dans un environnement numérique, mobile et social, impératifs d’adaptation et enjeux de refondation ?
Je pense personnellement que la régulation des médias à l’âge digital, c’est véritablement un enjeu majeur. Nous avons vu ces dernières années une explosion du monde médiatique avec l’arrivée de nouvelles plateformes et avec l’arrivée des réseaux sociaux.
En termes de régulation des médias ?
Les enjeux se sont multipliés avec la question de la protection des mineurs, la question de la lutte contre la haine en ligne, avec aussi la question de la lutte contre le racisme en ligne. Donc, toutes ces questions font que la régulation des médias doit pouvoir être repensée, en se disant que nous avons longtemps régulé les médias traditionnels, la radio, la télévision. Ce sont là des acteurs locaux qui sont bien connus dans les pays. Mais avec la digitalisation des enjeux, avec des entreprises multinationales, des questions de principe demeurent. A savoir, comment nous allons préserver la jeunesse, comment est-ce que nous luttons contre des formes de haine.
C’est donc très important que la HACA (Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle), à travers le REFRAM (Réseau Francophone des Régulateurs des Médias) et la RIARC (le Réseau des Instances Africaines de Régulation de la Communication), ait mis sur pied cette conférence internationale pour que l’on puisse échanger de bonnes pratiques, échanger des informations au niveau de l’ensemble des régulateurs.
Qu’est-ce que vous en attendez ?
Ce que j’en attends personnellement, chaque fois que nous assistons à un évènement international de cette envergure, c’est de pouvoir échanger sur les bonnes pratiques, voir ce qui se fait, quels sont les problèmes de mes collègues et comment est-ce qu’ils y répondent chacun à son niveau. Je trouve que nous avons toujours à apprendre de ce type de rencontre.
Interview réalisée par Mohammed Nafaa
Peter Essoka
Président du Conseil National de la Communication du Cameroun, Président en exercice du Réseau des Instances Africaines de Régulation.
Il faut respecter les normes de la profession
Quels sont les impératifs de la thématique de cette conférence internationale sur la régulation des médias ?
Il y a, je dirai d’emblée, trop de dérapages. Surtout dans les réseaux.
Lesquels ?
Réseaux privés et sociaux ; et même dans les médias traditionnels.
L’intérêt de cette réunion aujourd’hui à Rabat ?
En tant que régulateurs, nous nous devions de nous réunir pour connaître certaines règles en place. Et puis, nous allons suivre ces médias espérant que ce que nous allons présenter va donner quelque chose de largement positif.
Quels sont les défis qui se posent pour arriver à une régulation en bonne et due forme ?
Il y a, je dirai, certains récalcitrants et certaines personnes qui ne respectent rien.
Qu’allez-vous faire à l’avenir ?
Je pense que nous allons continuer à leur demander de respecter les normes de la profession.
Un exemple concret de ces demandes ?
Je parlais de ces discours de haine, du nécessaire respect de l’individu, de la vie privée des individus que les gens sont maintenant en train d’utiliser à tort et à travers pour détruire les autres.
Les médias sont là pour construire et non pas pour détruire, mais malheureusement, certaines personnes les utilisent pour détruire.
Est-ce que l’Afrique est prête pour cette rénovation qui prend l’allure d’une révolution ?
L’Afrique, en général, est en train de se construire, doucement mais sûrement, pour mettre certaines choses en œuvre, pour que tous les Africains en bénéficient dans une large mesure.
Vous voulez dire que le train africain est généralement en marche, sur les bons rails ?
J’en suis convaincu. D’ailleurs, l’organisation d’une conférence d’une telle envergure, c’est justement pour dire qu’il y a effectivement quelque chose qui bouge.
Propos recueillis par M. Nafaa