Corriger l’image des salafistes

Abou Hafs1

Entretien avec Abou Hafs, prédicateur salafiste et (tout nouveau) membre du Parti Annahda wal Fadila

Abou Hafs, de son vrai nom Abdelouahab Rafiki, a adhéré au Parti Annahda wal Fadila (Renaissance et Vertu) de Mohamed Khalidi. Ce dernier est-il en train de faire avec les salafistes d’aujourd’hui ce que le Dr. Abdelkrim Al-Khatib a fait avec les islamistes du PJD?

Votre sortie de prison, vous et les autres chioukhs, en février 2012, était-elle assortie de conditions spécifiques?

Je vous dirais que notre sortie de prison était véritablement une surprise.

Certes, vous ne vous y attendiez pas, mais vous n’aviez de cesse de la réclamer…

Je répète ici que ça s’est passé sans dispositions ou concertations préalables.

Est-ce que c’est tombé comme ça?

On m’a spécifié une sortie de prison alors que je ne m’y attendais guère et on m’a donné un délai de quinze minutes seulement pour ramasser mes affaires et quitter la prison en hâte.

Votre sortie de prison n’était pas précédée de négociations?

Ni négociations, ni conditions!

Quelle était à votre avis la partie qui a facilité cette libération?

On nous a fait savoir que notre libération a eu lieu par grâce royale.

Qui vous en a informés?

Maître Mustapha Ramid, ministre de la Justice.

Vous a-t-il seulement informé ou a-t-il aussi fait une quelconque intervention pour obtenir votre libération?

Il nous a informés que c’était lui, personnellement, qui avait fait cette demande de nous libérer et qu’il avait insisté jusqu’à notre libération.

Comment a eu lieu le contact avec le Secrétaire général du Parti «Annahda wal Fadila» que dirige Mohamed Khalidi, un ami intime de feu Abdelkrim Al-Khatib et membre du PJD?

Notre relation avec Mohamed Khalidi existe depuis longtemps. Depuis le premier jour de notre libération, il n’a cessé de communiquer avec nous et il nous a reçus à plusieurs reprises.

A quel sujet précis? Vous a-t-il offert de rejoindre les rangs de son parti?

Après une série de rencontres que je dirais normales, nous avons entamé la discussion de choses plus opérationnelles.

Vous êtes donc passés aux choses sérieuses: la politique, l’adhésion peut-être au Pati Annahda wal Fadila?

Effectivement, il nous a proposé d’adhérer au paysage politique et, bien évidemment, au parti qu’il dirige.

Avez-vous accepté la proposition illico?

Bien entendu, nous avons pris le temps de nous concerter et de mesurer à sa juste valeur cette proposition.

Avec qui vous êtes-vous concertés?

Avec divers courants politiques théologiques et intellectuels. Nous avons décidé de répondre favorablement à la proposition de Khaldi.

Quelles étaient vos convictions en acceptant d’adhérer à un parti politique et en réalisant cette acrobatie?

Bien entendu, nous sommes convaincus qu’en adhérant à la politique à travers Annahda wal Fadila, nous donnerons une réelle valeur ajoutée à l’action politique et partisane de l’intérieur de ce parti qui nous a ouvert les bras et que nous travaillerons avec nos frères de cette formation politique pour lui rendre sa stature et sa crédibilité afin qu’elle devienne forte et puisse défendre les droits des citoyens, plus particulièrement le droit à une vie digne. Nous défendrons le droit où qu’il soit et nous assisterons tous les démunis.

Ceci exige au préalable la révision et l’amendement des institutions et structures d’Annahda wal Fadila et peut-être même la tenue d’un Congrès national et du Conseil national.

C’est sûr. Parmi les priorités, il y a la révision des structures du parti pour qu’il soit fort et prenne les décisions en concertation avec tous ses membres, tant au niveau du Secrétariat général que du Conseil national. Nous veillerons ensemble à dépasser les erreurs du passé.

Avez-vous mis le doigt sur les points faibles du parti?

Pour parler franchement, je dirais que le Parti Annahda wal Fadila, malgré les efforts louables déployés par notre frère Mohamed Khalidi, n’a pas encore trouvé la place qu’il mérite sur le carte et la scène politiques. Aussi, a-t-il besoin de redoubler d’efforts et c’est ce que nous chercherons à réaliser, la main dans la main, avec nos frères d’Annahda wal Fadila.

Ambitionnez-vous de briguer un poste important et influent dans le parti?

Je dirais que le moment de parler de ce volet n’est pas encore venu.

Le Secrétariat général du parti envisage-t-il de débattre de votre adhésion?

Le Secrétariat général se réunira dans un proche avenir et c’est cette instance qui décidera de la distribution des responsabilités.

Avez-vous des ambitions?

Mes ambitions, bien entendu, ne sont pas personnelles. Mon unique ambition est de voir ce parti fort et capable de faire triompher la cause des démunis et de réaliser les programmes auxquels nous croyons fermement, nous tous, en son sein. C’est aujourd’hui ma seule et unique ambition.

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Pourquoi avoir choisi Annahda wal Fadila et non pas le PJD ou un autre parti?

Tout simplement parce qu’il a été le seul parti politique qui nous a proposé d’y adhérer.

Mais encore?

D’abord parce qu’il s’agit de l’unique parti à nous avoir fait une telle proposition et, en plus, parce que c’est un parti à référentiel islamique qui sympathise avec les causes islamiques. Plus encore, il a un précédent, s’agissant du traitement du dossier des détenus islamiques. Et c’est là, à mon avis, un des facteurs essentiels qui nous ont encouragés à adhérer à ce parti, convaincus que nous sommes que ce dossier figure en bonne place parmi les problématiques qui retiendront notre attention.

Il y a peut-être aussi la relation de Khalidi avec feu Abdelkrim Al-Khatib qui a fait la même chose avec le PJD?

La relation de Mohamed Khalidi avec le Dr. Al-Khatib est historique et bien connue sous tous ses aspects. Cela nous réconforte, bien sûr. L’expérience n’est pas tout à fait identique: il existe des similitudes, mais aussi des discordances. Cependant, nous espérons obtenir un résultat identique à celui auquel a abouti le PJD.

C’est-à-dire?

Qu’il soit devenu un parti fort sur la scène politique.

Quand on parle des salafistes, on ne peut s’empêcher de faire référence à la violence. Le Marocain étant par définition tolérant, modéré et moderniste, ne craignez-vous pas qu’il se méfie un peu et ait une certaine appréhension vis-à-vis du courant salafiste?

Le salafisme a essuyé beaucoup de tort, que ce soit de la part de ses adversaires ou des siens. Nombreux sont ceux qui, même parmi les partisans et adeptes de ce courant, ont fait du tort au courant salafiste par leur attitude ou leur comportement,

Qu’est-ce que, à votre avis, le salafisme?

Le salafisme n’est pas un organisme, mais une méthode générale de pensée qui appelle à lutter contre le charlatanisme, à faire prévaloir l’esprit et la preuve. Si le salafisme avait été présenté sous cet angle élégant, il n’aurait jamais fait peur à personne. Aussi, dois-je réitérer que ce sont l’attitude et le comportement de certains de ses adeptes qui lui ont porté préjudice.

Qui sont ses adeptes?

Ceux qui se disent appartenant au courant salafiste. Celui-ci est vaste avec des ramifications souvent contradictoires.

Oui, mais le salafisme est souvent, pour ne pas dire toujours, synonyme de violence, de refus de l’autre et j’en passe…

Ce n’est pas entièrement vrai. Il se peut que certains courants qui s’apparentent au courant salafiste aient versé dans cette voie, mais il existe d’autres courants à l’intérieur du salafisme qui refusent et condamnent toutes formes de violence et ont des idées très modérées, centristes et du juste milieu.

Le salafisme est souvent lié à ce qu’on appelle la «salafiya jihadia»?

Ce rapprochement n’est pas juste. Quand nous parlons de salafisme, nous entendons un courant scientifique, une méthode de pensée qui a derrière elle une histoire, des origines aussi enracinées dans de grands penseurs qui ont rendu des services aux musulmans. Il ne serait donc pas juste de coller cette étiquette de dérive à la salafiya, comme il n’est pas juste de mettre tout le monde dans le même panier.

Avez-vous une stratégie pour corriger l’image que les gens se font du salafisme?

La stratégie concernant l’action politique, depuis que nous avons quitté la prison, se présente sous forme de conférences, séminaires, articles, internet, le but étant de corriger cette image négative et fausse. Pour notre intégration, aujourd’hui, la politique est en quelque sorte un tremplin pour corriger cette fausse image que l’on se fait de nous.

Avez-vous entamé des contacts et des consultations avec les partis politiques et hommes politiques? Si oui, lesquels?

Nous avons eu des contacts avec les leaders de certains courants islamiques et nationaux. Il est cependant prématuré de parler de consultations avec les leaders des partis politiques nationaux, alors que nous faisons nos premiers pas dans la politique au sein d’Annahda wal Fadila.

Avez-vous prévu de consulter tous les partis politiques de la place, y compris les partis de gauche (USFP, PPS…) avec lesquels vous ne partagez pas forcément les mêmes référentiels?

Bien entendu, toutes les portes sont ouvertes pour communiquer avec tous les partis politiques, quelle que soit leur idéologie et nous sommes prêts à coopérer pour le bien et l’intérêt de la patrie.

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Sur quelle base?

Sur la base de l’intérêt commun et que le programme, qui pourrait nous rassembler avec n’importe quel parti politique, ne contredise pas notre référentiel et nos principes et aille dans le sens de l’intérêt national.

Sans complexe ni susceptibilité aucune?

Je n’ai ni complexe ni susceptibilité vis-à-vis de n’importe quelle formation politique. Je réitère ma prédisposition à coopérer avec tout courant et quelle que soit son idéologie, du moment que cette coopération verse dans le sens de l’intérêt général.

Votre position par rapport à la monarchie et à Imarate Al Mouminine?

Il est sûr que tout un chacun, qui adhère à l’action politique, est convaincu et croit aux valeurs qui acquièrent l’unanimité de tous les acteurs dans ce pays. Ce n’est pas nouveau pour nous: nous avons toujours fait savoir par nos écrits et nos déclarations que nous n’avons aucun problème avec la monarchie. Nous estimons que la monarchie est la seule à pouvoir assimiler toutes ces différentes sensibilités idéologiques.

Quelles sont vos revendications?

Je ne trahirais pas un secret si je vous disais que nous avons des revendications à l’instar des autres formations politiques.

De quelle sorte?

Des revendications relatives à la Constitution et à la manière de moraliser la vie politique, mais dans le respect des fondamentaux. Pour le reste, il faudrait attendre que le nouveau Secrétariat général d’Annahda wal Fadila sorte de sa réflexion avec une appréciation générale de toutes les questions nationales.

Nombre de vos amis n’ont pas souhaité intégrer le parti. Ils l’ont fait savoir. A leur tête, il y a Hassan Kettani qui a préféré se cantonner dans le prêche. Avez-vous essayé de l’en dissuader?

Cheikh Hassan Kettani nous a expliqué son point de vue que nous respectons. Et chacun de nous, sans aucune friction, travaillera dans la voie qu’il aura tracée.

Dans quel cadre s’inscrivent vos relations avec des courants similaires au vôtre en Egypte, en Tunisie?

Cela entre dans le cadre des relations générales, que ce soit avec certains leaders de parti ou avec des chioukhs. Ce sont des relations basées sur la concertation pour le bien et dans l’intérêt de tous.

Ne craignez-vous pas une quelconque influence extérieure qui ne serait pas toujours bénéfique?

Nous sommes un courant indépendant et autonome. Nous approchons ces courants uniquement dans le contexte de nos relations générales et personne dans nos relations générales ne pourra nous dicter quoi que ce soit. Nous ne faisons rien dont nous ne soyons convaincus.

Vous allez participer à une manifestation religieuse en Egypte. Ceci veut dire que vous êtes autorisé à circuler librement, à voyager aussi?

Depuis que je suis sorti de prison, je ne cesse de voyager normalement et sans aucun problème.

Qu’en est-il du Conseil de coordination islamique?

Il s’agit d’une organisation internationale qui regroupe des associations caritatives et intellectuelles.

Que pensez-vous de la crise politique actuelle au Maroc entre PJD et PI?

Actuellement, nous nous penchons sur notre situation interne beaucoup plus que sur ce qui se passe en dehors de notre parti.

Je m’attendais à vous voir en tenue traditionnelle, avec un ruban sur la tête, une longue barbe et du khôl sur les paupières, alors que vous êtes là, sans tout cela, plutôt avec un costume de ville, une cravate bien assortie, une bague au doigt et une grosse montre. Est-ce le signe d’une évolution de votre courant?

Je dirais que c’est l’image que se sont fait de nous les médias. Ceux qui partagent notre vie au quotidien savent que l’image que donnent de nous ces médias est totalement erronée.

Et le festival Mawazine?

Je vous dirais que j’étais parmi les premiers à appeler à mettre fin à ce festival qui est une perte de deniers publics et parce qu’il regorge d’images qui ne sont pas conformes aux valeurs de notre société et écorchent sa pudeur.

Il ne s’agit pas de deniers publics, mais de fonds de sponsors.

Je sais, mais on aurait pu orienter l’argent de ces sponsors pour d’autres projets générateurs d’emplois pour les jeunes.

Et la télévision?

Je formule une réserve concernant la chaîne de télévision «2M». Elle fait exprès de nous marginaliser. Dernièrement, elle a organisé une émission sur les événements du 16 mai et on y parlait de nous. Il était donc logique que nous soyons présents pour que nous parlions de nous-mêmes et non pas que d’autres s’arrogent le droit de parler de nous.

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