D.Lagrini : Sahara et arguments du Maroc

Driss lagrini enseignant universitaire

Driss Lagrini est enseignant à la Faculté de Droit de Marrakech et coordinateur du Groupe des Recherches et d’Etudes Internationales sur la Gestion des Crises (GREIGC).

«Le Maroc n’exploite pas assez ses points forts»


Selon Driss Lagrini, coordinateur du Groupe des Recherches et d’Etudes Internationales sur la Gestion des Crises, les éléments et les points qui font la force du Maroc dans la gestion du dossier du Sahara sont nombreux, mais le Royaume ne les exploite pas assez.

Interview

Le Maroc a des arguments juridiques montrant qu’il existait bien des liens juridiques entre le Sahara et le Royaume. Ces arguments sont-ils bien exploités?

Depuis que le Maroc a récupéré ses provinces du sud, en 1975, il n’a eu de cesse de rappeler les liens juridiques que le Royaume avait avec ces provinces-là au moment de leur colonisation par l’Espagne. Il était allé auprès de la Cour Internationale de Justice (CIJ) à la Haye pour revendiquer la marocanité du Sahara. Cour, rappelons-le, qui avait donné un avis consultatif célèbre au sujet de la question du Sahara. Par cet avis, la CIJ avait affirmé l’existence effective de liens juridiques d’allégeance entre les sultans du Royaume et les populations vivant dans les provinces du sud. Dès le début du conflit avec le Polisario, le Maroc a apporté à la Cour les éléments et les documents qui montrent qu’il existait bien des liens juridiques et une relation historique entre les sultans du Maroc et les tribus de nos provinces du sud, à travers notamment l’existence de rapports dans le cadre de la «bayâa» (NDLR: acte d’allégeance).

Après quarante ans de cet avis consultatif de la Cour internationale de Justice, le problème est toujours là…

Quarante ans après l’annonce de cet avis consultatif, la question du Sahara doit être réglée autrement. Elle doit être résolue en tenant compte de la vision réaliste des choses dans les provinces du sud, sachant que, lorsque le Conseil de sécurité des Nations Unies parle d’une solution concertée du conflit relatif à la question du Sahara, cela signifie qu’il met en considération justement cette vision réaliste des choses qu’il y a sur le terrain. A savoir notamment les relations sociales qui ont évolué et les rapports humains qui se sont développés dans les provinces du sud. Tout au long de ces quarante années, il y a eu beaucoup de changements et de développements sur le terrain, ce qui impose qu’il y ait des changements au niveau des négociations sur cette question du Sahara.
Dans tous ses discours officiels, le Maroc réitérait sa disponibilité pour continuer le processus de négociation dans le respect de l’intégrité territoriale du Royaume. C’est d’ailleurs dans cet esprit, dès le début du conflit, que le Maroc a mis en avant des arguments juridiques pour montrer qu’il existait entre ces provinces du sud et lui des liens de souveraineté et d’allégeance des tribus.

Malgré ces arguments, le Maroc semble avoir fait des concessions ?

Dans le cadre de la politique de consolidation d’une gestion décentralisée ayant été adoptée par le Maroc depuis maintenant plusieurs années, avec les changements sociaux qu’il y a eu, le Maroc a proposé l’initiative de l’autonomie. C’est une initiative réaliste. Car, d’un côté, elle est à même de garantir les droits historiques du Royaume sur son Sahara. Et de l’autre côté, elle répond à ceux qui continuent de revendiquer l’autodétermination. Bien entendu, le projet s’inscrit dans le cadre d’un processus de dialogue et d’édification d’une société fondée sur l’Etat de droit. Il permet surtout aux populations de ces provinces de participer à la gestion de leurs affaires de façon démocratique. Dans le cadre de ce projet, le Maroc propose une autonomie élargie dans ces provinces du sud; laquelle autonomie permettra aux populations sahraouies de gérer, elles-mêmes, leurs affaires à travers notamment des instances législatives, judiciaires et exécutives.

Le projet d’autonomie donne des compétences très élargies aux populations sahraouies. Pourtant, on a l’impression que cette initiative n’a pas été bien exploitée pour servir la question du Sahara?

La première chose que l’on doit souligner, c’est que la proposition de l’autonomie est en effet un point positif pour le Maroc. Cette proposition a apporté un soutien à la position du Royaume, aussi bien sur le plan interne qu’international. Pourquoi? Parce que ce projet a engagé une certaine dynamique dans ce dossier qui, pendant plusieurs années, a été pratiquement à l’arrêt, surtout après l’échec des initiatives précédentes ayant été entreprises par les Nations Unies (pour l’organisation du référendum) et la menace du Polisario de revenir à son action militaire dans la région. Ainsi donc, au moment où le Polisario adoptait un discours très sévère, le Maroc, lui, a fait des concessions et annoncé son initiative de l’autonomie. Une initiative qui, notons-le, a eu un grand effet sur le retour de beaucoup d’élites sahraouies à la patrie et non des moindres. Ce retour montre que ces élites ont confiance dans l’initiative du Royaume qui, par cette proposition, affirme qu’il tient à régler ce différend de façon définitive. Par ailleurs, sur le plan international, l’initiative du Maroc a été approuvée et saluée par plusieurs pays. Même le Conseil de sécurité des Nations Unies, dans ses dernières décisions, appuyait le projet et affirmait son importance. Maintenant, le projet a bien entendu besoin de deux choses. D’abord, sur le plan interne, l’application effective et efficace de l’initiative de l’autonomie dans les provinces du sud est tributaire du développement de la régionalisation élargie au Maroc. Car, c’est cette régionalisation qui va constituer une plate-forme pour la mise en exécution de ce projet. Et, toujours sur le plan interne, le Maroc doit continuer d’appuyer et de renforcer le développement local dans ces provinces. Car, seul le développement local de ces régions-là peut permettre de dépasser les difficultés sociales que certains essaient d’exploiter en faisant croire que ce sont des revendications politiques. Pourtant, les manifestations sont devenues chose normale dans tout le pays. Chaque jour, elles sont tenues devant le parlement marocain. Mais personne n’en parle. Cependant, quand des manifestations sont organisées dans les provinces du sud, certains se précipitent pour les exploiter et essaient de leur donner un caractère politique, même si elles sont des revendications sociales et économiques. Aussi, le Maroc doit-il déployer plus d’efforts dans le domaine du développement. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de projets. Certes, il y a de grands projets qui ont été réalisés dans les provinces du sud. Mais il faut les renforcer. Le Maroc doit également continuer ses réformes politiques et son appui au système de droits de l’homme. Car, quand le Maroc renforcera les droits de l’homme dans tout le pays -et pas seulement dans ces provinces du sud-, il coupera le chemin à tous ceux qui essaient d’exploiter le dossier des droits de l’homme dans ces provinces-là pour servir certains agendas.

Pourquoi le Maroc était intervenu à Guergarate…

Selon vous, est-ce que les dernières actions entreprises par le Maroc sont suffisantes pour une mobilisation au sujet de la question du Sahara?

J’ai parlé d’actions et de mesures devant être entreprises sur le plan national. Bien entendu, il y a d’autres mesures qui devraient être prises sur le plan international. Les responsables de ce dossier ne doivent pas oublier que l’autre partie n’est pas en train d’attendre et n’est pas non plus en train d’observer. Elle se démène à l’échelle internationale et essaie de remplir le vide que le Maroc peut laisser, notamment en ce qui concerne les acteurs de la société civile et aussi en matière de diplomatie. C’est pourquoi le Maroc doit, en premier, développer une diplomatie ouverte sur le parlement, la société civile, les populations, les élites intellectuelles et les universités, ainsi que sur les médias. Avec une diplomatie ouverte, il est clair que le Maroc pourra enrichir son intervention. A rappeler que les problèmes qui touchaient à la question de l’intégrité territoriale du Maroc ne venaient pas de gouvernements, mais souvent de certaines personnalités, de parlements et d’associations représentant la société civile. D’où la nécessité pour le Maroc de travailler et d’œuvrer de manière globale. Désormais, gouvernement, parlement et société civile doivent tous travailler pour appuyer ce dossier épineux et surtout corriger l’image du Maroc que les adversaires de l’intégrité territoriale font circuler. Il faut aussi souligner que l’on ne doit pas se focaliser uniquement sur certains pays et en négliger d’autres, pour mobiliser autour de la question du Sahara. Il faut se mettre dans l’esprit que l’Algérie est très active en Afrique et essaie de saboter tous les efforts et les actions qui ont été entrepris par le Maroc ces derniers mois. Désormais, le Maroc doit compter sur les pays du Nord, comme il doit compter sur les pays du Sud. Pour ce faire, il doit entreprendre et développer une diplomatie entreprenante et offensive. Pour rappel, quand certaines parties voulaient exploiter la question des droits humains dans les provinces du sud et lorsqu’on a voulu élargir les compétences de la Minurso aux droits de l’homme, eh bien, on a constaté à ce moment-là que le Maroc a pu réagir. Il est donc nécessaire d’entreprendre une diplomatie entreprenante et offensive comme celle-là. Une diplomatie qui ne laisserait pas à l’adversaire l’occasion d’exploiter le vide qu’il y a dans ce domaine.

Que pensez-vous de la communication au sujet de la question du Sahara?

Le scandale du détournement des aides humanitaires par l’Algérie et le polisario destinées aux camps de Tindouf de nouveau relevé par le rapport du (PAM)

La question du Sahara est un dossier très épineux. Pour réussir le défi de ce dossier, nous avons besoin d’une diplomatie transparente. Il faut absolument qu’il y ait une certaine transparence et des informations. Car, on ne doit pas oublier que, dans les années précédentes, la problématique ayant accompagné la gestion de la question du Sahara était due au fait que ce dossier était surtout géré de manière unilatérale et fermée. Il n’était pas géré de façon transparente. Certes, maintenant il y a une certaine ouverture sur la question, mais c’est une ouverture qui reste très limitée. Or, s’il n’y a pas encore assez d’informations à ce sujet, ni les partis politiques, ni la société civile, ni les intellectuels, ni les universitaires, ni les médias ne peuvent appuyer comme il se doit le dossier des provinces du sud. Les Marocains ont tous besoin d’une diplomatie transparente leur permettant d’avoir les renseignements afin de mener à bien la question du Sahara. Laquelle fait l’objet d’une unanimité nationale depuis le début; une unanimité qu’il faudrait d’ailleurs exploiter dans ce cadre. Car tout les Marocains croient à la légitimité de la marocaineté du sahara. D’ailleurs, ils le montrent bien à travers les manifestations. Mais il ne suffit pas de descendre dans la rue et de scander des slogans contre les adversaires du Maroc. Car, ni la scène internationale, ni les Nations Unies, ni encore les parlements ne croient en ces slogans. En fait, ils ne croient qu’aux documents et aux données scientifiques et juridiques qui affirment la marocanité des provinces du sud.

Selon vous, quels sont les éléments et les points qui font la force du Maroc dans la gestion de la question du Sahara?

En fait, les éléments et les points qui font la force du Royaume dans la gestion de ce dossier sont nombreux, voire ne se comptent pas. Mais est-ce qu’on sait bien les exploiter? C’est la question que l’on doit en effet se poser aujourd’hui. Car, si ces points ne sont pas bien exploités, ils seront sans aucune valeur. A titre d’exemple, en ce qui concerne le modèle politique marocain, on ne peut nullement le comparer à celui de l’Algérie qui appuie la thèse du Polisario depuis le début du conflit, il y a près de quarante ans. Malgré les moyens financiers pouvant faire de ce pays une force économique, ce dernier connaît des difficultés sociales et des problèmes internes. Or, le Maroc n’a pas bien exploité ce point-là.
Deuxième point fort, l’unanimité totale des Marocains autour de cette question. On n’a pas encore bien exploité cet élément. Pourtant, tous les partis politiques, les acteurs de la société civile et le peuple marocain en général sont pour l’intégrité territoriale. C’est ce qui fait vraiment la force du Maroc dans la gestion de ce dossier; contrairement à l’Algérie où il n’y a pas de légitimité sur le plan interne. Car le citoyen algérien, lui, a d’autres priorités. Mais le régime algérien -comme tout régime autoritaire- cherche toujours à exploiter des questions et des dossiers d’ordre international ou régional pour détourner les Algériens des vrais problèmes de leur pays, comme cela était le cas pour le régime syrien qui ne cessait d’insister sur le fait qu’il défendait les intérêts arabes dans la région. En réalité, tout au long de ces dernières décennies, ce régime autoritaire n’a fait qu’accumuler les armes. Et la première chose qu’il a faite, c’est d’utiliser toutes ses armes contre son peuple qui aspire à la dignité et à la justice sociale. En fait, le régime syrien ressemble beaucoup au régime algérien qui, lui aussi, est autoritaire et vit au rythme de problèmes sociaux et de pauvreté. Il ne peut donc en aucun cas constituer un exemple idéal à même d’appuyer l’autodétermination d’une partie quelle qu’elle soit. Notons enfin que l’autre élément qui fait la force du Maroc dans la gestion de ce dossier, c’est qu’il est dans son Sahara et continue d’ailleurs de renforcer le développement local dans les provinces du sud. A ce niveau, disons-le, des changements et des transformations extraordinaires ont été faites dans ces provinces-là, aux niveaux de l’urbanisme, des infrastructures, de lutte contre la précarité, de l’enseignement, etc. Ainsi, dans pratiquement tous les domaines, le Maroc a tenu à exécuter des programmes de développement très importants dans ces provinces. Et cela, c’est aussi un élément fort pour le Maroc qui, faut-il le dire, jusqu’à présent, n’a pas encore mené une vraie offensive contre l’Algérie. Surtout qu’il peut revendiquer ce qui lui a toujours appartenu historiquement: le Sahara oriental.

Interview réalisée par Naîma Cherii

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