Les époques se suivent et ne se ressemblent pas.
Mais les rapports entre femmes et hommes, eux, changent-ils ?
Les évolutions que connaissent les modes de vie, la télévision satellitaire, les nouvelles technologies et autoroutes de l’information qui mondialisent les civilisations les plus lointaines et donnent à voir d’autres façons de vivre, n’influent-elles pas sur notre propre quotidien, voire sur notre mode de pensée ?
Et cette influence, comment est-elle vue par les différentes couches de notre société ? Comment y réagissent-elles ?
Les femmes ont évolué, dit-on. Ont-elles évolué de la même façon dans notre Maroc à multiples vitesses ?
Aujourd’hui, que veulent-elles ? Qu’attendent-elles de leur vie privée ?
De quel homme rêvent-elles ?
Autrefois, au Maroc, les rapports entre les hommes et les femmes étaient clairs.
Comme dans tous les pays arabes et musulmans, la femme était la fille vertueuse, mariée très tôt et sans son avis ; puis l’épouse soumise au service de son mari et maître ; puis la mère dévouée au service de ses enfants ; puis la belle-mère redoutée qui veille à reproduire les strictes règles de la tradition ; et enfin, la grand-mère protégée et prise en charge par la cellule familiale, jusqu’à la fin de ses jours.
L’homme, lui, menait une vie essentiellement publique, partagée avec les autres hommes de la tribu, ou de l’agglomération dans laquelle il vit.
La mosquée, le souk, la rue, étaient des espaces réservés aux hommes.
disait de la femme qu’elle ne sortait de chez elle que deux fois dans sa vie, la première pour être conduite chez le mari qui lui a été choisi, la deuxième pour être enterrée au cimetière.
C’est l’homme qui faisait les courses, qui prenait en charge toutes les dépenses et faisait vivre la famille.
Chez lui, il régnait en maître sur l’ensemble de ses femmes (il a droit à quatre épouses légales) et de ses enfants.
Dans une telle société -fermée, patriarcale, machiste ; mais aussi, par ailleurs, très sourcilleuse sur les valeurs et les traditions- la femme rêvait juste d’un homme qui serait assez responsable pour respecter tous les codes de la société et assez fortuné -sinon débrouillard- pour la nourrir, elle et ses enfants et leur permettre de vivre décemment toute leur vie. Si, en plus de cela, l’homme se révélait attentionné, ou affectueux, la femme se sentait comblée.
Des époques différentes
Mais le Maroc n’est pas resté figé. La colonisation française et espagnole, l’ouverture des écoles (celles de l’occupant, puis celles du Mouvement national) où les filles ont été progressivement envoyées, la résistance au protectorat, où l’action des femmes, parfois plus efficaces parce que moins soupçonnées, nécessitait qu’elles sortent de chez elles… Tout cela a contribué à faire bouger les lignes.
Une époque en a chassé une autre et chaque époque a apporté du nouveau dans la vie des femmes et dans les rapports hommes-femmes.
Peu à peu, les femmes ont commencé à occuper l’espace public, à poursuivre leurs études, à travailler… Ce qui leur a donné un peu plus de pouvoir et le goût de l’indépendance, notamment financière.
L’émancipation de la femme, dans le monde, ne pouvait pas ne pas toucher la femme marocaine.
Certes, la femme n’a pas évolué à la même vitesse dans toutes les régions du pays. Et ce, à cause de la disparité des classes sociales, de la pauvreté, de la différence entre la femme urbaine et la femme rurale…
Son évolution, cependant, est indiscutable.
Une chose est sûre, la femme marocaine aujourd’hui impose sa volonté, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de son foyer, face à son mari, à son patron, à ses enfants…
Elle, qui ne pouvait jamais exprimer son avis, le fait désormais avec force !
Les poches de résistance existent. Parfois, ce sont les femmes elles-mêmes qui les entretiennent (comme la mère qui conseille à sa fille de ne jamais discuter les ordres de son mari, ou celle qui appuie son fils lorsqu’il exerce la terreur sur sa sœur…). Mais l’évolution est bien palpable. Ces cas-là, bien qu’encore trop nombreux, ne sont pas majoritaires.
Et l’évolution des rapports hommes-femmes?
La société a donc évolué. Est-ce pour autant que les rapports entre les femmes et les hommes ont changé dans la vie de couple, ou de futur couple ?
La réponse est bien évidemment nuancée. Il ne faut pas se voiler la face. Beaucoup de chaînes, de contraintes et de coutumes ont résisté au temps et à l’évolution du monde.
La société, premier gardien des traditions, ne lâche rien facilement. Sous la pression de la modernité, elle plie et cède sur tel ou tel point, mais elle veille à préserver ce sur quoi elle a été fondée. Elle en appelle pour ça à des arguments qu’il est difficile (et même impossible) de combattre, comme la vertu, la civilisation ancestrale, la religion…
C’est pourquoi dans certaines régions reculées ou certains quartiers conservateurs (côtoyant parfois les plus évolués), les us et coutumes résistent, au point qu’on a quelques fois l’impression que rien n’a changé depuis les années 50.
Mais les sociologues qui poussent la recherche sur le terrain affirment que, même dans ces cas-là, l’évolution a bien eu lieu. Elle a eu lieu au niveau de la prise de conscience, mais elle est combattue, au nom des traditions, des valeurs ancestrales, etc. Ils en veulent pour preuve que très peu de femmes, parmi celles qui s’accrochent aux traditions, acceptent encore la polygamie, l’enfermement à la maison, l’autorité du fils-mâle… Ou le mariage forcé.
La femme d’aujourd’hui attend-elle alors le même homme que celui qu’attendait celle d’hier ? Se comporte-t-elle de la même manière face à l’homme ? A-t-elle plus de rêves et de moyens de les réaliser ?
L’impact de la télévision et de la mondialisation
Les rêves, la femme marocaine en a plein la tête et de plus en plus… Comment peut-il en être autrement à l’époque des télévisions satellitaires qui lui montrent d’autres comportements, d’autres modes de vie et d’autres prises de conscience ?
Même la femme au foyer –voire surtout la femme au foyer- est abreuvée du soir au matin de séries égyptiennes, mexicaines et, ces dernières années, turques, où la romance, les sentiments et le rêve, sont magnifiés.
Les femmes sont coquettes et usent de leur charme, exprimant ouvertement leurs attentes sentimentales (impensable !). Les hommes sont galants, aussi soucieux de leur vie sentimentale que de leur carrière (une découverte pour toutes les femmes qui n’ont vu jusque-là que des mâles autoritaires, conquérants et inflexibles !).
Mais dans cette évolution, il y a aussi l’envers de la médaille… Il y a l’homme moins responsable dans son rôle de chef de famille ; celui qui ne voit plus d’inconvénient à compter sur la femme pour financer le foyer ; celui qui n’a plus peur de piétiner les valeurs parce que le contrôle de la société s’est relâché ; celui qui n’épouse plus 4 femmes à la fois, mais en court plusieurs, ou les épouse l’une après l’autre, jetant à chaque fois la précédente sans rien assumer de ses devoirs…
Dans ses rêves et attentes, la femme marocaine devient alors si exigeante que trouver l’âme sœur lui devient impossible. Parce qu’il lui faut les qualités de l’homme d’hier et celles qu’elle voit chez le héros des séries télévisées que toutes les femmes de son entourage se disputent du premier épisode au 900ème.
L’homme idéal
En posant la question à plusieurs femmes, pour tenter de savoir de quel homme rêvent les Marocaines aujourd’hui, on réalise que l’homme qu’elles attendent doit être un saint doté par le ciel de pouvoirs surnaturels !
Il doit être responsable, sérieux, fidèle, sensible, gagnant correctement sa vie, prêt à partager les tâches du foyer, présent en cas de maladie, aimable avec la belle-famille, serviable avec les amis… Et, si possible, comme au cinéma et à la télé, beau et amoureux !
Cela rappelle l’anecdote de cette Palestinienne qui contemple le ciel au milieu de la nuit, quand elle voit en descendre l’ange Gabriel. La trouvant seule et triste, il lui propose de lui exaucer ce qu’elle veut. Elle lui demande alors la paix pour son pays la Palestine et pour l’ensemble de cette région ravagée par la guerre depuis toutes ces années, la bonne entente entre Israéliens et Palestiniens et la prospérité dans ces contrées afin que nul n’y manque de rien. L’ange Gabriel lui répond: ce que tu me demandes est trop difficile. C’est quelque chose que personne n’a jamais pu réaliser ! Fais un autre vœu. Déçue, elle lui rétorque qu’elle se contentera d’un mari qui soit beau, sérieux, fortuné, fidèle et amoureux d’elle. Effaré, l’ange Gabriel lui dit: rappelle-moi le 3ème élément de ton premier vœu: la paix, la bonne entente et quoi d’autre…?
Bien sûr, il y a encore des femmes qui veulent seulement un homme comme ceux d’antan. C’est-à-dire, un homme qui reste à leurs côtés toute une vie, les déchargeant de tout souci financier. Point barre.
Mais les autres ? Eh bien, pour celles-là, il y a autant de types d’homme idéal que de catégories de femmes. L’étudiante a son idéal. La femme-cadre a le sien. La rurale en a un troisième. La riche, la pauvre, la moderne, la conservatrice, l’émancipée, l’islamiste… Toutes ont un idéal différent qu’elles ont construit au fil du temps et du milieu dans lequel elles ont évolué (voir les témoignages).
Et c’est bien parce que cet idéal –si diversifié- est de plus en plus difficile à trouver qu’il y a de plus en plus de femmes seules.
Soit elles ne l’ont jamais trouvé. Soit elles ont cru le trouver et, au bout de quelques temps, la désillusion a été telle que cela a fini par la séparation et le retour à la case départ.
Que toutes les femmes qui ont trouvé l’homme idéal lèvent la main !
Mariem Bennani
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Leur avis…
LM, femme au foyer
«Moi, je suis mariée depuis l’âge de 16 ans. Cela va faire bientôt 30 ans. Je me suis toujours occupée de mon foyer, de mon mari, de mes enfants. Et je trouve que c’est ça le rôle des femmes. Nous, on a été élevés dans la pudeur et l’obéissance à «moul eddar» (le maître de maison). Il n’y a pas de place pour le rêve. Je me souviens, quand j’étais petite, quand mon grand-père entrait à la maison, dès la porte d’entrée, il applaudissait pour que les femmes disparaissent dans la cuisine ou ailleurs, mais qu’elles ne se trouvent pas sur son passage, surtout s’il venait accompagné d’un autre homme. Et ni mon père, ni mes oncles et encore moins mes tantes –qui étaient tous ses enfants- n’ont jamais mangé à sa table. Le respect de l’homme était comme ça. Avec mon mari, ce n’est pas à ce point, mais je ne m’assois pas à la table de ses invités et s’il décide quelque chose, je sais que c’est dans notre intérêt».
ZA, étudiante
«Je rêve d’un mari comme on en voit dans les séries de la télévision. Ils sont beaux, ils sont amoureux, ils peuvent faire n’importe quoi par amour… Et puis, ils sont romantiques et font des cadeaux. Les Marocains ne font pas de cadeaux. Ils ne sont jamais contents quoiqu’on fasse pour eux. Et en plus, Il faut que mon mari comprenne que je dois finir mes études et peut être construire une carrière. Il ne faut pas qu’il me transforme en bonne à tout faire jusqu’à ce que je sois moche et qu’il tombe amoureux de sa secrétaire, pimpante tous les matins».
AF, femme-cadre
«Mon idéal d’homme, ce n’est pas celui que j’ai à la maison. Celui-là est sans ambition, sans sensibilité, il se laisse juste vivre et passe son temps à se plaindre. Mais c’est mon mari et le père de mes deux enfants. Donc, je m’écrase pour leur bonheur. Je suis encore jeune à 38 ans et j’ai un cœur qui bat. Mais lui, il est installé dans un ronron quotidien qui m’exaspère. Pourtant, c’est moi qui l’ai choisi. Je croyais que c’était «fares ahlami» (le chevalier de mes rêves). On dit pourtant que ce sont les femmes qui se laissent aller… Eh bien, non. Chez nous, c’est lui le meuble».
AA, Célibataire cadre
«Aïe, aïe, aïe, mon idéal n’existe pas. Il faut qu’il ait toutes les qualités qu’on ne trouve plus chez les hommes. Sérieux, viril, pas seulement pour distribuer des baffes, mais pour prendre ses responsabilités en toutes circonstances, attentionné, droit… Je sais que je demande la lune ! Mais moi, je suis jeune, charmante, de bonne famille, travailleuse, je gagne bien ma vie… Pourquoi j’accepterai un roublard qui en voudrait à mon argent et me tromperait ou me laisserait tomber à la première occasion ? Autant rester seule. Au moins, j’ai ma liberté et comme dit le proverbe, il vaut mieux être seul que mal accompagné. C’est vrai que j’angoisse un peu. Je ne veux pas finir ma vie seule. Mais combien de femmes autour de moi le sont, après un mariage raté. Je me dis donc que je ne perds rien. Et puis il n’y aura que ce sue Dieu veut !».
HS, Infirmière
«Mes goûts sont simples. Je veux juste un homme responsable et gentil. Qu’on travaille tous les deux et qu’on construise une vie ensemble. Mais je ne le trouve pas. C’est comme dans un grand magasin plein de pulls, mais vous ne trouvez pas celui, simple, que vous cherchez».