Des comportements bizarres

Saïd Ameskane, membre du Bureau politique du Mouvement Populaire (MP)

Sad Ameskane

Quelle réaction à la décision du Parti de l’Istiqlal de se retirer de la majorité?

Je n’ai pas le droit de m’ingérer dans les affaires internes d’un parti politique respectable. Le Parti de l’Istiqlal est un parti historique au Maroc qui a son poids et ses élites. Et il a le droit de prendre les décisions qu’il veut, dans le cadre de ses instances et de ses organes. Cela dit -et comme l’a dit le président français Charles de Gaule, qui avait été interpellé un jour sur une loi à laquelle il s’opposait-, je pense qu’il faudrait avoir présents à l’esprit d’abord le pays et la patrie. De Gaule avait dit que, pour lui, une seule devise: la France. Pour nous, c’est le Maroc d’abord. Tout le monde sait que la situation actuelle du pays est délicate, que ce soit aux niveaux économique et financier ou même sécuritaire. On ne peut pas organiser actuellement des élections législatives anticipées. Ce sera le dernier recours. C’est très difficile de tenir des élections dans le contexte actuel. C’est coûteux en ce moment, vu la situation qui prévaut au Maroc. Et puis, quels seront les résultats qu’on va en tirer et qu’est-ce qu’on va gagner dans tout cela? Bref, ce serait regrettable que le Parti de l’Istiqlal se place dans l’opposition.

Admettons que le Parti de l’Istiqlal passe à l’opposition. Selon vous, est-ce une solution?

Le Parti de l’Istiqlal est un parti qui a toujours joué un rôle dans le sens de gouverner, depuis les années 50. Sa vocation n’est pas d’être dans l’opposition, pour le moment. Surtout après les élections du 25 novembre 2011 qui ont été tenues en bonne et due forme. Ces élections, rappelons-le, ont pris en considération la décision du peuple marocain, ainsi que le choix de Sa Majesté, dans le cadre d’une «méthodologie démocratique». Il faut dire que c’est un peu une situation très difficile. Mais est-ce à dire que l’on doit bloquer le pays? Impossible, parce que la vie doit continuer et le budget de l’Etat doit continuer à être dépensé. J’ai lu aujourd’hui dans la presse nationale qu’une lettre aurait été envoyée par le groupe parlementaire de l’Istiqlal pour bloquer le vote des projets de toutes les lois qui sont maintenant au parlement. Je ne pense pas que ce soit une solution vraiment raisonnée de la part de nos amis de l’Istiqlal.

Quels seront les scénarii possibles, à votre avis, si l’Istiqlal maintient sa menace de se retirer de la majorité?

Comme je l’ai souligné, je pense qu’il est difficile de tenir des échéances législatives anticipées dans la situation que nous connaissons tous. Il faut le dire clairement: aujourd’hui, on a des problèmes pour équilibrer la loi de Finances; on a des déficits énormes et une Caisse de compensation qui absorbe beaucoup d’argent. On n’a pas les moyens matériels d’organiser ces élections. Et puis, il y a cette situation délicate qui prévaut dans le pays et qui touche un peu à l’investissement, à l’économie générale et à la situation sociale, sans parler des problèmes sécuritaires. Pour toutes ces raisons, je pense qu’il est difficile d’organiser des élections. A mon avis, on va aller dans une aventure qui ne sera pas heureuse. Je pense que ce n’est pas une solution. D’ailleurs, c’est difficile de le faire. La solution, c’est de maintenir la situation actuelle en attendant des jours meilleurs.

C’est justement cette situation économique difficile du pays qui est avancée par le Parti de l’Istiqlal pour justifier sa décision de quitter le gouvernement de Benkirane…

Je ne voudrais pas entrer dans une polémique avec le Parti de l’Istiqlal ou avec qui que ce soit. Mais je crois que c’est une situation qui ne date pas d’aujourd’hui, puisqu’il y a le cumul des erreurs commises par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui. A cela vient s’ajouter la crise économique internationale qui sévit depuis plus de deux ans. Une chose est certaine: on ne peut pas accuser le gouvernement actuel d’être responsable de la situation qui prévaut actuellement dans le pays. En fait, le manque d’investissements ou encore d’emplois, tout cela n’a pas été créé aujourd’hui, mais c’est un cumul depuis les années 50. Ce sont les erreurs qui ont été faites dans les choix économiques et aussi dans d’autres choix qui ont donné lieu à la situation actuelle. Le gouvernement actuel n’a gouverné qu’un an et quelques mois, jusqu’à maintenant. La question qu’il faut se poser, c’est quelle serait sa marge de manœuvre devant pas mal d’entraves et de problèmes qui sont là? On ne peut pas du jour au lendemain régler tous les problèmes. On ne peut pas -comme le demandent nos amis de l’Istiqlal- embaucher tous les jeunes qui sont dans la rue, pour la simple raison que l’administration est aujourd’hui saturée et que les postes possibles sont définis dans la loi de Finances. Notons que, lors du départ volontaire il y a quelques années, la masse salariale au Maroc était de 42 milliards de dirhams, alors qu’aujourd’hui elle est à 98 milliards. Comment faire aujourd’hui pour réduire les déficits qui sont là et qui atteignent jusqu’à 7%, ce qui est énorme? Une chose est certaine: on a des problèmes qui, en réalité, ne sont pas dus à une question de volonté, ou encore à une question de mauvaise gestion. Loin de là! Et les facteurs qui ont fait que la situation est telle qu’elle est aujourd’hui ne sont pas le résultat de l’action du gouvernement actuel.

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Est-ce que la constitution nouvelle prévoit des réponses à la situation actuelle?

Organiser des élections et avoir une majorité nouvelle. En fait, c’est cela la solution normale, la plus constitutionnelle et la plus démocratique. Mais comme je l’ai expliqué, on ne peut pas tenir des élections législatives anticipées. Ceci étant, il y a quelque chose qui ne va pas. On voit des comportements qui sont un peu bizarres. Quand on voit, par exemple, le président du parlement qui vote pour le retrait du Parti de l’Istiqlal du gouvernement, il y a quelque chose qui ne va pas. On ne peut pas être au four et au moulin. On ne peut pas être responsable d’un parlement et décider de se retirer de la majorité. Des ministres en activité ont même voté pour ce retrait, ce qui est à mon sens très bizarre. Pourquoi ces ministres ne démissionnent-ils pas carrément et clairement?

Interview réalisée par Naîma Cherii

 

Adil Benhamza, porte-parole de l’Istiqlal

adil benhamza

«Nous assumons notre responsabilité»

Le Conseil national du PI a pris la décision de se retirer du gouvernement. Comment cela est-il arrivé et pourquoi?

Effectivement, le Parti de l’Istiqlal a pris une décision difficile et, croyez-moi, ça ne l’enchante pas. Cependant, le Conseil national l’a rappelé: le parti a épuisé toutes les possibilités d’avertissement et de conseils prodigués au gouvernement, à commencer par le mémorandum du 3 janvier dernier qui a dressé le bilan d’une année de gestion gouvernementale.

Quels étaient les griefs relevés?

Ce sont cinq dysfonctionnements, à savoir l’ambiance qui règne au sein du gouvernement, l’absence de coordination, l’incapacité du pacte de la majorité à mettre en œuvre un cadre pour gérer les désaccords au sein du gouvernement, l’architecture gouvernementale qui n’est pas conforme à la déclaration gouvernementale et l’absence de gouvernance au sein de ce gouvernement.

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Que reprochez-vous au juste au gouvernement?

Nous considérons que rien n’a été réalisé en une année d’exercice, sachant que le temps presse et est contraignant.

Estimez-vous que l’Istiqlal a été lésé, volet portefeuilles ministériels, au regard des résultats des élections?

Nous avons dit que la légitimité électorale devrait refléter la valeur des portefeuilles ministériels pour chaque parti.

Est-ce que vous visez le PPS?

Nous ne visons personne, mais nous parlons de dysfonctionnements. En fait, les portefeuilles de l’Istiqlal ne correspondent pas à son poids au parlement.

C’est-à-dire?

Au parlement, le parti de l’Istiqlal (PI) est premier et non le PJD, surtout avec les deux Chambres, du point de vue numérique. Sans le Parti de l’Istiqlal, le projet de loi de Finances ne serait pas passé dans la 2ème Chambre. La représentativité au gouvernement doit refléter celle au parlement.

Le PI est un allié, donc il assume une part de responsabilité de ce qui arrive ?

Nous assumerons notre part de responsabilité en ce sens que nous avons averti de la gravité de la situation. Mais jusqu’à ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse concernant le mémorandum du 3 janvier.

La décision de claquer la porte du gouvernement est-elle irréversible?

Jusqu’à ce moment précis où nous parlons (13 mai 13), cette décision est irréversible. Nous attendons cependant le retour de SM le Roi au Royaume. Une commission est en train d’étudier le mémorandum qui sera soumis à l’appréciation du Souverain.

Est-il donc possible de revenir sur votre décision?

Il est à mon sens prématuré de se prononcer.

Propos recueillis par Mohammed Nafaa

 

Noureddine Modyane, chef du groupe istiqlalien à la Chambre des représentants

Noureddine Modyane

«On se plie tous aux décisions du Conseil national»

Qu’est-ce qui, à votre avis, a dicté la décision de se retirer du gouvernement?

Je crois que la déclaration du Conseil national est on ne peut plus claire. Le Conseil en a ainsi décidé pour mettre les points sur les «i», en parfait accord avec les militants du parti. Il délègue cependant à la direction du parti la prise des mesures nécessaires à cet égard.

Votre désaccord est-il exclusivement avec le PJD?

Il s’agit d’un malentendu continu et permanent entre les composantes de la majorité, principalement entre le Parti de l’Istiqlal et le chef de gouvernement. Il était donc de notre devoir de trancher une fois pour toutes.

Où vous situez-vous actuellement après l’annonce du retrait du gouvernement?

J’estime que nous sommes dans l’opposition.

Est-ce que c’est le Parti de l’Istiqlal qui a sollicité l’arbitrage royal?

C’est une question à poser plutôt à Si Hamid Chabat. Cependant, l’article 42 de la constitution, qui stipule que SM le Roi est garant de la pérennité et de la continuité de l’Etat et arbitre suprême, est clair.

Et le rôle de la Chabiba Istiqlalia dans la décision du retrait?

La nature de toute chabiba, c’est l’enthousiasme. Son rôle a été de mobiliser les militants du parti et d’expliquer les raisons du retrait du PI du gouvernement.

Les options actuelles, élections anticipées ou retour à l’opposition?

Nous trancherons certainement lors de la prochaine réunion du Conseil national.

Vous avez tenu aujourd’hui (lundi 13 mai 2013) une réunion du groupe parlementaire. Qu’avez-vous décidé?

Ce n’est pas le groupe parlementaire qui décide. Cependant, tout le monde se plie aux décisions du parlement du parti qu’est le Conseil national.

Propos recueillis par Mohamed Nafaa

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