La compétition vient de connaître une surchauffe, au Parlement, pour l’accession au poste le plus prestigieux de cette institution. Il s’agit de la présidence de la 1ère Chambre qui donne automatiquement à son titulaire le statut de troisième personnalité de l’Etat, après le Roi et le chef de gouvernement.
Et pour cause… D’abord, la date fatidique approche. C’est le 11 avril que le Parlement doit s’atteler à renouveler ses instances (date d’ouverture de la session du printemps).
Ensuite, la candidature à la présidence de la Chambre des représentants connaît du nouveau.
Il y a le candidat RNI -Rachid Talbi Alami- que la majorité vient de soutenir, conformément aux accords passés au moment de l’entrée du RNI au gouvernement (après le retrait de l’Istiqlal).
Mais il y a aussi un autre candidat du même RNI -Mustapha Mansouri- qui a décidé de se lancer dans la compétition et qui a des comptes à régler au sein de son parti (après avoir été éjecté de sa direction par Salaheddine Mezouar).
Sans oublier l’actuel occupant du fauteuil -l’Istiqlalien Karim Ghellab- qui a déclaré à la presse qu’il n’excluait pas de postuler pour un second mandat, après consultations et évaluation de ses chances de réussite.
Les observateurs attentifs à la vie politique marocaine savent que la «course au perchoir» sera rude ; et qu’il s’agira d’une guerre qui en cachera une autre, ayant pour enjeu à la fois la présidence de la 1ère Chambre, la présidence du RNI et le bras de fer entre le PJD et l’Istiqlal…
KB
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Course au perchoir
Duel Mansouri-Mezouar: Tous les coups sont permis
A quelque deux semaines de l’élection du nouveau président de la Chambre des représentants –siège actuellement occupé par l’istiqlalien Karim Ghellab- Mustapha Mansouri a créé la surprise en décidant de mener campagne pour le perchoir. Salaheddine Mezouar a de son côté forcé la main de la majorité gouvernementale pour soutenir son propre candidat.
Lors de sa première sortie médiatique, depuis le putsch qui l’a éjecté du Secrétariat général du Rassemblement National des Indépendants (RNI), Mustapha Mansouri, qui avait préféré vivre à l’ombre et loin des projecteurs, a décidé tout à coup de rompre le silence.
Bien plus, il a créé la surprise en décidant de se porter candidat, en avril prochain, à l’élection d’un nouveau président de la Chambre des députés qui succéderait à l’istiqlalien Karim Ghellab (à moins que celui-ci n’arrive à succéder à lui-même, ce qui semble peu probable).
Mezouar propose un package
En prenant la décision de mener campagne pour le perchoir, poste qu’il avait déjà occupé et dont il connaît l’importance et les secrets, Mansouri sait que la bataille ne sera pas facile. Son adversaire au sein du parti, Salaheddine Mezouar, lui a déjà barré la route quand il a négocié, lors des concertations avec Abdelilah Benkirane concernant l’actuel gouvernement, un package, c’est-à-dire les candidats du RNI aux portefeuilles ministériels, avec un candidat du même parti à la présidence de la Chambre des députés. Mezouar avait ainsi tenu à boucler la boucle.
Mansouri ne baisse pas les bras
Mais Mustapha Mansouri ne l’entend pas de cette oreille. Il précise qu’il n’a point l’intention de baisser les bras. Il mesure l’importance du poste de président de la Chambre des députés, important et tout aussi délicat. Ce président est celui de la 1ère Chambre du Parlement. Il est aussi, du point de vue protocolaire, la troisième personnalité de l’Etat après SM le Roi Mohammed VI et le chef de gouvernement.
Donc, autant de responsabilités qui pourraient lui permettre de mener plus tard campagne pour reprendre les rênes du RNI des mains de son adversaire et actuel patron du parti, Salaheddine Mezouar ; et de prendre sa revanche sur celui-ci. Mustapha Mansouri sait qu’«il a tout perdu: le parlement, le parti et un éventuel portefeuille ministériel. Il ne lui reste donc qu’à mener ce combat, ne serait-ce que pour déstabiliser son rival Mezouar, pour le désarçonner ultérieurement et reprendre la tête du RNI», nous a confié un de ses fidèles.
Quelques voix de plus
Pour ce faire, Mustapha Mansouri compte sur une présumée impopularité du RNIste et actuel président du groupe parlementaire du parti de la colombe (Rachid Talbi Alami) auprès de nombre de PJDistes qui lui ont toujours reproché son rapprochement avec le Parti Authenticité et Modernité (PAM).
Ces mêmes PJDistes n’hésiteraient pas à le soutenir, lui Mansouri, lors du vote d’avril prochain, en lui accordant leur voix en cas de besoin…
Mais c’est sans compter avec l’esprit de solidarité de la majorité gouvernementale et l’intelligence de Salaheddine Mezouar qui a court-circuité Mansouri en forçant ses alliés au gouvernement à accorder leurs violons et à jouer la même partition qui fait de Rachid Talbi Alami l’unique candidat de la majorité gouvernementale aux élections d’avril prochain pour le poste de président de la Chambre des représentants.
Ce faisant, Mezouar a assené un coup de massue à un adversaire qui commençait à devenir véritablement gênant et pour lequel il fallait sortir l’artillerie lourde, voyant qu’il ne désarmait pas.
Mustapha Mansouri avait prévu, dans sa stratégie, de rencontrer Mezouar. Celui-ci a esquivé le coup et réussi diplomatiquement à se débiner, promettant à Mansouri de se voir pour débattre de la question dès son retour du périple Africain.
La même demande, Mansouri l’a réitérée à Abdelilah Benkirane qui lui aurait conseillé d’en débattre au sein des instances du RNI, vu que Mezouar avait tranché en proposant Rachid Talbi Alami pour le poste de président de la Chambre des représentants.
Une chose est pourtant sûre: Mustapha Mansouri jouit du respect et de l’estime des partis politiques, de l’opposition comme de la majorité.
Nombre d’entre eux, interrogés par Le Reporter, n’ont pas caché qu’ils verraient d’un bon œil le retour de Mansouri au perchoir.
Un député PJD est allé jusqu’à nous avouer que Abdelilah Benkirane n’a pas caché sa colère devant l’aveu de certains élus de son parti de soutenir Mansouri. «De quoi je me mêle?», aurait dit Benkirane en ajoutant: «C’est le RNI qui est notre allié et non Mansouri. C’est donc au sein de ce parti que la question doit être débattue et réglée».
Si Mansouri a tout perdu comme il l’aurait avoué, selon ce que nous a confié un député RNI, pourquoi alors n’accepterait-il pas l’offre que lui aurait faite Salaheddine Mezouar? Il s’agirait d’un poste d’ambassadeur quelque part dans le monde; solution qui permettrait à Salaheddine Mezouar, actuel ministre des Affaires étrangères, de se débarrasser d’un rival gênant.
L’annonce de la position de la majorité gouvernementale (soutien à la candidature de R. Talbi Alami) suffira-t-elle à persuader Mansouri de ne pas aller de l’avant et de renoncer à son ambition de revenir aux commandes de la Chambre des représentants où il compte, nous a dit un haut fonctionnaire au parlement, de nombreux fidèles nostalgiques du bon vieux temps où il présidait aux destinées de la première Chambre?
Salaheddine Mezouar, la force tranquille, en politicien et, aujourd’hui, en diplomate, tire de loin les ficelles et évite tout commentaire. Mieux encore, il tranche une à une les sept têtes d’un adversaire coriace et à l’échine, semble-t-il, solide.
En viendra-t-il à bout? L’avenir nous en dira plus…
Mohammed Nafaa
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Leur avis…
Hakim Benchemmas, président du groupe du PAM à la Chambre des conseillers (Photo Benchemmas)
Une cuisine interne…
«Nous n’avons rien à voir avec l’affaire de la candidature du RNIste Mustapha Mansouri à la présidence de la Chambre des représentants. Je dirais plutôt que nous sommes neutres. Nous avons entendu dire et lu dans la presse que Salaheddine Mezouar aurait proposé Rachid Talbi Alami à la présidence de la première Chambre. C’est leur cuisine interne et nous ne savons pas où est la vérité dans tout cela».
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Noureddine Modyane, chef du groupe istiqlalien à la Chambre des représentants
Mustapha Mansouri est toujours là
«L’élection du président de la Chambre des représentants est une affaire de concertation entre la majorité et l’opposition. Se porter candidat à la présidence de cette Chambre, c’est le droit de chaque député. Donc, plusieurs députés peuvent, s’ils le désirent, être candidats. Mais la tradition veut qu’il y ait coordination entre les composantes de la majorité et de l’opposition pour choisir un candidat.
Mustapha Mansouri, comme nous l’avons appris par la presse, persiste. D’ailleurs, c’est son droit le plus absolu de se présenter comme candidat à la présidence de la première Chambre. C’est »leur » affaire de choisir le candidat du parti. L’annonce faite par le gouvernement d’avoir choisi un candidat donné n’est pas démocratique. C’est une ingérence dans les affaires intérieures des partis politiques. L’intervention de Abdelilah Benkirane est une ingérence -à voir la loi sur les partis politiques- et une spoliation de leurs droits constitutionnels. Les prochains jours cachent certainement des surprises et d’autres candidats pourraient sortir de l’ombre».
Déclarations recueillies par M. Nafaa
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Partis politiques
Quels enjeux ?
Trois partis politiques se retrouvent au centre de cette «course au perchoir».
En premier lieu, le RNI. Pour ce parti, il est clair que l’accession au poste de Président de la 1ère Chambre est aussi bien un enjeu de majorité gouvernementale qu’un enjeu interne au parti.
Il faut obtenir le siège pour conforter les positions de la majorité, puisque Karim Ghellab, actuel président de cette Chambre, a vu son parti –l’Istiqlal- basculer dans l’opposition.
Mais ce n’est pas tout. Encore faut-il se soucier du choix du candidat RNI qui remportera l’élection. Car, si c’est Rachid Talbi Alami qui est élu, le courant qui a porté Salaheddine Mezouar à la tête du parti sera conforté. Mais si, par un quelconque hasard, c’est Mustapha Mansouri qui l’emporte, le courant Mezouar aura du fil à retordre, sachant que Mansouri n’a jamais pardonné à ce courant de l’avoir renversé, alors qu’il était le N°1 du RNI.
Le deuxième parti politique à être concerné par cette compétition est l’Istiqlal. C’est l’un des siens qui occupe actuellement le poste tant convoité… Et il aurait bien voulu rempiler. Ce qui aurait eu lieu, sans aucune difficulté, si l’Istiqlal n’avait pas claqué la porte de la majorité, après en avoir bloqué les travaux pendant plus d’un an et demi. Mais aujourd’hui, le PJD –chef de file de la majorité- ne laisserait jamais passer un deuxième mandat de Karim Ghellab, en sa qualité d’Istiqlalien.
L’Istiqlal et son chef, Hamid Chabat, auraient-ils le secret d’un effet de manche qui conduirait à maintenir Ghellab à la présidence ? Cela est peu probable, mais l’Istiqlal cherchera immanquablement à parasiter l’élection, ne serait-ce que pour rester dans son rôle de plus virulent opposant à la majorité de Benkirane.
Enfin, le troisième parti bel et bien concerné et impliqué dans cette course à la présidence de la 1ère Chambre du Parlement, c’est le PJD. L’élection du candidat qu’il soutient (Rachid Talbi Alami) relève de sa responsabilité de chef de la majorité et entre dans la compétition majorité-opposition. Il n’est pas question de laisser à l’opposition un poste aussi important que celui de la présidence de la 1ère Chambre.
Mais, plus encore, elle relève des accords passés lors des négociations menées avec le RNI, pour sauver la majorité après la sortie de l’Istiqlal. Elle relève donc d’une parole donnée et il faut tout faire pour la voir respectée. C’est dans ce sens que s’inscrit le rappel à l’ordre du chef de gouvernement à ceux de son parti qui auraient des velléités de pencher pour Mustapha Mansouri…
KB