C’est un traumatisme pour la société française. Un choc qui va avoir des conséquences au niveau politique, mais aussi des lois sécuritaires. Les politiques paraissent sidérés au vrai sens du terme. La presse, elle, en revanche, tente de comprendre.
La mise en avant, dans les vidéos djihadistes de Daech, de combattants français au premier plan des égorgeurs et des bourreaux, fait bien sûr partie de la communication de l’entité terroriste. On voit bien qu’il s’agit de Français de type européen et donc de convertis. Des Français «de souche», pour reprendre une expression très controversée, qui brûlent leurs passeports, appelant les musulmans de France à rejoindre leurs rangs ou à frapper en France même. Le djihadisme franchouillard est une réalité.
La mise en scène de la férocité comme un argument de propagande et de recrutement est presque une nouveauté. C’est en tout cas un retour à des pratiques d’un autre temps. Les nazis et les Soviétiques n’ont jamais mis en image leurs atrocités et les charniers modernes doivent être découverts du Rwanda au Kosovo; ils ne sont jamais révélés. On revient au temps où les Romains crucifiaient les esclaves révoltés ou aux forêts d’empalés de Vlad Dracul Tepez (inspirateur de Dracula) pour intimider en Transylvanie les armées du sultan turc.
En France où l’on a abandonné la notion d’assimilation et où l’intégration est souvent en échec devant les conduites communautaires, ces conversions, débouchant sur un fanatisme meurtrier, remettent en cause bien des idées reçues. Le Front National est particulièrement embarrassé -qui mettait en cause certaines mosquées et les immigrés-; il se trouve face à des «Normands» recrutés par «internet».
Mais tout le monde en fait tente de comprendre.
Le Figaro tente de dresser le portrait du «djihadiste français».
Un rapport publié par le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam renverse tous les préjugés sur les candidats au djihad en Syrie et en Irak. Le CPDSI est un organisme privé, fondé par la chercheuse et anthropologue Dounia Bouzar qui a pour objectif de lutter contre la radicalisation islamique en France. Le centre a été contacté par plus de 160 familles, dont les témoignages constituent la base de ce rapport long de 90 pages. Dans cette étude, les auteurs (Dounia Bouzar, Christophe Caupenne, Sulayman Valsan) s’interrogent sur le «prêt à croire» du religieux mondialisé, sa cible et son vecteur privilégié de propagation: internet. Ils mettent en évidence un élargissement des cibles du discours radical.
Parmi ces jeunes candidats au djihad issus des familles interrogées, les classes moyennes sont majoritaires (67%), les milieux populaires (16%), à égalité avec les catégories socioprofessionnelles supérieures (17%). Le rapport souligne une forte représentation des milieux enseignants et éducatifs.
Contrairement à une idée reçue, les recrues de l’islam radical ne se trouvent pas en majorité dans des familles musulmanes très pratiquantes: 80% des familles ayant affaire au CDPSI se déclarent athées et seules 10% comportent un grand-parent immigré. Les nouveaux convertis affichent sans complexe leur radicalisation sur leurs pages Facebook, pour que leur témoignage serve d’exemple.
Le Monde donne des chiffres parlants.
Au total, un rapport de l’ONU, cité par The Guardian, estime que 15.000 personnes issues de 80 pays ont rejoint les groupes fondamentalistes en Irak et en Syrie. Au niveau européen, environ 3.000 ressortissants sont partis faire le djihad, selon les chiffres avancés par le coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove -la Belgique, le Royaume-Uni et la France faisant partie des plus importants contingents occidentaux-. Le nombre d’Européens morts en Syrie et en Irak est estimé à environ 120 personnes depuis le début du conflit en 2012.
Plus d’un millier de ressortissants français sont actuellement impliqués dans le djihad. Certains chiffres frôlent cependant les 3.000. Ils ont été repérés par les services de renseignement. Parmi eux, il y aurait au moins 843 hommes et 243 femmes. 53 seraient mineurs. A l’heure actuelle, 268 Français ont clairement exprimé leur désir de partir rejoindre les rangs de l’EI, selon le procureur de la République de Paris, François Molins.
En septembre, l’Assemblée nationale française a adopté un projet de loi de «lutte contre le terrorisme», porté par Bernard Cazeneuve, qui crée notamment une interdiction de sortie du territoire pour empêcher le départ de jeunes Français candidats au djihad vers la Syrie. Examiné en procédure accélérée, il instaure aussi le nouveau délit «d’entreprise terroriste individuelle» et la possibilité de blocage administratif de sites glorifiant le terrorisme.
Mais pour le moment, la solution politique et surtout sociétale de cette dérive assez terrorisante est loin d’avoir été trouvée.
Patrice Zehr