Le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Ahmed Réda Chami a appelé, lundi à Rabat, à la mise en place d’une stratégie intégrée de résorption de l’informel au Maroc.
Cette stratégie devrait ramener progressivement le poids de l’emploi informel dans l’emploi total à environ 20%, une moyenne proche du groupe de pays développés, a dit M. Chami qui s’exprimait lors d’un séminaire tenu par la Chambre des Conseillers et le CESE pour présenter et discuter des conclusions de deux rapports élaborés par le Conseil, dans le cadre d’une auto-saisine, sous les titres “Une approche intégrée pour limiter le poids de l’économie informelle au Maroc” et “l’intégration économique et sociale des marchands ambulants”.
La cible de 20% concernerait surtout les activités de subsistance et les unités de production informelles à capacités limitées, a-t-il poursuivi, relevant qu’un objectif de tolérance zéro est, en revanche, adossé aux activités illicites, souterraines et celles relevant de l’informel concurrentiel.
Le président du CESE a, aussi, fait remarquer que ce sont les formes “hors informel de subsistance” qui constituent la véritable menace pour le Maroc, à l’image de la contrebande, des activités souterraines des entreprises “formelles” (sous-déclaration du chiffre d’affaires ou des employés, etc.), ainsi que l’informel “concurrentiel” au niveau duquel les opérateurs se soustraient délibérément de leurs obligations, bien qu’ils disposent des ressources et des structures nécessaires pour s’en acquitter.
Les pouvoirs publics ont lancé plusieurs programmes favorisant l’intégration du secteur informel, a-t-il rappelé, notant que les impacts des actions entreprises demeurent, toutefois, limités et ce, pour plusieurs raisons qui ont trait notamment au niveau de qualification insuffisant, lequel exclut de nombreux actifs de l’économie formelle, au système de protection social encore, à ce jour, faiblement inclusif, aux problèmes de représentation des opérateurs informels, aux entraves réglementaires à la formalisation et au difficile accès au financement et au marché.
M. Chami a également souligné que l’informalité permet, certes, à de larges franges de la population de subsister et d’échapper au chômage, mais favorise en même temps la précarité sur le marché de l’emploi, exerce une concurrence déloyale sur les entreprises formelles et pénalise l’économie nationale, avec un manque à gagner très significatif en matière de recettes fiscales.
Parallèlement, il a mis en avant quelques mesures phares proposées par le CESE, dont la suppression des barrières réglementaires et administratives en procédant à la refonte des textes obsolètes ou inapplicables qui entravent la formalisation et en améliorant l’attractivité du statut de l’auto-entrepreneur. Il est proposé pour ce type d’entreprenariat d’élever le seuil de chiffre d’affaires annuel maximal et d’autoriser le recrutement d’un maximum de 2 ou salariés.
Le Conseil, d’après M. Chami, propose aussi de réviser le mécanisme de la Contribution Professionnelle Unique (CPU) et des droits complémentaires d’accès à la protection sociale de façon à indexer directement la cotisation à la capacité de paiement de chacun (plus de progressivité) et de renforcer l’offre d’accompagnement en conseil et assistance en offrant des prestations adaptées pour l’orientation des différents entrepreneurs informels souhaitant initier leur intégration et en garantissant un accompagnement de bout en bout pour les entrepreneurs souhaitant migrer vers le statut de SARL (Société à responsabilité limitée).
Il s’agit, en outre, de mettre en place une bourse de la co-traitance pour encourager les soumissions groupées des auto-entrepreneurs et micro-entreprises aux marchés publics et distinguer, au niveau de la commande publique, la part minimale de marchés à dédier aux autoentrepreneurs et aux coopératives de celle accordée aux petites et moyennes entreprises (PME) et de renforcer les contrôles et les inspections à différents niveaux (inspection du travail, CNSS, contrôle de conformité technique, etc) en veillant à ce que le niveau des sanctions soit suffisamment dissuasif et proportionnel à la gravité du délit.
Pour sa part, le président de la Chambre des Conseillers, Naama Mayara, a mis l’accent sur l’importance des sujets soulevés par les deux rapports qui sont en ligne avec les préoccupations et fonctions de la Chambre des Conseillers.
L’économie informelle est un phénomène universel qui pèse sur la macroéconomie, a-t-il dit, ajoutant que l’Organisation internationale du Travail (OIT) définit l’économie informelle comme “l’ensemble des activités économiques des travailleurs et des unités économiques qui, en droit ou dans la pratique, ne sont pas couverts par des dispositions formelles, ou sont insuffisamment protégés”.
Sur le plan national, M. Mayara a rappelé les conclusions et recommandations d’une étude publiée par Bank Al-Maghrib (BAM) en 2018 et qui révèle que l’informel présente trois périodes d’évolution distinctes. Il s’agit de la période 1988-1998 où l’économie informelle stagne quasiment à environ 40% du PIB, de celle 1999-2008 marquée par une diminution de l’informel à 32-34% du PIB et de la période 2009-2018 caractérisée par la poursuite de la tendance baissière, mais à un rythme plus modéré pour atteindre un niveau juste en-dessous de 30% du PIB.
Si cette étude souligne que les stratégies mises en œuvre pour améliorer l’environnement institutionnel, économique et financier ont contribué à réduire la taille de l’économie informelle, elle insiste, parallèlement, sur la nécessité de réformes structurelles supplémentaires, notamment celles liées à l’éducation, au système judiciaire, à la politique fiscale et au marché du travail, estiment ces chercheurs, compte tenu qu’aucune politique unique ou isolée ne peut conduire à une diminution significative du poids de l’informel, a relevé M. Mayara.
Ce séminaire s’est articulé autour de la présentation des conclusions des rapports, portant sur les défis de la structuration des activités économiques informelles, notamment ceux relatifs à la mise à niveau et l’accompagnement, l’intégration dans le système de la couverture sociale, la représentativité des acteurs de l’informel, la levée des barrières légales et réglementaires et la facilitation d’accès au financement et au marché.
Ont pris part à cette rencontre qui s’inscrit dans le cadre du partenariat et de la coopération entre la Chambre des conseillers et le CESE, des membres des deux institutions et un nombre d’acteurs auditionnés lors de la préparation des rapports en question.
LR/MAP