Le sujet nous préoccupe tous en ce moment. Il n’y a que les imbéciles qui pensent encore que cette préoccupation est d’ordre secondaire. Tous les autres citoyens savent que c’est l’avenir du pays qui se joue. Ce sont ceux qu’on forme aujourd’hui (ou qu’on ne forme pas) qui auront le pays entre les mains, demain. Si certains peuvent se dire «après nous, le déluge !», ni les politiques, ni les médias n’ont droit à la démission intellectuelle. Il nous faut impérativement reconnaître, à la fois, notre échec et notre devoir d’y faire face.
Notre échec est simple à diagnostiquer: nous n’avons pas réussi à mettre en place un système éducatif qui permette un réel décollage du pays. Nous avons, aujourd’hui, non seulement une trop grande partie de la population qui souffre d’analphabétisme (40% assurent certains) –ce qui est inconcevable et inacceptable en ce 3ème millénaire- mais en plus, toute une génération montante qui ne croit plus en l’enseignement. Ni celui de l’école, ni celui des universités.
A quel moment avons-nous tué l’amour pour l’école, pour les études, pour le savoir ? De notre temps (c’était il y a des lustres), nous aimions notre établissement scolaire, nos institutrices et instituteurs, la compétition pour la 1ère note, les excursions, les matchs inter-classes… Nous aimions nettoyer nos pupitres à la fin de l’année, préparer la kermesse des au-revoir avant les vacances d’été… Nous aimions tout simplement l’école et notre vie d’écoliers. Les plus pauvres se battaient avec encore plus d’acharnement pour «étudier», pour avoir droit à une vie d’écoliers. L’école publique était la fierté du pays. Tous les espoirs d’ascension sociale étaient placés en l’école et «Lakraya» (les études).
Que reste-t-il de tout cela aujourd’hui ?
Quand et comment avons-nous anéanti le rêve qui accompagnait celle ou celui qui prenait le chemin de l’école, puis du lycée, puis de l’université ?
L’écolier disait «quand je serai grand, je serai policier, pilote, docteur…». Le lycéen disait «quand j’aurai le bac, je ferai des études dans telle ou telle université». L’universitaire disait «à la fin de mes études, je gagnerai tant et j’en ferai ceci…».
Encore une fois, qu’en est-il aujourd’hui ?
Le constat est amer. L’amour de l’école et le rêve qui y naissait et grandissait avec l’écolier ont été perdus, égarés… Ils ont disparu.
Et nous en sommes tous coupables.
Culpabilité de l’Etat, en premier, qui a laissé l’éducation s’enliser jusqu’à toucher le fond, ou négligé certaines lames de fond, comme celle des instituteurs islamistes des années 60, dont feu Cheikh Yassine est un pionnier. Et ce, alors que, paradoxalement, le budget alloué à l’éducation par l’Etat s’est toujours taillé la part du lion dans le budget général.
Culpabilité des partis politiques qui se sont succédé à la tête du département en charge de l’éducation nationale et qui ont fait des choix plus souvent politico-politiciens que visionnaires (exemple de l’Istiqlal avec son arabisation désordonnée).
Culpabilité des parents qui ont démissionné, croyant que gagner de l’argent pour assurer le bien-être de la famille passait avant les soucis de scolarité des enfants.
Culpabilité des enseignants dont le niveau ne cesse de décliner, à mesure que leurs motivations matérielles et financières prennent le pas sur leurs devoirs de pédagogues et encadrants.
Culpabilité de la société qui ne valorise plus le savoir, ni les études, ni l’effort, ne s’inclinant que devant l’argent et encore plus devant l’argent facile, obtenu au moyen de raccourcis (et peu importe si ces raccourcis sont douteux).
Enfin, culpabilité des principaux intéressés, les jeunes, qui optent de plus en plus pour la facilité, très peu enclins à consacrer plusieurs années à des études sérieuses ; et convaincus que leurs études ne mèneront qu’au chômage.
C’est donc une prise de conscience générale qu’il faudrait, pour ressusciter l’amour des études et les rêves qui vont avec. Autant dire un miracle…
Bahia Amrani