Le maréchal Al Sissi a été élu sans surprise président de l’Egypte. Un vote qui apparaît comme un retour à la case départ. Un retour en tout cas à un régime dominé par l’armée et hostile aux islamistes, dans la continuité, sinon de Nasser, du moins de Sadate et encore plus de Moubarak.
Effacée donc, la révolution? Quoi qu’il en soit, l’élection de Abdel Fattah Al Sissi sonne le retour de l’armée au pouvoir -tous les présidents égyptiens, depuis la chute de la monarchie en 1952, étaient des militaires jusqu’à la courte parenthèse de l’islamiste Morsi-.
Il est vrai que du mouvement de la place Tarik, il ne reste pas grand-chose au niveau des expressions électorales et démocratiques. Le taux faible de participation lui révèle cependant le maintien d’une Egypte pro-islamiste, malgré l’échec au gouvernement des Frères musulmans et la répression toujours en cours.
L’élection du maréchal président n’a pas fait disparaître la fracture égyptienne. Le défi d’Al Sissi sera celui de la stabilité et du retour des touristes accompagnant un redressement de l’économie. Il le fera par la force ou la réconciliation. La deuxième voie est certes la plus souhaitable, mais aussi la plus improbable.
En effet, le triomphe chez ceux qui ont voté ne peut faire oublier la faible participation au scrutin.
A l’issue de l’élection présidentielle qui s’est étalée sur trois jours, dont une journée de prolongation pour augmenter le nombre des votants, selon des résultats préliminaires, Al Sissi recueille 96,2% des suffrages exprimés (23,38 millions de votes). Son unique adversaire, Hamdine Sabahi, une vieille figure de la gauche, considéré souvent comme un simple faire-valoir, n’a eu que 3,8% des suffrages validés. M. Sabahi a reconnu sa défaite, disant «respecter la volonté populaire» lors d’une conférence de presse au Caire. Mais le chiffre essentiel est ailleurs. Le taux de participation, annoncé à 47% environ, est plus faible que prévu et va peser sur la légitimité du vainqueur.
Au deuxième jour de l’élection, alors que le vote devait normalement s’arrêter, il y avait moins de 40% de votants. Les pro Sissi se sont montrés alors très inquiets et ont mobilisé tous les moyens. Etre obligé de prolonger le vote est le signe que le plébiscite attendu n’a pas eu lieu.
Moustapha Al-Bakri, pro-Al Sissi, a ainsi accusé les abstentionnistes d’être «des traîtres»: «Si chacun se dit que ce n’est pas la peine d’aller voter et qu’on peut boycotter, c’est l’avenir de la Libye ou de la Syrie qui nous attend. Si vous ne votez pas, c’est que vous êtes avec les terroristes».
Même son de cloche chez Amr Adib, autre présentateur vedette des télés égyptiennes pro-pouvoir: «S’il n’y a que 10 millions d’électeurs, qu’est-ce qu’on va dire au monde? Que le peuple égyptien ne veut pas de la feuille de route présentée par le candidat Abdel Fattah Al-Sissi après le renversement du président élu en juillet dernier, Mohamed Morsi? Autant rouvrir la prison tout de suite et libérer Morsi», l’ancien président issu des Frères musulmans.
«Personne hors d’Egypte ou en Occident n’a jamais cru qu’il s’agissait d’une élection libre et juste», a estimé Shadi Hamid, chercheur au Saban Center américain. Mais avec la prolongation du scrutin, «le régime est apparu comme incompétent et ne cachant pas son cynisme, ce qui va galvaniser les Frères musulmans», a-t-il prédit.
C’est bien sûr le véritable danger pour la société égyptienne et pour le nouveau président. Et les Frères musulmans, qui avaient appelé au boycott du scrutin, ont eu beau jeu d’évoquer, mardi soir (3 juin), en parlant des 37% de participation, une «gifle» donnée au pouvoir et un «certificat de décès du coup d’Etat» du 3 juillet 2013.
Mais ils risquent également de se tromper d’interprétation car, quand le résultat d’un scrutin ne fait aucun doute, il n’y a pas grand-chose à faire pour inciter les gens à se déplacer pour voter».
Quant à la tâche qui attend le président Abdel Fattah Al Sissi, elle est absolument titanesque. Il va devoir répondre rapidement aux défis qui attendent ce pays et, en premier lieu, rétablir l’économie. Le tourisme, qui représente 11,3 % du PIB et fait vivre directement pas moins de 3 millions de personnes, est en berne. La croissance stagne et les grèves se multiplient dans des secteurs industriels sensibles, comme le textile ou les transports. Le président Al Sissi a déjà reçu une bouffée d’oxygène de la part des pays du Golfe (Arabie saoudite, Abou Dhabi et Koweït), sous la forme d’aides cumulées de 8,8 milliards d’euros, qui sont passées depuis à 14,6 milliards d’euros. Une «récompense» pour s’être débarrassés des Frères musulmans, véritable terreur des monarchies du Golfe… Alors que la répression l’a éloigné un peu de son protecteur traditionnel les USA…
Patrice Zehr