Certes c’était un règne de 70 ans, l’un des plus longs de l’Histoire. C’était une femme admirée dans le monde entier. Mais dans les hommages à la Reine, il y a eu partout une admiration du système monarchique.
Les dictateurs dans le monde ne sont pas des rois. Partout, le système monarchique a évolué en s’adaptant à l’époque, en préservant traditions et spécificités. Même quand le Souverain ne gouverne pas, il incarne. Elisabeth II incarnait la Couronne, une dynastie et une religion. Dans une foi commune Peuple et Roi ne font qu’un. Cet hommage mondial au système monarchique ne peut qu’être bien ressenti au Maroc où il est éminemment représenté.
La mort de «the qeen» lui donne même, au-delà d’une légitimité incontestable, une actualité modernisée. Le Roi incarne la Nation et la religion et, de l’intégrité territoriale aux luttes contre les dérives islamistes, il est l’incarnation de la défense de l’essentiel partagé par tous.
Ainsi était Elisabeth II, ainsi se voudra Charles III. Avec l’accession au Trône, se pose la question de l’exercice du pouvoir et de la marque que le nouveau Souverain souhaite imprimer. Si la monarchie britannique demeure l’une des plus puissantes du monde, le Souverain dispose aujourd’hui d’attributions très restreintes, bien inférieures à celles du Roi du Maroc ou d’un président français. Il a notamment gardé certains pouvoirs politiques, connus sous le nom de «prérogatives personnelles». Parmi elles, la nomination du Premier ministre, l’ouverture et la clôture des sessions du Parlement et la signature de la législation. En plus de ces devoirs constitutionnels, le monarque est le chef des forces armées, de la magistrature et de la fonction publique. Il est également le gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre depuis le schisme anglican au XVIe siècle. Charles III devient aussi le chef du Commonwealth et le chef d’État dans quinze des 53 autres pays membres du Commonwealth. Outre ce que lui confère la Couronne, le Roi s’est illustré dans le passé par ses prises de position. Une en particulier a retenu l’attention: l’écologie. En septembre 2021, l’ancien prince de Galles débarquait sur Amazon Prime Video avec une chaîne baptisée «RE : TV», afin de sensibiliser le public aux thématiques écologiques. À bien des égards, Charles avait été un précurseur lorsqu’il s’était engagé il y a plusieurs décennies pour la préservation de l’environnement, avant que celle-ci ne devienne l’un des enjeux majeurs de notre époque. Un engagement que le Souverain aura à cœur de prolonger, selon Philippe Chassaigne. «Depuis les années 1970, il est vraiment préoccupé par cette question, poursuit le spécialiste du Royaume-Uni. En 1985, il avait notamment transformé en ferme biologique son domaine de Highgrove dans le Gloucestershire. Il soutient aussi l’urbanisme durable à travers ses associations caritatives et rejette les constructions contemporaines à Londres qu’il avait comparées à des « furoncles »».
On verra comment vont évoluer aussi les rapports du Souverain avec le Commonwealth, notamment sur le continent africain. Elizabeth II s’est rendue 21 fois en Afrique. Selon le site de la Famille Royale, la Reine a visité pratiquement tous les pays du Commonwealth. Parmi ses tournées en Afrique, celle de fin 1961 fut parmi les plus essentielles, comme le rappelle Meriem Amellal Lalmas, journaliste à France 24. Du 9 au 20 novembre 1961, la Reine décide de se rendre au Ghana, en dépit de l’opposition de la presse et de la classe politique britanniques, qui s’inquiètent d’un voyage dangereux et d’une dérive autoritaire du Président ghanéen de l’époque, Kwame Nkrumah. À son arrivée, la Reine d’Angleterre est très bien accueillie. Mais c’est surtout lors d’un bal organisé en son honneur qu’elle marque les esprits: devant les objectifs du monde entier, elle danse avec le président du Ghana.
Cette image semble banale aujourd’hui. Mais dans le contexte, c’était extrêmement avant-gardiste. C’était une femme blanche qui dansait avec un homme noir, c’était la Souveraine d’un Empire qui dansait avec un sujet, tel qu’il était alors considéré. Les relations fraîches ou compliquées entre Elizabeth II et Margaret Thatcher s’incarnent d’ailleurs autour de l’approche du Royaume-Uni vis-à-vis de Nelson Mandela: alors que la « Dame de Fer » considère le Congrès national africain (ANC), le parti de Madiba, d' »organisation terroriste », la Reine tend la main à celui qui a passé 27 années en prison. Peu après sa libération, en 1990, elle accueille Nelson Mandela au Royaume-Uni. Cinq ans plus tard, elle se rend elle-même en Afrique du Sud, où le leader de l’ANC vient d’être élu premier Président de la République. Dans les années qui ont suivi sa libération, Nelson Mandela a cultivé un lien proche avec la Reine », qu’il avait affublée du surnom de « Motlalepula » (« venue avec la pluie »), après la visite de 1995 qui fut marquée par des pluies torrentielles.
On terminera sur une photo celle de la Reine d’Angleterre partageant un méchoui avec le Roi Hassan II… Elle le mange à la marocaine lors d’une visite en 80 qui restera pour tous et pour la Reine elle-même dans les annales.
Patrice Zehr