«Tous les services de police doivent garder leur niveau d’alerte au niveau le plus haut»
La dangerosité de la dernière cellule terroriste démantelée par le BCIJ, les nouvelles stratégies des activistes de Daesh et la gravité des plans projetés au Maroc, nous ont poussés à vouloir en savoir plus sur ces activités et sur l’évolution de la lutte anti-terroriste dans notre pays.
Nous avons donc sollicité le Directeur du Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ, surnommé le FBI marocain), Abdelhak Khiam, afin de nous éclairer sur ces évènements et tout ce qui y a trait. Mr Khiam a bien voulu accepter de répondre à nos questions.
Les suites de l’enquête concernant la cellule qui vient d’être démantelée, le nouveau profil et les nouvelles stratégies des terroristes au Maroc, l’après Abu Bakr al-Baghdadi, les menaces au Sahel et les échanges d’informations entre services anti-terroristes, le rapatriement des femmes et mineurs marocains se trouvant dans les zones de conflit… Un round up très instructif.
Le BCIJ a récemment procédé au démantèlement d’une cellule terroriste dont les membres sont liés à l’Organisation dite «Etat Islamique». Où en sont les investigations en cours ? Et qu’en est-il pour le Syrien, avez-vous idée sur son identité ?
Les sept membres qui évoluent au sein de cette cellule de Tamaris ont été présentés aujourd’hui (mardi 5 novembre 2019) devant la justice, pour les faits qui leur sont reprochés. Quant au Syrien, malheureusement, nous ne l’avons pas encore identifié. Les investigations sont toujours en cours. C’est une personne qui joue un rôle très important dans l’embrigadement des membres de cette cellule. Le chef de file de cette cellule terroriste a été mis en contact avec ce Syrien par le biais d’un Marocain, à Fès. Et c’est ce Syrien qui l’a mis en contact, par la suite, avec les opérationnels du pseudo Etat islamique. Son portrait robot à déjà été établi, bien sûr, selon les signalements qui ont été donnés par les mis en cause qui composaient La cellule. Nous l’avons diffusé à tous les services de police. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on travaille d’arrache-pied pour arriver à ce Syrien. Nous avons d’ailleurs pris des mesures au niveau des frontières pour qu’on ne le laisse pas sortir du Maroc. Les services qui sont chargés de la recherche sur le terrain mènent leurs investigations dans ce sens.
Quelle est la particularité de la cellule de «Tamaris» ?
Vous savez, les membres de cette cellule -et principalement son chef de file- avaient un plan dévastateur. Ils projetaient de perpétrer des actes terroristes ciblant des sites très névralgiques au niveau de Casablanca. Ils voulaient mettre en œuvre leur plan au niveau des sites maritimes. Ce qui est nouveau. Le chef de file, ainsi que deux autres membres de la cellule, voulaient mettre en avant leurs qualités de maître-nageur. Ils avaient même effectué des visites sur les lieux avec prise de photos au niveau du port de Casablanca. C’est l’émissaire de Daesh, le Syrien, qui s’est chargé d’abord de leur expédier les sommes d’argent utilisées pour acheter l’équipement destiné à la plongée. C’est une première de vouloir commettre des actes terroristes en utilisant des équipements de plongée.
Leur projet visait essentiellement à paralyser partiellement l’économie nationale et semer la psychose au sein de la société marocaine. Par la suite, quand ils auraient commis leurs crimes à Casablanca, ils comptaient prendre la fuite vers le nord du Maroc où ils ont déjà eu deux planques, une au niveau de Ouazzane et une autre au niveau de Chefchaouen. Ils ont déjà visité une base arrière qu’ils prévoyaient prendre comme maquis. Là, ils voulaient rééditer ce qui s’est passé avec les autres groupements terroristes ayant sévi dans plusieurs pays. Ils avaient l’intention de lancer un appel à tous les sympathisants de Daesh pour les rejoindre au maquis, afin de commencer à commettre des actes terroristes. Nous avons d’ailleurs visité cette zone qui se situe entre deux montagnes, dans la région de Ouazzane.
Depuis quand êtes-vous sur l’affaire ?
Il y avait d’abord un travail fait par les services qui relèvent de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire national en matière de collecte d’informations. Ces services ont recueilli les informations sur place et soumis ces personnes à des surveillances ininterrompues. Après cela, nous avons été informés par notre service central (quinze jours avant l’arrestation des membres de la cellule). C’est là que nous avons commencé à tenir des réunions avec la Direction chargée de la lutte contre le terrorisme pour avoir une idée sur l’affaire. On était sûr que ces personnes préparaient des projets malveillants contre le Royaume. Il fallait intervenir avant qu’ils passent à l’acte.
Compte tenu de l’arsenal intercepté lors de cette opération, peut-on dire que le profil des terroristes est en train de changer, au Maroc ?
A travers le traitement de cette affaire, on peut voir clairement qu’il y a eu un changement dans la stratégie et le profil des terroristes. D’ailleurs, c’est pour la première fois qu’on arrête des membres d’une cellule ayant un savoir de la plongée et ayant établi un plan d’actes terroristes ciblant l’économie nationale par des actes au niveau maritime.
La mort d’Abu Bakr al-Baghdadi mettra-t-elle en cause la pérennité de l’Etat islamique ?
Après la mort de Ben Laden, j’avais dit qu’Al Qaïda allait continuer et elle a continué. Faut-il le souligner, nous n’avons pas affaire à une personne, mais à une doctrine et à une idéologie. Daesh a fait véhiculer une idéologie à travers la toile. Et elle capture facilement des personnes pour les imprégner de cette idéologie.
On se rappelle très bien qu’après les offensives de la coalition mondiale anti-Daesh, au niveau des zones de conflit, notamment en Irak et en Syrie, Abu Bakr al-Baghdadi avait incité ses fidèles à sévir là où ils sont, avec les moyens de bord dont ils disposent. D’ailleurs, il y a plusieurs actes terroristes qui ont été commis avec des armes blanches ou avec des véhicules.
La mort de Abu Bakr al-Baghdadi ne veut donc pas dire que nous avons gagné la guerre. Certes, on a gagné une bataille, mais on n’a pas encore gagné la guerre contre l’idéologie. Ça va continuer. Autant donc, pour tous les services de police, garder leur niveau d’alerte au niveau le plus haut.
Au Sahel, la violence n’est pas près de disparaître. Ces derniers jours, les actes terroristes se multiplient. Une cinquantaine de soldats ont été tués au Mali…
Il faut s’attendre à ce que les sympathisants veuillent se venger, après la mort de leur leader. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons affaire à une idéologie. Donc, la guerre va être plus longue. J’espère qu’on aura le dessus. Car la situation est inquiétante.
Y a-t-il un échange d’informations entre le Maroc et les pays de cette zone?
Nous entretenons de bonnes relations de coopération et d’échanges de renseignement avec tous les services du pourtour du Sahel, y compris le Mali et tous les autres pays qui sont touchés par ce fléau du terrorisme. Nous avons même donné un coup de main à nos amis Ivoiriens dans ce domaine.
L’échange de renseignements entre les services de sécurité africains, c’est une priorité pour nous. On fait partie de l’Afrique et, compte tenu de notre situation géopolitique, on est confronté à plusieurs défis pouvant parvenir justement de cette zone qui souffre de beaucoup de problèmes. A savoir, notamment, l’expansion démographique, les problèmes liés au climat, les problèmes de fragilité de certains pays, etc.
Les activités illicites, comme le trafic de la cocaïne et des armes, la contrefaçon des titres de voyage, ou encore l’immigration clandestine, sont aussi florissantes dans cette zone, qui connaît la présence de plusieurs groupuscules terroristes. Lesquels ne sont pas uniquement liés à Daesh, mais aussi à Al-Qaïda au Maghreb islamique, où cette dernière continue de sévir.
Le manque d’informations avec l’Algérie peut-il avoir un impact sur votre travail de lutte contre le terrorisme ?
Nous, nous nous occupons de notre sécurité à l’intérieur de notre pays. Le Maroc a pris toutes les mesures pour assurer sa sécurité et sa stabilité. Mais il s’investit également dans une dynamique de coopération internationale. Vous savez, les attaques terroristes sont perpétrées partout, aux USA, en Australie, en nouvelle Zélande, en Afrique, ou encore en Asie. Cela présuppose donc que tous les services de la police doivent coordonner entre eux et échanger des renseignements, pour faire face à ce fléau.
Personnellement, j’ai toujours demandé à ce qu’il y ait une coopération avec tous les pays, y compris maghrébins. Nous sommes dans la région du Maghreb arabe. Et nous sommes liés par beaucoup de choses. La sécurité de nos citoyens au niveau de ces pays, nous intéresse donc tous.
J’ai toujours lancé un appel à mes collègues algériens pour qu’on coopère ensemble là-dessus. Car nous sommes tous confrontés à la zone du Sahel et à la zone subsaharienne. Je pense que c’est une nécessité pour nous tous.
Qu’en est-il du dossier de rapatriement des Marocains ? Y a-t-il un échange de renseignement avec les services irakien et syrien dans ce sens ?
L’échange de renseignement se fait avec les pays de la coalition mondiale anti-daesh. Comme vous le savez, le Maroc s’est engagé, dès les attentats du 11 septembre, à participer activement dans cette coalition mondiale, contre ce fléau-là. C’est donc avec eux qu’on travaille pour, justement, avoir une idée sur ce qui se passe dans cette zone. D’ailleurs, pour le rapatriement des huits combattant marocains qui étaient incarcérés dans ces zones, cela a été fait sous l’égide de la coalition.
Quel est le traitement réservé aux femmes marocaines ayant accompagné leurs époux partis faire le djihad en Syrie et en Irak ?
Le traitement de ces femmes et de ces enfants est un traitement à part. A moins qu’il y ait une femme qui soit partie faire le djihad. Car là, elle tombe sous le coup de la loi antiterroriste. Mais celles qui sont parties avec leurs époux et ont été induites en erreur par eux, pour qu’elles les rejoignent dans ces foyers de tension… Ces femmes, si elles veulent revenir dans leur pays, elles le peuvent, bien entendu. Mais elles auront un traitement spécial. Elles bénéficieront d’un programme de réinsertion dans la société marocaine. A noter que 289 femmes marocaines et 391 mineurs se trouvent actuellement dans les camps des combattants en Syrie et en Irak et attendent d’être rapatriés.
Le bureau de la lutte contre le terrorisme du département d’Etat américain a publié, il y a quelques jours, son rapport annuel sur le terrorisme dans le monde. Ce document salue la stratégie marocaine dans le domaine de la lutte contre ce fléau. Qu’en pensez-vous ?
Ce qui nous intéresse, nous, le plus, c’est d’assurer d’abord notre sécurité. L’expérience marocaine a été saluée bien avant ce rapport publié récemment par le département d’Etat américain. Le Maroc a donné une idée claire sur la lutte contre ce fléau, laquelle ne se limite pas à son aspect sécuritaire uniquement. La stratégie marocaine est une action qui est beaucoup plus développée, pour lutter contre cette doctrine à travers plusieurs créneaux. Et en même temps, il y a la mise en place d’un arsenal juridique approprié à ce genre de criminalité.
Les USA ont salué notre stratégie. L’Union européenne a également salué les efforts déployés par le Royaume, dans ce domaine. Et il y a aussi tous les pays arabes et asiatiques qui nous ont salués.
A noter que nous avons essayé d’exporter l’expérience marocaine en matière de lutte contre le terrorisme à plusieurs pays. Il y a des pays européens qui souhaitent s’inspirer de cette expérience marocaine en renforçant leur coopération avec le Royaume. Notamment au niveau de l’échange de renseignement.
Interview réalisée par Naîma Cherii