Madame Zouari vous êtes la Présidente du parlement des écrivaines francophones. Pouvez-vous nous présenter cette association et ses objectifs ?
Il s’agit d’abord d’une aventure intellectuelle et d’un «parlement littéraire». Le but est de créer un réseau de solidarité et d’échanges entre écrivaines et d’affirmer qu’il existe un «écrire-ensemble» capable de renforcer les liens entre écrivaines, où qu’elles se trouvent. Ce lien est d’abord créé par le fait d’écrire dans une seule langue, le français, dont nos parlementaires ont fait leur véhicule d’écriture, de valeurs, de rêves et de combats. A partir de là, le PEF entend travailler à faire reconnaître la place de l’écrivaine et rendre distincte sa voix ; à dénoncer ce qui porte atteinte à l’intégrité morale ou physique des écrivaines ; à affirmer notre implication dans le combat pour l’émancipation. Nous offrons de la sorte un espace de prise de parole destiné à donner le point de vue des femmes sur les grandes questions d’actualité et les crises qui secouent nos sociétés. Le Parlement compte aujourd’hui plus de 150 membres issus des quatre coins du monde et c’est cette diversité aussi qui fait sa richesse.
Cette présidence s’inscrit dans un parcours personnel où la langue française a joué un rôle important ?
Je ne me suis pas vue, dès le début, en initiatrice d’un tel projet car, en réalité, je ne suis pas une militante dans l’âme ni une activiste associative. Les choses sont venues petit à petit. L’arabophone que je suis à l’origine a vu le français devenir sa langue d’écriture et, peu à peu, son territoire d’expression, son territoire tout court, sa demeure ou son pays ultime. Le projet de mettre en exergue cette langue allait passer de l’aventure personnelle à l’aventure collective. Avec ces questions ou ces défis: Comment rassembler autour d’une langue qui véhicule les valeurs que nous chérissons en tant que femmes, notamment l’égalité et la laïcité ? Comme, écrire dans cette langue en la métissant et en en faisant le «fiat», comme dirait Jacques Berque, d’autres cultures et d’autres façons d’être au monde. Le Parlement est une partie de la réponse et de l’importance grandissante de la place que le français a continué à prendre, non seulement dans mon écriture, mais dans mon implication dans le combat pour le droit et les libertés.
Diriez-vous que le français est un outil efficace pour l’avancée des droits de la femme dans toute la francophonie ?
Toute langue peut-être un outil efficace de libération, mais tout dépend de celui qui l’utilise et de la manière dont il le fait. Il n’en demeure pas moins que le français reste une langue qui véhicule de grandes valeurs et une pensée des Lumières sur laquelle tout militant et toute militante des droits de l’Homme peut tabler. Dans ce sens, parler le français, l’écrire, peut ouvrir des fenêtres sur le monde et amorcer un projet d’altérité. Enseigner le français dans des pays arabes comme les nôtres, c’est forcer les jeunes à sortir des ornières et de l’Histoire officielle, c’est donner à voir d’autres façons de réfléchir, de négocier la modernité et de moduler les imaginaires.
Le livre francophone au féminin reflète t-il bien les aspirations des femmes d’aujourd’hui ?
Toutes les femmes qui écrivent ne sont pas forcément militantes. En plus, je n’ai pas eu le bonheur ni la possibilité de lire tous leurs livres. Mais chacune d’elle peut, en exprimant ses aspirations et ses désirs propres de liberté -ou d’exister tout simplement- relayer l’espoir de toutes les femmes. Le fait même d’écrire est une entreprise d’émancipation. Il consiste pour les femmes à dire «je», à échapper à la seule logique du clan et de la tribu, à sortir notre parole des Nuits de Shéhérazade. Et c’est déjà beaucoup.
N’y a t- il pas dans le combat féministe le risque d’une cassure avec un conflit de générations. La pression wokiste, le néo féminisme politique, ne sont-ils pas finalement un danger pour le combat pour l’avancée des droits de la femme, notamment dans les pays traditionnels et conservateurs, nombreux dans la francophonie ?
Effectivement. Je trouve que nous sommes devant des combats qui sont en train de mettre en sourdine des luttes prioritaires et essentielles à mes yeux, parce qu’il s’agit de survie, avant tout. Tous ces mouvements autour des identités sexuelles, du retour sur la colonisation, ou du wokisme, sont minoritaires, même s’ils sont très médiatisés. S’ils ont leur raison d’exister, il ne faut pas qu’ils fassent perdre de vue le dossier des femmes, ni laisser prendre le pas de l’individuel sur le collectif, le subsidiaire sur l’essentiel. En quoi le wokisme ou le désir de changer de sexe sont-ils plus vitaux que la nécessité pour des millions de femmes d’échapper à la réclusion et à la mise sous tutelle ; de réclamer le droit d’aller à l’école, de respirer à l’air libre, de vivre, d’être traité comme un être humain, tout simplement ?
En ce qui concerne le Maghreb. Vous êtes tunisienne, comment selon vous évoluent les droits de la femme en Tunisie mais aussi bien sûr au Maroc. Dans le premier pays, il parait y avoir eu un temps des avancées révolutionnaires puis des reculs importants, alors que dans le second on est dans une évolution constante mais très prudente. Quel bilan en feriez-vous aujourd’hui ? Comment allez plus loin ?
La Tunisie a toujours été à la pointe de l’émancipation féminine grâce au Code du statut personnel concocté par Bourguiba en 1956 déjà. Du point de vue des lois, il n’existe pas un seul pays arabo-musulman qui soit allé aussi loin. Hélas ! La Révolution n’a pas été bénéfique sur ce plan et l’arrivée des islamistes a rogné, non pas sur les droits, mais sur les mentalités. Aujourd’hui, il y a un recul évident des mentalités, justement. Il reste aux Tunisiennes la loi, bien sûr, ce qui n’est pas le cas d’autres pays arabes et musulmans où la condition des femmes peut offrir tous les signes extérieurs de la libération sans pour autant bénéficier du rempart des lois qui me paraît fondamental. D’ou l’intérêt de ce qui se passe en ce moment au Maroc.
Entretien réalisé par Patrice Zehr