«Notre mission est d’aller là où personne ne va»
Pour Pierre Lucas, responsable du Programme alimentaire mondial (PAM) pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale, le Maroc dispose de plusieurs atouts précieux pour le PAM et ses opérations dans la région.
Que pouvez-vous nous dire du PAM dans le contexte actuel ?
Le PAM, qui est le Programme alimentaire des Nations Unies, a reçu le mandat en 2002 de gérer toutes les opérations aériennes civiles pour l’ensemble des Agences des Nations Unies et de la communauté internationale. A ce titre, nous avons des opérations aériennes dans plus de quinze pays à travers le monde.
Quelle est votre mission?
Nous assurons le transport de plus de 300.000 passagers par an et nous volons dans des endroits où personne ne va.
Qu’est-ce qui empêche les autres transporteurs de voler dans ces endroits ?
Ce n’est pas rentable pour les opérateurs commerciaux et c’est trop complexe pour des raisons de sécurité.
Quelques exemples?
Nous avons démarré des opérations en Mauritanie et au Mali et nous avons trois avions qui volaient tous les jours dans ce dernier pays. En raison de la crise, la compagnie Air Mali a arrêté ses vols et nous l’avons remplacée. Nous travaillons au Tchad, en Somalie, en Afghanistan… Donc, dans des endroits où ce n’est pas rentable et trop dangereux d’y aller pour les opérateurs commerciaux.
Quel est le rôle de ce service aérien?
Il est essentiel pour permettre à la communauté humanitaire de répondre aux besoins des crises à travers le monde. A ce titre, le PAM a acquis une expertise en matière de sûreté et de transport aériens dans les environnements les plus complexes.
Quel est le but de la 5ème Conférence mondiale sur l’aviation humanitaire qui se tiendra à Marrakech du 9 au 11 octobre 2013?
Le but de cette conférence est de réunir autour d’une table tous les spécialistes de l’industrie aéronautique, en particulier ceux de la sécurité, les opérateurs, etc, pour échanger leurs vues en matière de sécurité et leurs expériences de travail respectives dans des environnements très complexes.
Pourquoi avoir choisi le Maroc pour abriter la 5ème Conférence mondiale sur l’Aviation Humanitaire?
Nous avons choisi le Maroc parce qu’à notre sens, c’est un pays stratégique en matière d’industrie aéronautique. Derrière Royal Air Maroc, il y a un certain nombre de grands noms de l’industrie aéronautique qui travaillent au Maroc, comme Bombardier et autres. Et, pour nous, la localisation de ce pays est stratégique, parce que la plupart de nos opérations, notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale, se trouvent à proximité du Maroc.
Dans quelle mesure le Maroc peut-il vous servir de plate-forme?
Le Maroc peut nous servir de plate-forme pour la maintenance de nos appareils et pour un certain nombre de choses dans ce domaine. Dans ce sens, le développement de l’industrie aéronautique au Maroc et la proximité géographique sont des atouts extrêmement importants dans cette coopération.
Quels types de transport?
Nous avons deux types de transports. Nous transportons des passagers et nous sommes une véritable compagnie aérienne avec plus de 52 appareils. Nous transportons donc 300.000 travailleurs sanitaires par an. C’est le cas par exemple au Niger où il n’y a pas de compagnie nationale. Et nous assurons le transport de la communauté humanitaire.
Qu’entendez-vous par communauté humanitaire?
Ce sont les organisations des Nations Unies, mais aussi et surtout les ONG: transport de passagers, mais également transport de produits humanitaires. Nous faisons même de la chaîne du froid. Certaines ONG nous demandent de transporter des vaccins pendant les campagnes de vaccination. Nous faisons également du largage des vivres dans les endroits difficiles d’accès.
Une expertise unique ?
Cette expertise d’aviation en milieu extrême est unique comme vous dites et c’est pour cela que nous réunissons, une fois par an et pendant quatre jours, tous les spécialistes, y compris les représentants de l’aviation civile marocaine, de la puissante Organisation de l’aviation civile américaine et de l’Organisation de l’aviation civile internationale l’OACI qui participent à nos ateliers. En outre, nous échangeons nos expertises, surtout dans les domaines de la sécurité, de la sûreté, des facteurs humains…
Quel est le niveau de sûreté de vos avions?
Nous développons des niveaux et standards de sûreté comparables à ceux d’Air France ou de British Airways, mais en travaillant dans des endroits extrêmes où les températures dépassent 42°. Voilà le challenge auquel nous sommes confrontés et le pourquoi de cette 5ème Conférence de Marrakech.
Quelle relation avec la stratégie que compte entreprendre le Maroc, volet immigration? Est-ce que vous y avez un rôle à jouer?
Nous n’avons pas de rôle direct dans le domaine de l’immigration. Nous avons plutôt un rôle d’assistance humanitaire. Le PAM assiste les populations qui ont les plus grandes difficultés. J’imagine que le fait d’aider les populations dans leur pays participe à limiter les flux migratoires des gens qui cherchent à quitter leur pays parce qu’ils sont désespérés.
Le Maroc a donc à gagner de ce partenariat avec le PAM ?
Je pense que c’est un partenariat gagnant-gagnant qui va dans les deux sens, c’est-à-dire que nous gagnons tous dans le développant de cette industrie. Indirectement, l’industrie marocaine gagne dans son domaine proprement dit, mais aussi dans l’appui humanitaire d’urgence. Le Maroc a un rôle politique de stabilité dans la région et un soutien aux opérateurs aériens des Nations Unies.
Il y aura des opérations humanitaires à partir du Maroc?
Vous savez, le Maroc peut servir de base arrière pour nos opérations aériennes. Pour votre information, pendant les deux ans de crise libyenne, nous avons opéré des vols à partir de Chypre. Donc, le Maroc peut très bien servir de base arrière pour nos opérations humanitaires.
En avez-vous déjà discuté avec les autorités marocaines?
Nous avons des relations «diplomatiques» au niveau des Nations Unies avec les autorités marocaines. Donc, j’imagine que, si la question de mise en place de ponts aériens ou d’opérations aériennes se pose, cela sera mis sur la table. Mais nous avons des relations quotidiennes avec les autorités marocaines à travers les Nations Unies. Pour ce qui est de la 5ème Conférence internationale, qui aura lieu à Marrakech, du 9 au 11 octobre 2013, elle sera organisée par le Département aviation du PAM (Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies). Un grand nombre d’organisations internationales travaillant dans le domaine civil y participent, telles l’Agence Européenne de l’Aviation, la Fédération Aéronautique Américaine (FAA), l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI)… Donc, tous les opérateurs aériens qui travaillent avec le PAM, tous les spécialistes et un certain nombre de représentants d’organisations humanitaires et de l’aviation civile marocaine seront présents. Il s’agit d’un événement à caractère international avec tous les spécialistes de l’industrie aéronautique qui seront présents à Marrakech.
Quelle sera la thématique de cette Conférence?
Toutes les thématiques de sécurité aérienne dans les opérations de l’aviation humanitaire. Les discussions et les débats seront orientés sur la Safety (sécurité aérienne), comme tous les aspects liés au facteur humain et aux spécificités de nos opérations aériennes en milieu extrême. Nous travaillons dans des environnements difficiles comme en Afghanistan et au Sahara. Il y aura beaucoup de discussions techniques dans le domaine de la spécificité de ces opérations et de leur sécurité dans leur environnement complexe.
Etes-vous allés jusqu’aux camps de Tindouf?
Je crois qu’à l’époque, nous avons volé dans cette zone. Aujourd’hui, nous n’avons plus d’opérations aux camps de Tindouf.
Empêchés de travailler dans cette zone?
Pas du tout.
N’avez-vous pas exprimé votre disposition à y travailler?
En fait, c’est en fonction des besoins humanitaires. Nous travaillons avec le HCR (Haut-commissariat aux réfugiés) et volons pour lui. Mais, quand l’accès routier est possible, cela coûte moins cher que d’aller en avion. Enfin, tout est possible. Nous appartenons au Département logistique du PAM, donc nous travaillons avec le Département logistique du HCR, de l’UNICEF, etc. L’avion est un outil utile au même titre que le camion, la route… Vous parliez du Sahara: nous volons à la frontière libyenne, au Niger… Nous y avons plusieurs vols par mois.
Est-ce que le budget alloué aux opérations aériennes répond aux besoins?
C’est là tout le challenge. Le budget des opérations aériennes du PAM et de la communauté humanitaire est à peu près de 180 millions à 200 millions de dollars par an. Donc, mobiliser des ressources pour effectuer nos opérations est un challenge énorme. Heureusement, nous sommes soutenus par la coopération internationale, les grandes agences de coopération, les Fonds des Nations Unies, etc. Tout ce qui est aide bilatérale est précieux pour nous et nous dépendons de la communauté humanitaire et des grands donateurs pour pouvoir mener nos opérations.
Vous arrive-t-il d’accuser des déficits?
Tout à fait. Nous avons ce qu’on appelle des Pipeline Break et c’est extrêmement préoccupant. Et là, nous tirons la sonnette d’alarme. Heureusement, nous arrivons à mobiliser au dernier moment certains bailleurs de fonds et donateurs.
Quels sont vos plus généreux donateurs? Les pays du Golfe, peut-être?
Nous recevons souvent des aides en nature. Nous souhaiterions avoir plus de soutien de ceux que nous appelons dans notre jargon les nouveaux donateurs, en particulier dans un contexte de crise mondiale. Un exemple: malgré la crise qui dure depuis trois ans, l’Espagne n’a pas cessé de soutenir nos opérations. Les pays du Golfe sont pour nous des pays dont nous souhaiterions avoir plus de soutien.
Le rôle du Maroc?
Le rôle du Maroc est pour moi essentiel. C’est d’abord le développement de son industrie aéronautique. Aujourd’hui, la Royal Air Maroc et un certain nombre de groupes, comme Bombardier, ont développé la maintenance au Maroc. Pour nous, le développement de l’industrie aéronautique dans ce pays est très important, parce que c’est à proximité de nos zones d’opération. Ainsi, nos opérateurs peuvent venir au Maroc et faire la maintenance de nos appareils. Il s’agit d’abord d’un atout technique. Encore, le Maroc est un pays stable, un modèle dans toute la sous-région. Pour nous, c’est une proximité géographique, une base arrière pour nos opérateurs. Pour ce qui est des atouts, le Maroc en possède beaucoup. Ils sont précieux pour le PAM pour pouvoir travailler dans la région.