C’est un essai de Nouzha Guessous. À travers cet ouvrage dont les racines sont puisées dans son histoire personnelle, l’auteure livre son regard sur l’évolution de la perception et du statut des femmes marocaines depuis les années soixante du siècle dernier jusqu’au début des années 2000.
Une évolution observée donc depuis les années 60 jusqu’aux débats autour de la Moudawana. Débats auxquels elle a directement pris part en tant que membre de la Commission Royale Consultative chargée de la révision du Code de la famille. Ce n’est en aucun cas un récit passéiste. Il permet plutôt de voir le chemin parcouru et surtout de mettre en lumière des impératifs autant culturels que politiques.
Nouzha Guessous a en effet fait partie de la Commission Royale Consultative chargée de la révision du Code de la famille (2001-2004). Lors de ces débats, souvent houleux, elle a été comparée au Houdhoud, la huppe du récit coranique.
Ce moment, particulier dans sa vie, l’a amenée à faire le parallèle avec son histoire personnelle et l’envol qui l’a poussée à quitter le nid familial, prendre appui sur ses racines pour dresser le tronc et les branches de la femme qu’elle est devenue. Mais ce n’est que deux décennies plus tard, qu’elle consent à livrer dans un écrit son parcours ; une distanciation nécessaire.
Pour elle, écrire aujourd’hui est une invitation à poursuivre le dialogue sur les droits des femmes dans la société marocaine. Un dialogue plus que jamais d’actualité pour revisiter les dogmes et les partis pris.
Quelques extraits de l’ouvrage
«Ma participation à la Commission consultative chargée de l’élaboration du projet de la Moudawana de 2004 s’est inévitablement accompagnée d’un fastidieux travail de fouille de ma mémoire personnelle qui s’est révélée, souvent à mon insu, largement enchevêtrée avec des éléments de la mémoire collective sur les femmes dans une société musulmane telle que la mienne, celle du Maroc après l’indépendance. J’ai dû y naviguer entre les époques, les faits, les personnes, les rêves et les émotions; ce qui a réveillé et réactivé en moi le besoin d’écrire dans une tentative de dénouer ce qui s’y était joué en moi et pour moi. […] Une raison majeure de ce passage à l’acte de l’écriture est certainement liée aux demandes, de plus en plus insistantes, d’une révision fondamentale du Code de la famille de 2004 qui, aujourd’hui, a montré ses ambiguïtés et ses insuffisances. Écrire précisément aujourd’hui est une façon de poursuivre le dialogue». (Page 28)
«C’est ainsi que je garde le souvenir très clair d’une religion sans violence et qui n’avait rien à voir avec la logique de ces pratiques mercantiles apparues depuis avec ses circuits de recettes à appliquer pour ramasser les hassanates, sortes de bons points censés garantir le paradis dans l’au-delà. C’était d’abord une éthique de comportement qui nous enseignait la sincérité, l’honnêteté, la bienveillance, la justice et la solidarité comme fondements de la foi. Le tout dans une atmosphère de piété dans la discrétion, la spiritualité et la confiance en la clémence divine. Cela nous encourageait nous, les jeunes, à faire de notre mieux». (Page 51)
«Je découvrais la méfiance et l’animosité que ces Madame Toulemonde pouvaient exprimer envers les femmes qui, comme moi, contestaient les privilèges établis, ce qui me ramenait régulièrement aux mêmes questions. Comment est-ce que le joug du mari, succédant à celui du père, devient la chose la plus importante que tant de femmes autour de moi cherchaient à légitimer et à défendre ? Où se situe la frontière et quelle part peut-on attribuer à l’autonomie de choix de chaque personne et au pouvoir aliénant de l’idéologie patriarcale dominante ? Comment arrêter cette spirale de transmission de la soumission des femmes et de la tyrannie des hommes ? Et, surtout, comment trouver en moi un équilibre entre l’empathie et la colère contre ces femmes pour pouvoir vivre et agir avec elles dans cette société?». (Page 122)
«J’ai eu à me frotter à la toute-puissance des convictions, progressivement incrustées par le fiqh chez les musulmans, comme des vérités d’essence divine, absolues et exclusives pour la compréhension de l’islam. Il m’a fallu écouter, dialoguer et questionner rationnellement des croyances et des pratiques séculaires des musulmans, au risque de me faire excommunier, ou tout au moins d’y perdre le nord… et l’est ! Et surtout me documenter en quête d’analyses et d’avis émanant de théologiens éclairés qui pouvaient parfois être déjà appliqués dans les juridictions familiales d’autres pays musulmans». (Page 137)
«M’écrire», c’était faire face à mes propres choix sans enjeux de devenir. Et prendre la mesure des chemins empruntés et des aboutissements. C’était regarder en face un chemin de vie marqué par deux moments de grand envol. Le premier qui, en me faisant quitter le nid familial vers l’ailleurs, a pris appui sur mes racines pour dresser le tronc et les branches de ce que je suis. Le second, qui a duré trente mois pour l’élaboration du Code de la famille de 2004, m’a fait remonter le temps et l’espace tout en voyageant dans mes tréfonds. Trente mois de fouilles dans la doxa du fiqh pour essayer d’en démonter et démontrer les fondements qui sont, encore aujourd’hui, «responsables de la transformation de l’histoire en nature, et de l’arbitraire culturel en naturel» (Bourdieu 1998). Page 232.
À propos de l’auteure
Nouzha Guessous est biologiste médicale et chercheure en droits humains et en bioéthique. Elle a été professeure de la faculté de médecine et du CHU de l’Université Hassan II de Casablanca et présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (2005-2007). Essayiste, coordinatrice et co-auteure de livres collectifs, elle a participé à Ce qui nous somme. Réflexions marocaines après les évènements des 7 au 11 janvier 2015 à Paris (La Croisée des Chemins, 2015) et Pourquoi suis-je sur Facebook? Des Marocains croisent leurs paroles (Le Fennec, 2013). Elle est également auteure de chroniques et de tribunes sur les questions de droits des femmes et de bioéthique.
Une femme au pays des Fouqaha. L’appel du Houdhoud de Nouzha Guessous – La Croisée des Chemins, 2021 – 246 pages – Prix: 90 DHS