Et moi qui allais quitter mes parents!

Jalila, 28 ans, cadre administratif, est célibataire.  Se marier et renoncer aux nombreux privilèges que lui offre la vie chez ses parents, il en est désormais hors de question pour cette jeune femme, depuis sa dernière rencontre… Voici ce qu’elle raconte.

«Aujourd’hui, il n’existe plus de prince charmant qui va transformer le destin d’une jeune fille ou jeune femme en un conte de fée en l’épousant. Ce qui l’attend pour sûr,  c’est soit une vie dure, soit une vie triste à pleurer, avec en sus, dans les deux cas de figure, beaucoup trop d’exigences.

J’avoue que tout cela, je n’en avais pas la moindre idée. C’est l’expérience qui me le dévoilera. Parce qu’il y a deux mois, j’avais bien failli tomber dans le panneau avec Amine, que j’ai connu dans le train; ce jeune homme pour qui j’avais le béguin, de loin. Je le voyais pourtant chaque jour. Nous habitons tous les deux à une trentaine de kilomètres de Casablanca, la ville où nous travaillons. A force de prendre aux mêmes horaires aller et retour le même transport en commun, il était impossible de ne pas nous reconnaître. Quelquefois, il nous arrivait même d’être assis l’un près de l’autre. Cependant, nous restions tous les deux de marbre. Une fois arrivés à destination, à la hâte et sans nous retourner, nous prenions chacun notre chemin soit pour le boulot, soit pour rentrer chez nous. La routine était immuable, franchement détestable. J’aurais pu y discerner de l’anormalité, mais non…

Cela dura près d’une année. Jusqu’à ce fameux soir où nous étions de retour assis l’un à côté de l’autre. Le train s’étant immobilisé sans que l’on sache pourquoi, une longue attente dans le noir absolu, en pleine campagne, allait enfin faire fondre la glace. Moi mal à l’aise, je ne cessais nerveusement de consulter mon téléphone. Ce petit appareil non seulement éclairait l’obscurité ambiante, mais il me rattachait au monde. Mon inquiétude s’amplifia lorsque je me rendis compte qu’il allait me lâcher d’une minute à l’autre. Je tentais d’avertir ma mère que j’étais bien assise dans le train du retour. Vu qu’elle ne me répondait pas, je lui envoyais un texto pour lui éviter de se faire un sang d’encre. Je ne pouvais savoir si elle l’avait reçu, mon téléphone s’était éteint définitivement. Mon voisin Amine m’espionnait discrètement sans m’adresser la moindre parole. La panique commençait à se faire sentir dans le wagon, les gens rouspétaient. Plus de 30 minutes s’étaient écoulées sans que personne ne nous donne des détails sur l’origine de cet arrêt. C’est dans une cacophonie absolument insupportable que je connus enfin le timbre de voix d’Amine.  Du coup, le bruit ne m’importait plus, ni l’arrêt, ni quoique ce soit. J’étais séduite par notre échange de paroles, bien qu’il fût au départ à la limite de la banalité.  Nous conversions sur les problèmes inhérents au transport ferroviaire et notamment celui que nous subissions en ce moment. Nous avions tellement ri de certains petits problèmes assez épiques et insolites. De fil en aiguille, je sus qu’il travaillait dans le secteur bancaire. Il me tendit sa carte de visite et j’en fis de même. Nous n’avions cessé de papoter dans le noir.

Ma jalousie m’a servi à maîtriser mon portable !

Une heure plus tard, notre train démarra et notre idylle aussi. A la station d’arrivée, nous nous fîmes la bise comme des gens qui se connaissaient depuis longtemps. Je planais de légèreté, un peu comme si l’on m’avait ôté une lourde armure. Ma mère remarqua mon euphorie bien qu’elle fût très en colère. Elle pestait d’avoir été obligée de rester sur place de peur de me louper durant tout ce temps, alors qu’elle-même avait eu une rude journée. Elle changea d’humeur  lorsque je lui racontai en chemin ce qui s’était passé, sans oublier de mentionner la prise de contact avec Amine. Une fois installée dans mon lit, je repassais mentalement et minutieusement tout ce que nous nous étions dit quelques heures auparavant. Lorsqu’enfin je posais ma tête sur mon oreiller pour dormir, l’arrivée d’un texto me fit bondir. C’était Amine qui m’expédiait un petit message. J’en étais ravie. Le lendemain, je le trouvais au portillon de la gare attendant mon arrivée, un gobelet de café à la main.

Ce fut ainsi durant plusieurs mois. Nous prenions toujours le train ensemble, déjeunions, sortions tous les week-ends et jours fériés. Nous nous baladions dans son auto, nous discutions, puis il me ramenait chez moi. Ensuite, il me présenta à ses parents. A partir de là, je le rejoignais souvent chez lui pour y passer l’après-midi. J’aimais bien être en sa compagnie, pourtant quelque chose n’allait pas. Ce qui clochait dans notre relation, c’était un manque de fantaisie et de laisser-aller. Je le trouvais trop pantouflard, trop sérieux, trop guindé et excessivement pointilleux. Je n’étais jamais à l’aise avec lui, j’avais toujours peur de faire ou de dire quelque chose de travers. Je ne savais rien de ses fréquentations. Et puis,  je n’ai jamais pu toucher son téléphone, ni même passer un simple appel. Alors que lui, ça ne le gênait pas de consulter le mien sans ma permission. Lorsqu’Amine me demanda de l’épouser, cela ne me porta pas aux nues. Cette proposition était trop hâtive, j’en savais trop peu sur lui. Même ce peu, au fond, ne m’attirait pas à vrai dire. Je ne me voyais pas non plus abandonner la vie doucereuse et quiète chez mes parents qui me chouchoutaient, pour m’en aller me cloîtrer, pour servir quelqu’un d’ennuyeux et rigide qui ne me montrait de lui que ce qu’il voulait.

Moi, le pompiste, je voudrais tant sauver ma mère !

Je connus son véritable profil psychologique lorsque je lui demandai un temps de réflexion pour la proposition qu’il m’avait faite. Et là, coup de théâtre! Jamais de ma vie, je n’avais entendu pareil débit de paroles aussi vulgaires. Nous étions dans sa voiture, fort heureusement devant notre porte d’entrée. Il hurla un «dégage, salope!», ouvrit la portière et me poussa violemment pour sortir de la voiture.  Plus jamais, je ne le revis, ni à la gare, ni ailleurs. Il avait aussi bloqué tout ce qui pouvait nous relier: le téléphone, les applications et les réseaux sociaux. J’étais définitivement retirée de sa liste de contacts ou amis. Il ne saura probablement jamais à quel point il m’avait rendu service.  Et puis, finalement, je ne cesserai jamais de dire que la vie avec mes parents, il n’y a vraiment pas mieux».

Mariem Bennani

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