Khadija, sans emploi fixe, 56 ans, est célibataire. Cette femme raconte ce qu’elle a découvert, incrédule, de ses deux sœurs et de leurs maris.
«Je hais les envieux, les menteurs et les hypocrites! Ils sont toujours si mielleux, si prévenants. C’est pire lorsqu’ils vous mettent dans leur viseur. Que de prouesses! Une fois qu’en naïf, vous leur cédez votre confiance, attendez d’eux qu’ils vous remercient. Ils le feront, c’est une certitude. Ils emploieront alors leur meilleur savoir-faire dans la traîtrise ou le vol. Ces «soixante-six faces en une» de malheur, comme dirait ma grand-mère, sont capables de tout. Il me semble que je ne raconte rien de nouveau à leur sujet. Ce qui est insoutenable, c’est lorsqu’il s’agit de membres de notre propre famille. Cette colère qui bout en moi n’est pas sans raisons! Aujourd’hui, je paye au comptant les fruits de ma crédulité. Je suis acculée à saisir la justice pour récupérer mon dû. Et la voici la facture à payer, pour avoir eu foi en des personnes qui ne le méritaient pas.
Mes sœurs et moi sommes propriétaires, en bonne et due forme, d’une maison, dans un quartier dans la zone périphérique de la ville où nous habitons. De peur qu’un jour elle ne soit la cible de voleurs, nous avions été forcées d’en louer deux étages. Cette idée nous avait été insufflée par le mari de l’une de mes sœurs. N’ayant toutes les trois aucune connaissance dans ce domaine, c’est lui qui s’est chargé de trouver les locataires et de leur faire signer des contrats. Jusque-là, rien d’alarmant.
Mes deux sœurs sont mariées et vivent dans leur maison, avec leurs maris et enfants. Tandis que moi, toujours célibataire, je suis restée chez ma mère. J’ai toujours travaillé en tant que femme de ménage dans les familles et mes sœurs aussi. C’est avec nos revenus que nous avions entretenu ma pauvre mère et la vétusté de notre demeure. Mes trois frères, eux, n’ont jamais mis la main à la poche pour quoi que ce soit. Jamais non plus, après leurs mariages, pas même quand ils avaient emménagé dans cette maison paternelle.
C’est après quelques déboires avec eux et leurs épouses que nous nous sommes rendu compte, mes sœurs et moi, qu’il fallait garantir à notre vieillesse de la sérénité. Ou, dans le pire des cas, bien prévisible d’ailleurs, éviter de ne pas nous retrouver à la rue un de ces quatre. Nous étions toutes à cette époque célibataires. Pour construire notre petit lopin de terre, dans la discrétion absolue, il nous en avait fallu de la patience et une besogne ardue. Maintenant, on me dit le contraire. Comment ne pas disjoncter lorsqu’on vous traite d’arnaqueuse?
Mes sœurs, entre-temps, s’étaient mariées. Plus question alors, pour elles, d’investir dans notre projet. Je fus donc forcée de prendre à ma charge toutes les finitions qui restaient. Mais, puisque j’en avais gardé les factures, j’étais certaine que mes sœurs me rembourseraient leurs parts en temps voulu. Les problèmes ont démarré dès que notre secret a été percé. Cette fois, pas avec mes frangins, mais plutôt avec la belle-famille qui s’était vite dépêchée de nous jeter de la poudre aux yeux.
L’un de mes beaux-frères s’était alors montré tellement protecteur et si charitable. Devant tant de dévouement, nous ne pouvions qu’être enchantées. Il faut reconnaître que ma santé défaillante m’avait un peu poussée vers l’appât du gain facile. Je ne pouvais plus travailler comme auparavant. Par contre, il me fallait de quoi payer mes consultations répétées et mes traitements. C’est pourquoi, en plus de ces histoires de vol, je ne voyais en la location de ce bâtiment que des avantages. J’allais toucher le remboursement progressif de mes avances et ma part dans les loyers. Tout cela était bon, sauf les intentions du goujat. Elles étaient loin d’être désintéressées ou nobles.
Je ne le saurais que bien après qu’on l’eut désigné pour se charger de toutes les formalités. Il s’était mué par serviabilité en parfait agent immobilier. Il prélevait les loyers, puis nous remettait les sommes à chacune, tel que nous l’avions décidé. Cette besogne, il s’y plia régulièrement durant quatre mois, après quoi, niet de niet. Assurément, il me fallait réagir. En réponse à mes requêtes, il m’avança une première fois que les locataires étaient absents, puis ensuite qu’ils refusaient de s’acquitter de leurs charges. A force de réclamer mon dû, je finis par me brouiller avec mes propres sœurs. Je fus également maltraitée par les deux. Elles ne se gênèrent pas pour m’interdire de venir pleurer à leur porte.
Plus troublant encore, leurs chers maris, en protecteurs, brandirent leurs poings pour m’intimider. Devant tout le voisinage et de nombreuses personnes qui me tenaient en estime, j’entendis les pires insanités sortir de leur bouche. J’étais devenue une voleuse, une folle à lier. Que tout le monde pouvait certifier que je ne pouvais même pas me permettre l’achat d’une djellaba. Que je devais avoir honte de raconter des sornettes, telles que posséder une maison et de profiter de la bonté de mes sœurs. Elles qui m’avaient si charitablement octroyé le droit à une chambre dans leur propriété. Je rebroussais chemin en suffoquant. Je n’en pouvais plus d’entendre tout ça. La situation était grave, mes sœurs et leurs maris avaient visiblement fait du trafic louche.
Heureusement, j’avais pris soin de placer toute notre paperasse légale en lieu sûr, mais pas chez nous. C’est en ces lieux même que j’ai eu les meilleurs conseils pour défendre mes intérêts. Mes anciens employeurs, des gens infiniment bons, m’ont vraiment soutenue. Je fus ensuite entendue par un avocat qui s’occupa de tout. De fil en aiguille, je découvrais l’intrigue. Mon beau-frère avait falsifié presque tous les documents. Il se faisait passer pour l’unique proprio. Et, mieux encore, il était déjà en pourparlers de vente. Il faisait miroiter à mon autre sœur la moitié du gain. Ce petit monde s’était ligué contre moi pour me dépouiller et, chez eux-mêmes, il y avait encore de l’intrigue.
On m’enviait le placement de quarante années de travail et de privation extrêmes. Maintenant que la vérité a éclaté au grand jour, avec un risque d’emprisonnement, on vient me courtiser. Je suis redevenue cette sœur et cette belle-sœur exceptionnelle. Incroyable!».
Mariem Bennani