Saadia, 48 ans, vit en Europe. Elle y était allée pleine de rêves et s’est retrouvée divorcée, avec deux enfants à sa charge. Elle a longtemps été séquestrée et exploitée par un mari sans scrupules… Mais elle a fini par gagner. Son parcours.
«Il y a 20 ans, mon ex-mari voulait que je me retrouve à la rue avec mes enfants, tout comme ma pauvre mère. Voici 40 ans en arrière, avec ma mère, nous sommes arrivées en ville alors que nous habitions la montagne. Je n’avais que 8 ans et mon frère 5 ans. Mon père était décédé et nous avait laissés très pauvres, complétement démunis. Nous habitions une cabane en pleine zone aride et montagneuse qui appartenait à notre oncle. Celui-ci nous avait mis dehors sans attendre, de peur que nous squattions son terrain. Ma mère, encore vêtue du blanc du deuil -au Maroc, la veuve s’habille entièrement de blanc pendant les 40 jours qui suivent le décès de son mari-, nous emmena loin du mépris des gens et de la famille paternelle. Nous atterrîmes provisoirement dans une petite ville chez ma tante.
C’est elle qui nous trouva travail et logement dans une grande maison, une résidence secondaire dans laquelle elle travaillait elle-même comme femme de ménage. Nous avions eu beaucoup de chance, le statut de veuve avec enfants de ma mère lui avait permis d’avoir la priorité et elle fut engagée comme gardienne. Dans cette maison, nous avions un petit deux pièces, une petite cuisine externe et une terrasse. Pour nous, c’était le grand luxe, quelque chose d’inouï. Ces gens qui ne venaient que pour les vacances étaient extrêmement bons: ils payaient régulièrement, nous habillaient et ils avaient permis à ma mère de travailler la demi-journée dans une usine. Il fallait seulement une présence et entretenir un petit jardin et les allées en mosaïque de cette propriété. Nous allions, mon frère et moi, à l’école et avions grandi sereinement. Nous avons vécu dans cette maison pendant de longues années, jusqu’à ce qu’elle soit louée. Mais nous étions alors déjà capables de nous installer dans notre propre petite maison. Nous travaillions tous les trois. Mon frère, qui avait un diplôme de mécanique, avait trouvé du travail chez des Espagnols et moi, j’avais appris la couture et je travaillais dans un atelier de confection. Je rencontrai Abdesslam, un homme beaucoup plus âgé que moi qui vivait en Hollande. Un MRE (Marocain résidant à l’étranger) comme rêvent d’en rencontrer toutes les filles de ma condition qui pensent aller avec lui vers l’Eldorado. A la retraite, il venait de divorcer parce que son épouse n’avait pas jusque-là pu lui procurer la joie de la paternité. Il en souffrait trop, mais il avait quand même passé près de 30 ans à ses côtés. Il ne chercha pas à me fréquenter; il voulut tout de suite se marier avec moi. Ma mère et mon frère étaient très heureux pour moi. Cet homme était pondéré et n’avait rien refusé des attentes et aspirations de ma mère. Je devais vivre à ses cotés à l’étranger. J’eus droit à une dot, des bijoux et une cérémonie de mariage. Il ne m’emmena avec lui que plus tard, après avoir régularisé ma situation auprès des autorités compétentes du pays qui allait m’accueillir. Je partis donc en pensant que j’allais vers un avenir doré aux côtés de mon mari. Mais après quelques mois, je comprenais pourquoi cet homme m’avait si vite épousée. Lui ne travaillait plus et s’occupait simplement de me rapporter des travaux de retouches à exécuter à la maison. Etant en pays étranger et n’y connaissant ni la langue ni personne, je m’exécutais et n’essayais pas de comprendre. J’eus deux enfants parce que c’était la volonté de mon mari. Je ne sortais jamais au début. Puis, au fil du temps, mon mari, qui avait pris de l’âge, ne pouvait plus accompagner les enfants à l’école et s’occuper des courses et des commandes des commerçants. Il fut finalement forcé de m’inscrire à des cours de langue et de m’initier aux codes de la vie sociale hollandaise. Je rencontrai alors beaucoup de personnes, mais il m’était interdit d’entrer en relation avec qui que ce soit. J’avais de temps à autre ma mère et mon frère au bout du fil, je ne pouvais leur parler qu’en présence de mon mari. Il fallait que je n’éveille aucun soupçon et que je leur raconte des mensonges. Je leur faisais croire que tout allait bien et que j’étais très heureuse. Dès que la conversation était terminée, il arrachait les fils. J’apprenais avec fierté et soulagement que mon frère avait un atelier de mécanique et qu’il s’occupait bien de ma mère qui avait pris sa retraite. Mon frère, à qui je manquais terriblement, me disait aussi qu’il allait bientôt pouvoir venir me rendre visite. Je caressais le grand rêve de pouvoir revoir les miens, mais je savais que ce n’était qu’un rêve. Je travaillais comme un bougre, sans jamais la moindre attention. Je n’avais aucun droit de regard sur les recettes de mon travail. Il ne m’achetait rien et il m’avait même confisqué le peu d’or qu’il m’avait acheté. Il avait pris le soin de mettre les reçus à son nom, une chose que je ne savais même pas. Lorsque j’ai découvert cela, au début, il disait que c’était juste parce qu’il tenait à moi et pour que je ne me mette pas dans la tête des idées d’évasion. La dot qu’il m’avait donnée, il l’avait récupérée au centuple avec mes travaux. Je continuais à ne pas broncher, mais je sentais que nous étions, mes enfants et moi, en danger permanent. Un soir, il voulut me faire signer des papiers sans que je les lise. C’était la première fois que je résistais. Il n’insista pas, mais je sentais qu’il me préparait quelque désagréable surprise. Parce qu’il n’était pas rare qu’il se mette dans des colères noires et pour bien moins que ça. C’est d’ailleurs cette même année et après 10 ans qu’il se décida enfin à m’emmener avec les enfants au pays. Je continuais de dissimuler un mépris et une rancune sans limites à son encontre et j’avais doublement raison pour ce qui m’y attendait. A notre arrivée, il nous déposa chez ma mère et poursuivit son chemin vers son patelin dans sa famille. Il revint trois semaines plus tard. Sur son visage se lisait une expression de traîtrise. Ce soir-là, il m’expliqua longuement et doucereusement qu’il était fatigué parce qu’il avait vieilli et qu’il voulait divorcer. Il ne supportait pas, disait-il, le fait que je sois jeune et que lui et ses propres enfants vivent à mes crochets. J’avais tellement de haine contre cet individu que, pour tout ce qu’il m’avait fait endurer, je n’émis aucune résistance: je n’avais rien à perdre. J’avais un travail, le logement était à mon nom et mes papiers et ceux de mes enfants étaient en règle. Il avait raison de se sentir comme un fardeau dans ma vie. Au moment où je terminais de signer mes papiers chez les adouls pour mon divorce, je me rappelai que c’était lui qui était en possession des passeports et papiers et je réalisai que je n’avais aucun sou. Je compris aussi pourquoi il m’avait présenté ces fameux papiers à signer avant notre départ. Maintenant, son intention avec notre divorce était de me devancer, d’annuler mon titre de séjour et de nous abandonner, les enfants et moi, dans notre pays, complètement démunis. Grace à mon frère, je pus renouveler en un temps record mon passeport et tous mes papiers. C’est lui aussi qui me paya mes billets d’avion. Je quittai le pays bien avant lui, en toute quiétude, et c’était moi qui fis le nécessaire pour le mettre hors d’état de nous nuire. Il revint, récupéra ses affaires que j’avais pris le soin de donner à l’un de ses amis. Sans jamais chercher à revoir ses enfants, il avait sans honte répandu à mon sujet des histoires complètement ignobles. Pour préserver mes enfants de scandales inutiles et nuisibles, je n’ai jamais entamé de poursuites à son encontre. J’ai su aussi qu’il s’était remarié avec une fille… très jeune. Encore une fois!».