Et voilà Omicron qui menace mon commerce, combat de toute une vie !

Lhoucine, 42 ans, négociant en demi-gros, est marié et père de trois enfants. Le business de cet homme est en souffrance depuis le début de la pandémie du coronavirus. Avec l’arrivée de ce nouveau variant, Omicron, il se sent menacé par le chaos. Voici ce qu’il raconte. 

«En ce moment, je pressens la mort du combat de toute une vie. Encore une fois, je me surprends à douter de ma combativité et cela je ne le supporte pas. Jusque-là, je ne pouvais m’autoriser à céder à la panique… Alors que ces derniers mois, même complètement à sec sur le plan financier et avec d’énormes et quasi-insolubles autres problèmes, je croyais être plus ou moins sauvé. Hélas, maintenant, j’ai l’impression que le cauchemar n’est pas terminé. Depuis que les autorités du Royaume, par souci de protection contre le nouveau variant du virus Covid 19-Omicron, ont parlé dernièrement de refermer les frontières, je perds la boule. Pour ma part, ce que j’entends c’est que le risque d’un nouveau confinement total n’est pas à exclure et que donc je devrais m’attendre au pire.  

Si certains sont nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, ce n’est nullement mon cas. Je n’ai jamais compté que sur ma viscérale ambition de changer la donne dans mon destin. Je vous garantis qu’il était vraiment sombre. Du plus loin que je me souvienne, rien n’a été commode pour moi. Je peux avancer que j’ai toujours été livré à moi-même. D’ailleurs, dans ma famille, je n’étais pas une exception. A vrai dire, nous étions tellement nombreux qu’il n’était tout bonnement pas possible d’espérer qu’il en soit autrement. Même s’inquiéter du bon déroulement de notre scolarité n’était malheureusement pas une priorité.  

Mon père s’était offert le luxe d’être l’époux de deux femmes et de les faire vivre sous le même toit. De ces deux unions sont nés plusieurs frères, demi-frères, sœurs et demi-sœurs. Rien chez nous n’était normal. Nous les enfants, on se tenait vraiment à carreau et les adultes, notamment ma mère et ma belle-mère, se livraient sans répit à de cruels affrontements. De vraies diablesses capables du pire entre elles, juste pour gagner en grade auprès du maître, et surtout ne jamais subir le détachement de ce dernier. Pour elles, il n’y avait que cela qui comptait, plus que tout au monde.    

Nous leurs gosses, nous n’essayions jamais de rentrer dans leur jeu. Les ainés qui s’y étaient risqués en avaient tellement souffert qu’ils n’étaient pas prêts à recommencer. Je dois avouer, qu’au moins cela avait servi de leçon à tous. Donc, on s’arrangeait pour se ficher la paix mutuellement et ce, afin d’éviter de se trouver dans l’infernal collimateur du trio. Nous tremblions de terreur quand les cris, les insultes et les crêpages de chignons démarraient pour une broutille. Oser par curiosité fourrer son nez dans un de ces barbares spectacles c’était comme se jeter dans la gueule du loup et ne pas en sortir sain et sauf. Nous ne souffrions pas de faim, mais de manque d’affection. Ces dingues complètement obsédées par leurs péripéties de couple marginal, ne nous prodiguaient que de l’indifférence ou de la bastonnade.  

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N’allez pas croire que mon père était riche, bien au contraire, il arrivait à peine à joindre les deux bouts. Et ce, même s’il passait toutes les journées de la semaine dans son atelier de soudure ou sur des chantiers. Nous ses enfants, tout-petits encore, nous n’avions presque pas de contact avec lui de peur de piquer ses nerfs à vif, nous disait-on. Tous nous le craignions ce paternel d’une gigantesque corpulence, qui tel un ogre prenait tous ses repas seul. C’est seulement grâce à notre échec scolaire prématuré que nous avions été dans l’obligation de mieux le connaitre et de le côtoyer pour finalement apprendre son métier. Mais, très vite nous nous étions rendu compte que notre entassement dans cet espace réduit dont il ne tirait pas le kopeck ne pouvait pas s’éterniser et qu’il nous fallait trouver autre chose. En tous les cas, pour moi c’est dans cet atelier que j’avais eu l’opportunité de dénicher ma voie. Mes autres frangins également avaient fait leurs malles très tôt et ils se sont frayé malgré tout une bonne issue. Curieusement, le maitre ne s’en était jamais plaint.  

J’avais appris la soudure et j’en appliquais consciencieusement l’art seulement pour des clients impatients. Je me suis retrouvé un jour dans les locaux d’un riche commerçant de denrées alimentaires pour lui réparer ses vieux rideaux de ferraille. Chez lui transitaient tous ceux dont l’activité principale nécessitait farine, huile, levure, sel et j’en passe et des meilleures. Je fus attiré comme par un aimant dans ce monde. Devenu mon lieu de culte par excellence, je ne cessais d’invoquer des «justifs» bidons pour m’y rendre. Ma soif d’en percer tous les tenants et les aboutissants était inaltérable. Un miracle s’était réalisé, quand j’avais été embauché par le tenancier d’une laiterie et ensuite par un spécialiste du «bocadillo». Et bien plus tard, par un négociant de demi gros de toutes sortes de marchandises.  

De cette façon, j’avais enfin l’immense privilège de gagner de l’argent mais aussi la possibilité d’entretenir d’étroites relations avec presque tous les commerçants qui transitaient ou non par là. En fait, j’absorbais tel une éponge tout ce qu’ils racontaient et ce, dans l’espoir de pénétrer moi aussi dans leur monde. Et j’y suis arrivé en devenant intermédiaire puis fournisseur de ceux que j’avais démarché comme ça pour essayer. C’est un domaine qui rapporte gros à la condition de s’y investir corps et âme. Attention, il n’est pas sans risques, on jongle avec, constamment. Je peux vous assurer qu’à ce jour, j’en ai pris énormément même beaucoup trop. Ce n’est pas pour rien que je suis devenu chauve. Je me souviendrai toute ma vie de la première fois quand j’avais accepté d’être garant d’un client que je ne connaissais pas. Je lui avais livré une énorme quantité de marchandise contre le chèque d’un de ses clients. Je ne savais pas encore que la pratique dans le milieu était courante. 

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Ensuite, plus tard à mon tour j’avais aménagé mon propre espace de stockage. Bien sûr que tôt ou tard, on en arrive à se ravitailler avec de la marchandise de contrebande, vu qu’elle est très demandée surtout en période estivale. Les nationaux qui viennent au nord pour passer leurs vacances adorent faire du shopping dans notre souika. Que voulez-vous, la marchandise de contrebande rapporte et on ne peut pas cracher dessus. D’ailleurs, à ce sujet beaucoup peuvent témoigner qu’actuellement ceux qui œuvraient pour nourrir leur famille dans le «trabando» comme on dit ici, sont dans une situation de précarité très critique.  

Comme tout le monde, je propose aussi un grand nombre de produits importés légalement et de fabrication locale, achetés avec des factures. Mais, leurs marges de bénéfices restent extrêmement réduites. Il faut écouler des tonnes de stocks pour pouvoir se frotter les mains. Avant le premier confinement, le commerce ici dans notre petit patelin niché à si peu de kilomètres de la frontière espagnole, était assez prospère, mais depuis, c’est la grande cata. Je me trouve actuellement avec beaucoup de mes gros fournisseurs dans d’inextricables démêlés. Ils paniquent et me somment de solder mes dettes.  

Ils sont aux abois, insensibles à mes requêtes de délai. Ils ne veulent pas entendre que moi aussi pour rester actif dans le circuit, j’avais été obligé de délivrer de la marchandise à crédit. Par contre, je l’ai fait sans aucune garantie de recouvrement à des détaillants avec qui je traite de manière régulière. Ces derniers sont sérieux mais eux aussi nagent dans le pétrin tout comme moi. Je le remarque amèrement à chacune de mes miséreuses collectes de fond. Bref, les plus agressifs de mes fournisseurs ont englouti toutes mes économies et les restants menacent de mettre mes chèques de caution à l’encaissement. Ils disent se ficher complètement de leur retour sans provision.

Le problème est qu’actuellement je ne peux compter ni sur ma banque, ni sur personne pour me soutenir. Et même si je songeais à vendre ma maison, je sais pertinemment que cela ne servira pas à grand-chose, puisque je l’ai acquise à crédit il n’y a pas si longtemps. Franchement, je suis sous l’emprise d’une trouille impossible à décrire. Je n’ai pas de solution, sauf à espérer l’arrivée rapide de bonnes nouvelles sur la maitrise définitive de ce virus et qu’enfin les turbines des petits ou grands commerces redémarrent. Sans cela, personnellement, je ne survivrai pas à la ruine de mon business m’entrainant moi et ma petite famille vers l’impensable». 

Mariem Bennani

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