Fièvre de Achoura : Rites et dangers

Fruits secs maroc achoura photo Le Reporter

Jeudi 14 décembre, le Maroc fêtait l’Achoura. La célébration de cette fête religieuse, commémorée chaque année le 10 Moharram, a commencé cette année le 5 novembre (soit le 1er de Moharram) et s’est poursuivie jusqu’au 14 novembre (10 Moharram), journée de jeûne en mémoire du prophète Mohamed qui jeûna durant cette même journée pour remercier Dieu d’avoir sauvé le prophète Moïse.

Achoura maroc photo Le Reporter

Très attendue par les petits, mais aussi par les grands, l’Achoura relève des traditions de l’ensemble des Marocains et des musulmans de par le monde. Mais au-delà de sa portée spirituelle et religieuse, elle est surtout vue comme un jour de partage, de générosité et de distribution de la zakat pour apporter la joie aux plus pauvres.
A l’arrivée de cet événement hors du commun, les marchés de Casablanca deviennent, une fois de plus, bruyants et illuminés. Le Reporter a fait, ce vendredi 8 novembre, un tour dans certains grands marchés de la ville qui, à cette occasion, connaissent une activité intense. Les gens y viennent, chaque année, à cette occasion, pour faire leurs emplettes surtout en fruits secs et aussi pour acheter des cadeaux à leurs enfants.
«Cette fête est si particulière pour nous les Marocains. Souvent nous la commémorons en grande pompe. Nous la préparons dix jours avant la nuit de l’Achoura», tient à souligner Kenza que nous avons rencontrée à Derb Omar. Mère de trois enfants, la jeune femme (35 ans) ajoutera, expliquant: «Célébrer la fête de l’Achoura fait partie de nos traditions et de nos coutumes. Certes, certains pourront dire que l’on ne devrait pas considérer cette journée comme une fête, puisque c’est le jour du martyre d’Al Hussein, le fils de Fatima, la fille du prophète, paix et salut de Dieu soient sur lui. Mais on ne devrait pas non plus faire couler le sang». Et de conclure: «L’Achoura est une journée durant laquelle on donne l’aumône, sans oublier nos enfants qui, durant cette fête, sont toujours heureux de recevoir les jouets qu’on leur offre».

Des galeries sur le pied de guerre…

Considéré comme le plus grand marché de jouets où l’on vend des jouets (gros et détail), Derb Omar, plaque tournante du commerce formel et informel, devient, pendant dix jours, une grande foire à jouets. C’est dans ce marché qu’atterrissent toutes les importations de ces produits en provenance de Chine. Tous les marchands des quartiers de la métropole, mais aussi des autres villes du Royaume, viennent s’y approvisionner. A «Kissariate Ramadane», marché de gros, nous avons rencontré un nombre très important de marchands venus des quatre coins du pays pour récupérer leurs commandes en jouets. «Chaque année, quelques jours avant la célébration de l’Achoura, je viens à Derb Omar pour l’achat de ces jouets, lesquels sont convoités par les parents qui aiment les offrir à leurs enfants», lance Brahim, un commerçant venu d’Agadir.
Ainsi, l’achat de jouets est une activité très courante pendant cette fête particulière, selon les commerçants de Derb Omar. «Pour nous c’est une occasion de vendre nos produits que nous ne parvenons pas à écouler pendant l’année», indique au Reporter Mohamed, un commerçant de la galerie «Borj Al Yakoute» à Derb Omar. Ce vendredi, les magasins étaient sur le pied de guerre. Les étals multicolores des galeries commerciales de ce marché suscitaient la curiosité des bambins et invitaient leurs parents à l’achat. On y trouve des quantités énormes de jouets de toutes sortes et de toutes les couleurs.

Danger: des jouets «cancérogènes»

Approchée par Le Reporter, Amina, une mère de deux fillettes rencontrée à Derb Omar, nous a confié: «Mes parents et mes grands-parents célébraient cette tradition. Maintenant que je suis mariée et que j’ai ma petite famille, je tiens moi aussi à me conformer tous les ans à cette tradition. Chaque année, je dois donc venir dans ce marché pour acheter des jouets à mes deux filles, Sara et Ghita. Je leur achète aussi deux  »taârijas » pour qu’elles puissent jouer avec leurs camarades dans le quartier». Pour Amina, choisir un cadeau s’avère une tâche difficile. «Si auparavant on offrait des tambourins et des  »taârijas », aujourd’hui, les choses ont changé. Les enfants préfèrent d’autres jouets tels les pistolets, les voitures, les trottinettes, les poupées, les jeux vidéos et autres gadgets», conclut la jeune maman qui semble attirée par certains jouets: des trottinettes. A la question de savoir si elle va enfin se décider à l’achat de ces trottinettes, Amina nous répond: «Non. Je pense que je vais enfin choisir des poupées, question de sécurité». A ce sujet, Mohamed Dahbi, Secrétaire général de l’Observatoire national de la consommation, déclare au Reporter: «Très peu de jouets vendus à bon prix respectent les normes internationales de sécurité». Et la même source de préciser: «Ces produits proviennent de Chine, par contrebande. Il n’y a pas que le marché de Derb Omar où l’on trouve ces produits à risque, mais tous les quartiers de la métropole en sont inondés». Il ne faut donc pas se fier aux lettres «CE» (Communauté Européenne) imprimées sur ces produits. L’Etat marocain doit absolument prendre la question de contrôle de ces produits très au sérieux. Car nous avons découvert que des jouets  »cancérogènes » provenant de Chine seraient commercialisés sur le marché national».

Fruits secs, «Krichlate», «Keddid» et «Diala»

L’Achoura, c’est aussi l’achat de fruits secs: noix, amandes, cacahuètes, raisins secs, dattes, figues sèches…
A côté des jouets, la vente des fruits secs bat aussi son plein durant les jours qui précèdent la fête de l’Achoura. Les marchés de la place en regorgent. «Cette année, la production est très importante. Nous avons même des fruits secs importés de l’étranger. A n’en citer que les amandes importées d’Espagne et les noix provenant du Chili, lesquelles sont très demandées, bien qu’il n’y ait pas mieux que la production nationale», précise un vendeur de la rue Maâmoura à Derb Soltan, un autre quartier très animé durant cette fête et où les marchands ambulants étalent leurs marchandises le long des ruelles.
De grandes quantités de ces fruits sont achetées par les familles marocaines pour les offrir, dans une ambiance très festive, à leurs invités et leurs proches. «Chaque année, je viens dans ce marché pour l’achat des fruits secs. Cela est devenu une coutume dans notre famille. A quelques jours de la fête, nous achetons ces fruits secs», déclare Hajja Hlima rencontrée au marché Derb Soltan. Elle ajoute: «Chaque année, je tiens à célébrer la fête de l’Achoura avec mes enfants et à offrir à mes proches et mes invités le meilleur de ces fruits secs dans un grand plateau qui doit être vidé durant la journée de la fête. Sachant que la tradition veut que, le jour de la fête, ces fruits secs soient présentés avec des  »Krichlate », un gâteau spécial coupé en petits dés. Les enfants en sont d’ailleurs friands. Même quand ils se gavent de ces fruits, nous ne les grondons pas. Ce serait même de mauvais augure que de les gronder».
Mais l’Achoura est également symbole de banquets spécialement préparés pour cette occasion. L’un des moments fabuleux de ce rituel est en effet la réunion des membres de la famille autour de la table pour déguster un bon plat de couscous aux légumes et à la «diala» (croupe de mouton salée et séchée). Les femmes marocaines célèbrent la nuit de l’Achoura en préparant des plats typiquement marocains. Hajja Hlima, femme au foyer (60 ans), tient à nous souligner: «La célébration de la fête de l’Achoura ne peut pas se faire sans la préparation de ces plats traditionnels tels la  »Diala », le  »Keddid » ou encore la  »Mejebna ». C’est une tradition que nous avons héritée de nos grands-parents. Pour le «Keddid», par exemple, c’est un plat de viande séchée au soleil après avoir été enrichi d’épices et conservé depuis l’Aïd Al-Adha». Et la même femme de poursuivre: «Les femmes qui n’ont pas encore eu d’enfants et qui veulent en avoir doivent rassembler des «Keddid» auprès de leurs amies pour en faire un plat appelé «Kaddida» qu’elles partageront avec leurs invitées et leurs proches la nuit de l’Achoura. C’est une croyance qui remonte à plusieurs décennies».
Rappelant avec nostalgie l’époque où elle était encore enfant, Hajja Halima ne manque pas de constater, non sans regret: «Cette occasion commence à perdre un peu de son éclat, du moins en ce qui concerne les fêtes de rues qui étaient surtout animées par des femmes». Elle expliquera: «Après la dernière prière du soir, les femmes se réunissaient, autrefois, devant leur domicile pour manifester leur bonheur et leur joie de célébrer l’Achoura, aux chants et aux rythmes de «Houari». Toutes les ruelles des quartiers de la métropole étaient pleines de ces femmes qui tenaient tant à montrer leur joie à cette occasion. Ce qui donnait à cette fête de l’Achoura un caractère légendaire». Et de conclure: «Aujourd’hui, les choses ont changé. On ne voit plus les femmes sortir devant leur demeure pour chanter au rythme de «Houari». Certes, les rythmes des «taârijas» ainsi que les chants des petites filles envahissent tous les coins de rues dès les premiers jours du mois de Moharram. Mais je pense que les choses ont quand même changé».

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Reportage: Naîma Cherii

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Pétards
Mohamed Dahbi: «Le marché est inondé de mini-explosifs»

Mohamed dahbi

L’Achoura revêt un caractère des plus désagréables au Maroc à cause des pétards dans la rue. Considérée comme une fête avec ses rites et traditions, elle est devenue, à cause de ces mini-explosifs, une source d’ennuis.

Chaque année, à la veille de la fête -c’est-à-dire le dernier jour des pratiques  »guerrières »- les jeunes et moins jeunes font tout exploser! Le soir, ils se réunissent autour d’un feu de rue ou «chouaâla» et allument des mini-explosifs. L’utilisation irresponsable de ces produits des plus dangereux, comme les «Granada» et les «fusées», peut malheureusement transformer la fête en cauchemar. «Tant qu’il n’y a pas encore une implication de l’Etat à même de contrôler le marché, le problème de ces mini-explosifs continuera d’être une source d’ennuis durant cette fête», lance Mohamed Dahbi, Secrétaire général de l’Observatoire national de consommation. Le SG ajoutera non sans colère: «Les circuits commerciaux de ces produits sont incontrôlés. Car, si l’Etat contrôlait réellement ce commerce, le Maroc ne devrait pas recevoir de grandes quantités de ces pétards qui ne sont pas fabriqués au Maroc», affirme-t-il au Reporter.
Malgré les accidents occasionnés par ces mini-explosifs, cette coutume n’a pas tendance à s’estomper. Pire, d’année en année, le marché semble même plus inondé qu’avant par ces produits dangereux, selon la même source. «Même si les déclarations officielles avancent que l’introduction de ces produits à risques est interdite, le constat est tout autre. Ces produits dangereux sont bel et bien introduits au Maroc. En témoigne d’ailleurs l’importante saisie effectuée, il y a quelques jours, dans une demeure à Derb El Kabir (Casablanca), l’un des points noirs connus pour ce type de produits à risques», souligne le SG. Lors de cette opération, rappelons-le, les éléments sécuritaires de l’Arrondissement de Derb Soltan-El Fida avaient réussi à saisir quelque 140 mille pétards.
Mais d’où provient toute cette quantité? Et qui en est le vendeur au gros? Pour Mohamed Dahbi, ce sont là des questions qui nécessitent l’intervention urgente des responsables concernés par cette problématique. Il ajoutera: «Il ne suffit pas de mettre la main sur les vendeurs au détail. Car des marchands de gros continuent de vendre des pétards au marché noir». D’ailleurs, a-t-il affirmé, le marché continue d’être inondé par ces produits dangereux. Un constat que partageront, en tout cas, les Casablancais, puisque dans certains quartiers, depuis l’Aïd Al-Adha, la métropole a l’allure d’une ville en guerre. Les sifflements des «fusées» et l’explosion des «Granada» restent le moyen de produire les «sons» les plus recherchés par les enfants accros à ces mini-explosifs. La déflagration produite par ces derniers se fait entendre de très loin et fait sursauter les habitants de ces quartiers.
Même si les responsables affirmaient que, cette année, l’étau allait se resserrer autour des vendeurs de ces mine-explosifs, la réalité reste que ces produits sont toujours commercialisés au marché noir.
Au marché de Derb Omar, célèbre quartier commerçant au cœur de la métropole, Le Reporter a rencontré, ce vendredi 9 novembre, une vingtaine d’enfants venus de l’Ancienne Médina et d’autres quartiers de la ville pour l’achat de ces pétards.
Mais ils n’ont rien pu acheter ce jour-là, à cause des policiers qui étaient sur place pour empêcher que ces produits ne soient commercialisés.
Cependant, nos interlocuteurs nous ont confié: «Dès que les policiers partiront, on trouvera certainement les «fusées» et les «Granada» que nous cherchons». Et de conclure: «Ici, on trouve toutes sortes de pétards. Mais la présence des policiers dissuade les vendeurs de nous en vendre. Pourtant les détaillants viennent dans ce marché pour se procurer ces produits».
Une chose est certaine. En l’absence d’un contrôle réel, efficace et soutenu, le danger de ces produits à risque continuera d’occasionner des dégâts, parfois irréparables et faires des victimes, surtout parmi les enfants. Les médecins casablancais en savent quelque chose puisque, chaque jour, des cas de brûlures, parfois au second degré, arrivent dans les différents centres de soin de la ville.
Ce mardi 12 novembre, la jeune Saloua a perdu son œil droit à cause d’une déflagration de pétard alors qu’elle était à l’intérieur de son école à Casablanca.
Chaque année, au cours de cette période, de graves accidents sont souvent causés par les déflagrations des pétards.
Le service d’ophtalmologie pédiatrique reçoit de plus en plus d’enfants pour brûlures et traumatisme oculaire par pièce d’artifice, selon une étude ayant été menée par l’Hôpital du 20 Août.
La même étude relève que ce type de traumatisme augmente à l’occasion de cette fête. Elle affirme aussi que les pétards sont les premières causes de brûlures enregistrées pendant l’Achoura.
Bien que responsables de nombreuses blessures oculaires plus ou moins graves, les pétards sont pourtant vendus au vu et au su de tous. Dans certaines zones de la capitale économique, on en trouve de toutes sortes.
Les détaillants s’approvisionnent tôt, quelques semaines, voire un mois, avant la fête. Et les pétards et les feux d’artifices s’écoulent aussi facilement qu’ils sont introduits au Maroc. Plusieurs points de vente sont ainsi concernés par le commerce des mini-explosifs qui envahissent les quartiers populaires.
Alors que l’administration refuse de considérer ce problème, inhérent à l’utilisation des pétards, comme phénomène, les citoyens, eux, connaissent très bien les points de vente de ces mini-explosifs.
A Casablanca, des sources consuméristes citent notamment les quartiers de Sidi Bernoussi, Sebata, Derb El Kabir, Aïn Chock, Hay Hassani, Derb Soltan et Hay Mohammadi. Selon nos sources, Derb Omar n’est plus la plaque tournante de ces mini-explosifs…

Inwi : Des Smartphones pour «Achoura»

N. Cherii

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Achoura, c’est aussi de la sorcellerie

Ailleurs, dans le monde chiite, l’Achoura est le jour commémorant, dans la tristesse, le martyre du second et dernier fils de l’Imam Ali, Sidna Al Hosseïn.
Au Maroc, Achoura est d’abord un jour de recueil sur les tombes. Le jour de l’Achoura, dès le matin, les familles marocaines se rendent aux cimetières pour se recueillir auprès de leurs morts.
Mais cette manifestation est aussi vécue au Maroc comme une journée de fête, de «Tabarrok» (grâce) et de renforcement de rapports sociaux, explique le sociologue, Ali Chaabani. Cependant, ajoute le sociologue, «Achoura telle qu’elle est célébrée actuellement au Maroc présente certains aspects très dangereux». «D’année en année, la fête connait des pratiques qui commencent à constituer réellement une source d’ennuis pour les citoyens.
Il s’agit notamment de la pratique communément appelée «Zem-zem» en référence au puits du même nom à la Mecque», a-t-il précisé. La tradition veut que l’on jette de l’eau sur toute personne autour de soi. Les enfants déambulent dans les rues le lendemain de la fête et disposent d’une totale liberté pour asperger les passants dans la rue. Cela peut aller de la petite giclée à tout un seau. La journée se déroule jusqu’à une heure avancée de l’après-midi. Le plus dangereux dans ce phénomène, c’est que ce n’est pas seulement avec de l’eau qu’on asperge les gens mais également avec des produits nocifs tels l’acide, ce qui nécessite l’intervention des responsables pour arrêter cela, insiste Ali Chaabani. Mais Achoura, c’est aussi de la sorcellerie. Certains pensent que cette période est l’occasion idéale de rechercher le bonheur. Ils s’en remettent à un fkih qui prétend avoir le pouvoir de leur révéler la magie malveillante à laquelle ils ont été soumis.
D’autres s’en remettent à des «Chouafâtes» qui font croire à leurs victimes qu’elles ont le pouvoir de deviner leur avenir. Hanane, une jeune femme de 33 ans, rencontrée lors de notre visite au marché Jmaia à Derb Sultan, nous a confié qu’elle consultait une voyante dans ce marché pour savoir si elle peut lui indiquer les obstacles au mariage qu’elle pourrait avoir…

NC

 


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