C’est maintenant clair, même prévu pour être lent et progressif, le processus qui devrait permettre au Dirham de passer d’un taux de change fixe à un taux de change flexible, ne connaîtra pas de coup d’envoi ce début juillet.
Le Wali de Bank Al-Magnrib, Abdellatif Jouahri, a eu beau piquer une colère, lors de la dernière réunion de son Conseil (20 juin 2017) et marteler qu’au nom de la crédibilité de la Banque centrale, la date prévue pour l’entrée en vigueur de la réforme du taux de change sera respectée… Il n’en sera rien.
Pour quelles raisons ? Elles sont si nombreuses qu’on s’y perd…
Résumons. Il y a des raisons économico-financières, des raisons sociales et des raisons politiques.
S’agissant des raisons économico-financières, le débat est inépuisable. Ces derniers jours, on aura tout entendu, lu et vu. Pour le Wali Jouahri, qui a mené l’opération de bout en bout et l’a portée en solo, tous les prérequis permettent de mettre en oeuvre la réforme du taux de change et cette mise en œuvre se fera sous strict contrôle de Bank Al-Maghrib, sans aucune crainte d’impact négatif… Et certainement pas de dévaluation du Dirham.
Or, les opérateurs et experts ne sont absolument pas de cet avis. Pour eux, non seulement dans la situation économique et financière actuelle du Maroc, si certains prérequis sont assurés (inflation relativement maîtrisée, réglementation des changes rigide, secteur bancaire solide, faible volume de capitaux spéculatifs…) ; d’autres ne le sont pas (faible niveau des réserves de change, déficit budgétaire non maîtrisé puisque dépendant de la pluviométrie, faibles exportations…)… Mais en plus, la stabilité des prérequis doit être confirmée sur une dizaine d’années, au moins. Ce qui n’est pas le cas. Pour ces opérateurs et experts, le Maroc n’est tout simplement pas prêt pour la flexibilité et il est impossible que la réforme n’ait pas comme 1ère conséquence une dépréciation du Dirham. Pour eux, Jouahri joue sur les mots en affirmant qu’il n’y aura pas de dévaluation du Dirham. Le fait est que la dévaluation est le mot utilisé avant la flexibilité et qu’après la flexibilité, la dévaluation se nomme dépréciation. Or, il y aura dépréciation, parce que c’est le marché qui décidera de la valeur du Dirham et non Bank Al-Maghrib. Ce que les banques ont d’ailleurs bien compris, elles qui en essayant d’anticiper, ont été accusées de spéculation par Jouahri, avec promesse d’enquête sur leur présumée spéculation… Dépréciation du Dirham et inflation sont donc des menaces qui guettent les Marocains, même si Bank Al-Maghrib promet d’assurer la stabilité des prix à travers un ciblage de l’inflation (maintien du niveau d’inflation en dessous d’une valeur cible). Les experts annoncent d’autres impacts négatifs devant résulter de l’entrée en vigueur de la flexibilité. Il y en aurait sur les entreprises. Les grandes, comme l’OCP, verraient leurs bénéfices fortement réduits. Quant aux petites, n’étant pas en mesure de faire face au nouveau régime de change, elles seraient tout simplement amenées à fermer leurs portes. Les raisons sociales qui auraient contribué à retarder la réforme du taux de change sont évidentes. Petites entreprises qui ferment veut dire hausse du chômage et inflation veut dire hausse des prix et, donc, atteinte au pouvoir d’achat des citoyens. Ce qui serait jouer avec le feu, dans le contexte actuel d’une rue en effervescence, au Rif et ailleurs. Quant aux raisons politiques, outre la stabilité du pays qui aurait poussé les milieux sécuritaires à conseiller de freiner l’élan de Bank Al-Maghrib, il y a ce nouveau débat soulevé au sujet de la non-concertation avec les représentants du peuple, au sujet de la réforme. Un passage du projet de réforme du régime de change par le Parlement aurait peut-être fait œuvre pédagogique auprès des citoyens… Citoyens qui semblent avoir été complètement oubliés dans les considérations technico-financières de Abdellatif Jouahri. Or, ces citoyens oubliés sont aujourd’hui en train de s’approprier le débat sur le nouveau régime de change. Et, ô surprise, alors que A. Jouahri, GPBM, opérateurs et autres experts, sont en train de rivaliser d’arguments sur l’incompatibilité du triangle de Mundell, l’élargissement de la bande de fluctuation et l’ancrage interne ou externe de la politique monétaire… Les citoyens, eux, lancent sur les réseaux sociaux des mises en garde contre la flexibilité du Dirham, établissant un lien direct entre cette flexibilité et la hausse du prix des espadrilles Adidas et de la boite de thon Isabel ! Petit à petit, les citoyens sont en train de monter la sauce et la rumeur enfle dangereusement, à propos d’une flexibilité qui serait une catastrophe pour le peuple.
Il est urgent de donner une information claire sur l’état d’avancement de la réforme et, surtout, de descendre humblement au niveau du peuple pour rassurer…
Bahia Amrani