C’est un virage majeur dans les relations entre Google et la presse: le géant américain vient de signer plusieurs accords avec des journaux français afin de rémunérer l’utilisation de leurs contenus, une première mondiale qui s’inscrit dans le cadre de la législation européenne sur les droits voisins.
Dans un billet de blogue mis en ligne jeudi, Google annonce avoir signé des accords individuels avec «un certain nombre d’éditeurs de la presse quotidienne et des magazines dont Le Monde, Courrier International, L’Obs, Le Figaro, Libération, et L’Express».
Google précise être «actuellement en discussion avec de nombreux autres acteurs de la presse quotidienne nationale et régionale, ainsi que de la presse magazine».
Les droits voisins prévoient une rémunération pour les contenus des éditeurs de presse (photos et vidéos notamment) utilisés par les plateformes en ligne, par exemple lorsqu’ils apparaissent dans les résultats de recherche sur Google. Ils résultent d’une législation européenne adoptée en 2019 et immédiatement mise en application par la France.
L’évolution des négociations est donc scrutée dans d’autres pays où les problématiques des éditeurs face à Google sont similaires.
Google avait refusé, dans un premier temps, de payer la presse française, déclenchant un bras de fer avec le secteur. L’Autorité de la concurrence française lui avait alors enjoint de négocier avec les éditeurs, une décision validée par la Cour d’appel de Paris.
«Nous avons un système de suivi très vigilant, nous serons très attentifs à ce que les contrats signés reconnaissent explicitement le droit voisin et le rémunèrent», a averti jeudi matin Isabelle da Silva, présidente de l’Autorité de la concurrence, lors d’une intervention à Médias en Seine, un événement organisé à Paris.
Outre ces premiers accords individuels, Google continue de négocier avec l’Alliance de la presse d’information générale sur un accord cadre, des négociations qui devraient aboutir «avant la fin de l’année».
«Cette avancée permet de rémunérer les éditeurs de presse en France au titre de la loi sur les droits voisins, selon des critères objectifs, transparents et non discriminatoires, tels que la contribution de l’éditeur à l’information politique et générale, son volume quotidien de publication, son audience internet mensuelle, ainsi que l’usage des contenus sur nos sites», salue Sébastien Missoffe, directeur général de Google France.
Aucun détail financier n’est communiqué.
Les agences ne veulent pas être en reste
Les accords prévoient par ailleurs que les signataires bénéficieront du programme Google News Showcase, déjà déployé dans de nombreux pays et qui propose également de rémunérer les éditeurs pour une sélection de contenus.
Ce programme «permettra aux lecteurs d’accéder à un contenu enrichi, et aux éditeurs de développer une relation encore plus étroite avec leur lectorat, tout en bénéficiant de conditions additionnelles de rémunération de leurs contenus», précise Google, ajoutant avoir investi près de 85 millions d’euros», depuis 2013, dans la presse en France via ses divers programmes.
À Médias en Seine, Sébastien Missoffe a notamment indiqué travailler avec Le Monde sur un programme pour développer ses abonnements, qui a assuré, selon lui, le tiers de ses recrutements de nouveaux abonnés cette année.
De leur côté, les agences de presse ont indiqué via leur fédération qu’elles ne «se laisseront pas spolier», regrettant que «certains éditeurs [soient] prêts à conclure avec Google des accords sur des droits qu’ils n’ont pas: les droits voisins des agences de presse».
À Médias en Seine, le PDG de l’Agence France-Presse Fabrice Fries s’est dit «optimiste» sur les relations avec les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon): «On sent depuis quelques mois un changement d’attitude des plateformes», a-t-il estimé, précisant vouloir doubler en un an les revenus apportés par les plateformes à l’AFP (aujourd’hui 10 millions d’euros).
«Nous sommes à une époque historique, on est en train de renégocier les termes de la compensation concernant l’utilisation de notre contenu», a estimé David Chavern, PDG de la News Media Alliance, association professionnelle de la presse américaine, au cours du même événement, jugeant que «la nouvelle administration Biden sera plus combative dans ces domaines».
LR/AFP