France | Armée, banlieue et grosse polémique politique

C’est une tribune qui aurait pu faire pschitt mais qui a fait l’effet d’une bombe. Au départ, elle est publiée sur un site destiné aux militaires «Place d’Armes». C’est pourquoi elle est signée essentiellement de miliaires à la retraite dont plus de 20 généraux de réserve…

Cela aurait dû rester confidentiel. Sauf que la tribune a été reprise dans l’hebdomadaire «Valeurs Actuelles» référence de la droite dure, liant insécurité des banlieues et terrorisme à l’immigration. Un point de vue largement repris dans cette tribune qui dénonce le «délitement» du politique et craint que l’armée ne soit un jour obligée d’intervenir dans un climat de guerre civile.

A partir de là, on a eu droit à deux lectures.1- Les généraux constatant une réalité se sont comportés en lanceurs d’alerte. 2-Ils n’ont pas respecté le devoir de réserve dans un texte menaçant avec des relents de putschisme. Le gouvernement a mis plus de 5 jours à réagir. Ce qui a enflammé le débat, c’est le communiqué de Marine Le Pen approuvant l’analyse de «Place d’Armes» et demandant aux signataires de rejoindre son combat politique. Sa stratégie de dédiabolisation  marchant mieux que prévu, la poussant à des sommets dans une période de violences urbaines et d’attentats  terroristes islamistes, certains y ont vu une possibilité de la rediaboliser. Et bien sûr de faire référence en ce mois d’Avril au putsch des généraux d’Alger.

Le putsch des généraux du 21 avril 1961, également appelé putsch d’Alger, est une tentative de coup d’État, fomentée par une partie des militaires de carrière de l’armée française en Algérie et conduite par quatre généraux cinq étoiles. Comparaison ne vaut pas raison. Les généraux voulaient dans leur motivation sauver l’Algérie française et 4 départements. On est loin  de la notion  d’aujourd’hui de «territoires perdus de la république». Mais il est vrai que chez quelques militaires, ce qui se passe aujourd’hui en France est le prolongement d’une guerre qui n’est pas finie. Ils sont très minoritaires, votent à l’extrême droite et font leur une phrase souvent citée dans des réunions privées liées à la guerre d’Algérie et qu’ils étendent à l’immigration musulmane». «Les Français qui n’ont pas voulu de l’Algérie française auront un jour la France algérienne». Cela a été a écrit dans un livre, «D’une Résistance à l’autre», de Georges Bidault, l’ancien chef du Conseil National de la Résistance. D’où sa rupture avec de Gaule  jusqu’ à son effacement des photos officielles de la libération de Paris. On est dans le complotisme ou en tout cas la notion de grand remplacement. C’est très marginal mais ça existe.

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Ces références ne se retrouvent pas dans le texte qui fait polémique. Il y a tout de même une phrase qui interpelle, celle ou l’armée d’active pourrait être obligée d’intervenir… d’elle-même ! Il y a dans cet avertissement pour certains comme une menace à peine voilée.

Le plus intéressant dans cette tribune est son écho dans l’opinion. Alors que le gouvernement Macron devrait sévir contre les signataires, le chef d état major s’est voulu cinglant. «Je ne peux pas l’accepter, car la neutralité des armées est essentielle. (…) J’ai été choqué d’y lire un appel à l’armée d’active: ça me révulse absolument», dit François Lecointre.

Le chef d’état-major estime que ce texte ne reflète en rien l’état d’esprit des armées. «L’armée est républicaine, elle n’est pas politisée (…) Contrairement aux fantasmes que certains entretiennent, elle est très diverse socialement», explique-t-il. «C’est une tentative de manipulation de l’armée inacceptable. Si ces gens veulent s’exprimer, qu’ils le fassent en leur nom, sans mettre en avant leur qualité d’ancien militaire ou leur grade», ajoute-t-il. François Lecointre prône la radiation des généraux signataires, une procédure qui entraîne leur mise à la retraite définitive.

Ce ne sera pas aussi facile que cela.

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La tribune  en effet est approuvée par 58 % des Français et 49 % -chiffre encore plus surprenant- ne seraient pas choqués par une intervention de l’armée dans certains cas sans ordre du politique. Plusieurs responsables de droite se sont dits d’accord avec le «constat» de «délitement» selon Rachida Dati, de «risque de guerre civile» pour Bruno Retailleau, tout en prenant leurs distances avec la démarche.

«Je ne l’aurais peut-être pas écrite comme ça» mais «ce qui est écrit, c’est une réalité», a réagi la maire du VIIe arrondissement Rachida Dati sur franceinfo, «Je suis d’accord sur le constat», a-t-elle affirmé, même si «les militaires ne sont pas dans leur rôle quand ils font de la politique».

«On peut juger la démarche déplacée pour ceux qui sont en service actif», a abondé le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau. Mais «je trouve indigne qu’on jette l’opprobre sur des soldats français pour tenter de cacher la réalité qu’ils décrivent: le risque de guerre civile dans certains quartiers islamisés», a-t-il ajouté sur Twitter.

Cela révèle un climat. La notion  d’impuissance du pouvoir politique français face aux désordres est largement partagée.  Cela fait le jeu de Marine Le Pen et tous les tabous tombent les uns après les autres. La tentation  d’une partie de l’opinion pour l’autoritarisme est indiscutable. Cela ne va pas jusqu’ à souhaiter une prise en main des affaires publiques par l’armée. Mais certains pensent qu’il faudra un jour envoyer l’armée dans certains quartiers pour rétablir l’ordre.

Cette perspective est bien sûr terrifiante pour le monde politique et la stabilité de la démocratie républicaine.  Car de telles interventions entraineraient forcément des morts. L’armée ne rétablit pas l’ordre elle livre une bataille à des ennemis. La France n’en est pas là, heureusement, mais il est grand temps de s’en préoccuper tribune ou pas.

Patrice Zehr

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