On pourrait croire que les élections régionales en France sont sans importance. Or, il n’en est rien. Pourtant l’abstention à plus de 66 %, un record, semble montrer un désintérêt. Mais il y a des abstentions qui sont des désaveux, des «non-votes» de protestation ou de rejet.
La traditionnelle prime aux sortants a été accentuée par l’abstention. Les électeurs ont conforté ceux qu’ils connaissaient. Cela a profité aux Républicains et à la gauche, notamment aux socialistes. Ces deux partis que certains annonçaient sur la voie de la disparition ont gagné, très relativement certes, mais ils reprennent confiance pour leur participation à la présidentielle, la seule élection qui compte vraiment maintenant en France. Le scénario de la présidentielle après ces régionales est plus ouvert que prévu.
Le choc annoncé Macon-Le Pen parait moins évident. Ainsi, rendez-vous avait déjà été pris pour le second tour de l’élection présidentielle de 2022. Les sondages d’intentions de vote –simples photos instantanées de l’opinion– étaient interprétés comme les signes annonciateurs d’un inéluctable duel: Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. La revanche de 2017, vraiment ? D’autres études indiquaient qu’une majorité de Français rejetaient ce scénario trop attendu. Et voici que le premier tour des régionales remet en cause la distribution des rôles. Il n’empêche. Le Président de la République et sa meilleure ennemie apparaissent comme les grands perdants du premier tour. Donnés, avant le scrutin, en tête dans six régions et favoris dans trois, les candidats de Marine Le Pen ne sont plus nulle part en position de l’emporter. Même Thierry Mariani, transfuge de LR, grand favori en Paca, risque désormais d’échouer après le désistement de la liste de gauche en faveur du sortant de droite Renaud Muselier, qui avait fait alliance avec La République en Marche au premier tour. Au plan national, le Rassemblement national n’obtient que 19 % des suffrages, contre plus de 27 % aux régionales de 2015.
Marine Le Pen sort très affaiblie de ce vote. Ses candidats font 10 points de moins que ce qu’annonçaient les sondages. Le fossé est si grand qu’il pose des questions. Mais une chose est sûre, ce sont les électeurs du rassemblement national qui se sont le plus abstenus: plus de 70 %. Il faut tenter de comprendre cette contre performance qui est un coup d’arrêt. Il ne suffit certes pas de s’en prendre aux électeurs, comme cela a été fait par les dirigeants RN battus au soir du premier tour. Parmi les explications, il y en a une, mécanique. Les électeurs de Le Pen sont massivement dans les catégories sociales qui se sont le plus abstenus, les jeunes et les couches populaires. Mais cela ne suffit pas. Certains mettent en cause la personne même de Marine Le Pen. Mais ce qui est surtout pointé du doigt, c’est sa politique de dédiabolisation. C’est tellement réussi que les électeurs anti systèmes ne s’y retrouvent plus. Ils se retrouvent dans le discours d’un chroniqueur comme Eric Zemmour. Un discours qui est désavoué par Marine Le Pen qui avait peur d’être confondue avec les diatribes d’un Zemmour. Il n’en est rien et finalement, elle en paye le prix. Certains poussent le même Zemmour à se présenter à la présidentielle. L’échec aux régionales de Marine Le Pen renforce ceux qui cherchent pour la droite identitaire et anti immigration, une autre candidature. Le polémiste laisse dire, depuis longtemps et avec une discrète jubilation, qu’il pourrait avantageusement remplacer Marine Le Pen à la tête du clan «des patriotes», mais sans jamais se déclarer ouvertement. Lundi 21 juin, sur CNews, au lendemain des régionales, il a lancé un message facile à décrypter: «Malgré les efforts des médias, des sondeurs, de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron, le second tour Macron-Le Pen n’est plus inéluctable. C’est la grande leçon qu’ont donnée les électeurs hier soir».
Comme on voit mal cependant la présidente du RN renoncer, une candidature à coté ruinerait définitivement les espoirs de son camp. Un camp qui tangue avec des candidats issus pour la plupart du système et non des dissidents historiques qui ont disparu de purges en purges. Ce scrutin devait être un tremplin, il est devenu un boulet. Ce n’était pas prévu. Marine Le Pen est maintenant obligée d’éviter que cet échec, établi en ce qui concerne le premier tour (le RN, en tête dans six régions en 2015, ayant alors récolté près de 28 % des suffrages, ne l’est plus que dans une seule, six ans plus tard, avec un peu moins de 20 %), ne constitue un handicap.
Macron, devrait s’en réjouir. Or, il n’en est rien. Le Président veut Marine en face de lui car il pense que face à elle il n’a aucune chance de perdre. Mais il se retrouve bien seul. Son parti n’a pas tenu la route. LREM s’est souvent retrouvée sous la barre des 10 %. La campagne de nombreux ministres auprès des candidats du mouvement présidentiel n’a eu aucun impact. Pire, dans les hauts de France, le rival potentiel de la droite au président sortant, Xavier Bertrand fait un beau score et s’impose comme le vainqueur le plus lisible du premier tour de ces régionales.
Rien n’est joué et les cartes sont redistribuées.
Patrice Zehr