A première vue on pourrait penser que la guerre actuelle en Ukraine soit une opportunité gazière pour l’Algérie. Ce n’est pas aussi simple… Et sur d’autres plans, l’Algérie a vraiment de quoi s’inquiéter.
La dépendance alimentaire de l’Algérie est très largement supérieure à celle du Maroc.
La diplomatie marocaine ne cesse de marquer des points et, sans condamner Moscou, réussit à se rapprocher des pays de l’Otan.
Le plus important reste, notamment, les leçons au niveau militaire. L’armée algérienne se met à douter.
L’Algérie, troisième fournisseur de gaz naturel vers l’Europe derrière la Russie et la Norvège, s’est dernièrement dite prête à exporter davantage de gaz à l’Europe. Toutefois, «ses capacités d’exportation restent limitées», selon Patrice Geoffron, professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine et directeur du Centre de géopolitiques de l’énergie et des matières premières (CGEMP).
L’Algérie, deuxième consommateur africain de blé et cinquième importateur mondial de céréales –derrière l’Égypte, la Chine, l’Indonésie et la Turquie– sera-t-elle impactée par la guerre en Ukraine ? La question mérite d’être posée. La production céréalière de l’Algérie de la saison 2021-2022, en raison du manque de pluie, a baissé de 38 %, provoquant une hausse des importations.
Le Maroc est dans une situation bien plus favorable. La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) a estimé la dépendance du Maroc vis-à-vis des produits alimentaires en provenance de Russie et d’Ukraine à environ 1,9 %.
Le Secrétaire général de la Fondation des Nations Unies a indiqué que «l’Ukraine et la Russie sont des acteurs majeurs sur les marchés des produits agricoles, représentant 53% du commerce mondial sur le marché de l’huile et des graines de tournesol et 27% du blé».
Greenspan a ajouté que «la forte hausse des prix des denrées alimentaires et du carburant affectera les groupes les plus vulnérables des pays en développement», et n’a pas exclu l’émergence de risques de troubles civils, de pénuries alimentaires et de stagnation causée par l’inflation, en particulier compte tenu de la fragilité de l’État. Avantage donc au Maroc pour faire face aux conséquences économiques et politiques de la crise mondiale alimentaire.
Avantage évident également sur le plan diplomatique. Le Maroc n’a jamais voté un texte condamnant la Russie. Mais le Maroc consolide son statut d’allié majeur non membre de l’Otan. Le Royaume en conservant toute son indépendance participe au groupe consultatif de défense de l’Ukraine. Le pays reste donc libre de ses choix, comme par exemple un autre Etat associé, Israël. Une liberté et un espace diplomatique dont ne dispose plus l’Algérie.
Mais c’est sans doute le déroulement de la guerre qui déstabilise le plus le pouvoir algérien. En effet dans la perspective d’une guerre avec le Maroc, qui n’est jamais écarté par l’Algérie, la confiance initiale est totalement ébranlée. Il n’y a plus aucun sentiment, justifié ou non, de supériorité.
Le scénario était celui d’une supériorité à la soviétique avec notamment la puissance des blindés. Rien n’est comparable et d’ailleurs l’artillerie et les blindés russes progressent en Ukraine. Mais le rapport de force entre le Maroc et l’Algérie est très différent de celui disproportionné entre la Russie et l’Ukraine. La partie serait plus égale et l’équipement évolue bien plus favorablement pour le Maroc.
En effet l’Armée Royale est dotée d’équipements modernes venus des Usa ou d’Israël, ce que redoutent les Algériens. Ils savent de plus que leur infrastructure industrielle et gazière à l’ancienne serait terriblement fragile face à des attaques de drones par exemple.
Cette nouvelle configuration est en train de changer le regard des spécialistes sur les deux armées.
Global Fire Power a publié son classement 2021 des puissances militaires. L’armée algérienne arrive à la 2ème place en Afrique après l’Égypte (13ème mondiale) et première au Maghreb. Le Maroc se classait 5ème sur le continent. Mais cela parait de moins en moins crédible.
Et puis il y a l’essentiel: la qualité des hommes, leur motivation et le patriotisme des populations pour le Roi et le pays. En cas d’agression algérienne, qui peut mettre en doute la détermination des militaires de faire du mieux possible leur devoir ? Et qui peut penser en Algérie que des forces étrangères ne se verraient pas stoppées dans les villes par une population aussi courageuse que déterminée.
C’est aussi une grande leçon de la guerre en Ukraine une nation debout derrière un chef incontesté peut faire bien plus et mieux que ce que prévoient des statistiques sur le papier. Ce n’est pas prendre positon en écrivant ça sur ce conflit ; mais c’est en tirer une leçon essentielle. La Russie le fait en adaptant ses ambitions à des résultats, bien meilleurs que ceux présentés dans les médias occidentaux, cependant pas au niveau auquel pouvait s’attendre une armée massive mais à l’ancienne et devant faire face à une nouvelle forme de guerre plus technologique.
Armée à l’ancienne comme l’Algérie, plus technologique mois après mois comme celle du Maroc… L’équilibre se modifie rapidement.
Les leçons de la guerre en Ukraine devraient finalement renforcer la paix et le dialogue et contenir le bellicisme du voisin du Maroc qui, avec du gaz mais sans blé, va souffrir de la guerre ukrainienne qui montre également les limites de ses choix militaires.
Patrice Zehr