Le nouveau gouvernement présente son programme devant le Parlement, ce vendredi 14 avril. Suivra le projet de loi de Finances. Mais El Othmani est face à la colère des siens.
Après la fin du blocage et l’installation du nouveau gouvernement, piloté par le PJDiste Saâd-Eddine El Othmani, les yeux sont maintenant rivés sur le Parlement qui va entamer, après l’ouverture de sa nouvelle session printanière, vendredi 14 avril, un grand débat sur un chantier de taille, à savoir le projet de loi de Finances, œuvre du gouvernement sortant de Abdelilah Benkirane.
La nouvelle équipe gouvernementale s’attelle d’ores et déjà à peaufiner les contours de son programme qu’elle aura à présenter et à défendre au Parlement, après qu’elle l’aura mis sous la loupe d’une commission chargée de l’examiner.
Eviter la crise
L’on se souvient que, malgré les six mois de blocage, le recours à l’article 75 de la Constitution a évité au Maroc les affres d’une crise. Cet article énonce en effet: «Si, à la fin de l’année budgétaire, la loi de Finances n’est pas votée ou n’est pas promulguée en raison de sa soumission à la Cours constitutionnelle, en application de l’article 132 de la présente Constitution, le gouvernement ouvre, par décret, les crédits nécessaires à la marche des services publics et à l’exercice de leur mission en fonction des propositions budgétaires soumises à approbation…».
Réviser la loi de Finances
La question qui se pose, à la veille de l’ouverture du débat des parlementaires sur le projet de loi de Finances, le deuxième vendredi d’avril, est de savoir si le nouveau gouvernement va servir et défendre une version de la loi de Finances préparée par son prédécesseur, qu’il aura au préalable révisée, avec des recommandations à l’appui. Soit une sorte de plat réchauffé, histoire de rattraper les six mois perdus par le blocage politique.
Un membre du nouveau gouvernement a tenu à rappeler que le ministre Mohamed Boussaïd (RNI), qui a supervisé le projet de loi de Finances pour le compte du précédent gouvernement de Benkirane, a rempilé. N’empêche, a renchéri la même source, que les parlementaires des deux Chambres devront accélérer la cadence au sein des commissions des finances respectives des deux Chambres, pour adopter le projet de loi de Finances.
Débat sur le gouvernement
Le débat sur la rentrée parlementaire, la loi de Finances et le programme de l’équipe d’El Othmani n’empêche pas un autre débat sur le nouveau gouvernement, alors que la passation des pouvoirs s’est faite le plus normalement du monde, mais non sans soupir de désolation de la part des ministres déchus. Pour sa part, Abdelilah Benkirane, bien que visiblement contrarié, a évité autant que possible d’évoquer son soutien -ou non- au gouvernement d’El Othmani. Bien que l’agence MAP ait parlé de soutien de celui-ci au nouveau gouvernement, une source PJD a infirmé ce qu’elle a considéré comme une allégation.
El Othmani sous les projecteurs
Côté PJD, le chef de gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, aura à faire face à ses frères du parti, autant les déçus que ceux qui ont été débarqués et qui sont allés jusqu’à parler de «trahison d’El Othmani». Les membres du Conseil national, en ce qui les concerne, mettent la pression sur El Othmani, qui est aussi président du CN, pour l’amener à convoquer une session extraordinaire, afin de s’expliquer sur ses tractations en vue de former son gouvernement.
Certains lui reprochent de ne pas avoir bien négocié et donc d’avoir cédé, disent-ils, au dictat des technocrates, à leur tête le RNIste Aziz Akhannouch; celui-là même qui, à leurs yeux, aurait provoqué et exécuté le plan «éviction de Benkirane». Toujours selon certains frères au PJD, le principal bénéficiaire des portefeuilles gouvernementaux, c’est le RNI, bien que celui-ci n’ait pas obtenu assez de voix d’électeurs lors des législatives du 7 octobre 2016. Ils rappellent que, malgré tout, le parti de la colombe a obtenu les ministères qualifiés de stratégiques, à leur tête ceux de l’Economie et des Finances, de l’Agriculture, de la Justice…
Manque d’expérience
C’est normal, nous a confié un député de l’USFP, les ministres du PJD n’ont pas beaucoup d’expérience en la matière, en plus du fait qu’en dehors de Abdelilah Benkirane, le parti de la lampe souffre d’un déficit de négociateurs aguerris. Alors que le RNI en regorge, ce qui a été à l’avantage de ce dernier. De la sorte, le PJD a gagné la bataille sur un plan symbolique, mais l’a perdue sur le plan politique. Certes, il a arraché tant bien que mal son ticket pour un nouveau mandat de cinq années. Il aura donc à loisir de préparer son Congrès national pour élire son nouveau Secrétaire général.
Rigueur et discipline
Le PJD sort affaibli de cette bataille, même si ses principaux outsiders ont rempilé et on a changé le portefeuille qu’ils réclamaient par un autre. Il risque même la scission. Des langues se sont beaucoup déliées ces derniers temps, nous a confié une source proche d’El Othmani, alors qu’elles n’osaient pas parler du temps de Benkirane et encore moins quand celui-ci gérait, en solitaire, la formation du gouvernement, qu’il n’a d’ailleurs pas réussie, ce qui veut dire qu’il imposait rigueur et discipline.
El Othmani, lui, s’attend à une opposition de la Jeunesse du PJD à son action gouvernementale, doublée d’une critique plus au moins acerbe, autorisée implicitement, dit-on, par les faucons du parti, eux-mêmes télécommandés par les grosses pointures du PJD laissés pour compte.
L’intérêt de la patrie
El Othmani mesure les difficultés qui l’attendent au tournant, dans sa gestion du quotidien gouvernemental. Il sait qu’il doit s’appuyer sur les fidèles du Conseil national, mais aussi les sphères officielles. Il emploie donc les mots qu’il faut, dictés par cette conjoncture. «Nous réfléchissons, a-t-il dit, à l’intérêt de la patrie, avant tout. Il y a une alliance gouvernementale de six partis politiques qui exige des concessions. On ne peut être satisfait à 100%. En général, je suis très satisfait de la composition finale». Et de conclure que l’essentiel aujourd’hui est de s’atteler à travailler sérieusement pour rattraper le temps perdu durant des derniers mois.
Mohammed Nafaa