La presse française a été plus que surprise par la décision de la CAN d’exclure l’équipe marocaine de la future compétition. Une décision jugée comme une sanction incompréhensible, injuste et surtout inappropriée vis-à-vis d’une demande de report justifiée et en tout cas à prendre en compte. Mais la décision de confier la Coupe à la Guinée équatoriale qui s’est portée candidate a jeté des ombres supplémentaires sur les éthiques bien curieuses de la CAN.
Il y a bien longtemps que Paris juge le pouvoir de ce petit émirat pétrolier de l’Afrique noire peu fréquentable au niveau des critères de la démocratie et de la transparence. En réalité, pour le quotidien l’Equipe, c’était le choix de l’urgence: il fallait trouver vite un remplaçant au Maroc et la Guinée équatoriale, qui avait organisé la manifestation déjà avec le Gabon, était finalement la seule alternative possible.
Des Marocains injustement écartés et des Guinéens injustement sélectionnés malgré une élimination, rappelle France 24. «Surprenant destin que celui du football équato-guinéen. La sélection nationale, disqualifiée de la CAN-2015 pour avoir aligné un joueur camerounais face à la Mauritanie en juillet, organisera finalement le tournoi… et le disputera». Surréaliste tout de même! Surréaliste mais pas incompréhensible, poursuit France 24 en ajoutant:
«Sur un plan strictement logistique, le choix de la CAF est difficilement contestable. La Guinée équatoriale, petit pays riche en pétrole situé en Afrique centrale, a co-accueilli avec le Gabon la phase finale de la CAN-2012. Elle dispose donc d’infrastructures aux normes, mais aussi d’une récente expérience concluante en matière d’organisation de grands événements sportifs. Et surtout, le pays, en perspective de la CAN-2017 pour laquelle il s’est porté candidat, a continué de construire des stades ces deux dernières années…. Les Equato-guinéens, mis au ban du football continental il y a moins de six mois, s’érigent cette fois en sauveurs de l’instance suprême du football africain».
«À deux mois de l’événement, pour accepter d’organiser une compétition comme celle-là, il faut […] être un vrai Africain», a souligné le patron de la CAF lors d’une conférence de presse à Malabo, après s’être entretenu avec le président équato-guinéen.
La CAN a donc sauvé la face et le président guinéen, lui, réussit une opération de communication dont il a toujours besoin. Un véritable africain… Le qualificatif n’a pas été partout apprécié et pas par tous les dirigeants africains.
Tous les problèmes, note l’OBS (nouveau titre du Nouvel Observateur) ne sont pas pour autant réglés. «Sur le plan sportif tout d’abord. En juillet 2014, la CAF avait disqualifié la Guinée équatoriale de la compétition qu’elle va accueillir pour avoir aligné dans un match contre la Mauritanie, le 17 mai 2014, un joueur qui n’était pas éligible. Il s’agissait d’un Camerounais dont le changement de nationalité au profit de la Guinée équatoriale n’avait pas été reconnu par la FIFA.
La nature du régime pose également problème.
Bien sûr les événements sportifs ne peuvent pas être organisés que dans des démocraties stables et pacifiques. Mais s’il y a des régimes autoritaires qui, néanmoins développent leur pays, la Guinée équatoriale est un régime kleptocrate où le président et sa famille confondent leurs caisses personnelles et celles de l’État. Grâce à son pétrole, c’est un pays très riche. Le PIB par habitant est extrêmement élevé (15.500 euros), ce qui la place au 52ème rang, selon le classement du FMI. Malheureusement, ses performances en termes d’indice de développement humain sont nettement moins reluisantes, puisque le pays se situe au 136ème rang mondial.
Le président Obiang au pouvoir depuis 1979 a été réélu en 2009 avec 97% des voix. Il y a deux solutions: soit la population lui est particulièrement reconnaissante de sa gouvernance, soit le vote n’a pas été entièrement libre. Son fils Teodorin semble en tout cas être un habile gestionnaire. Avec des revenus déclarés de 5.000 $ par mois, il a pu se payer un yacht d’une valeur de 380 millions d’euros (trois fois le budget du ministère de la Santé et de l’Éducation de son pays); il a un jet privé de 33 millions, une maison à Malibu estimée à 35 millions et 70 millions d’actifs sur le sol américain. En France, il a fait l’objet de poursuites dans le cadre de la procédure des biens mal acquis».
Le moins que l’on puisse dire, comme le souligne le Courrier international, c’est que ce choix est critiqué: «Sitôt choisi, sitôt critiqué. Le site spécialisé Africa Top Sports écrit: « L’Afrique a du mal à comprendre en ce vendredi le choix de la Guinée équatoriale comme pays organisateur de la CAN 2015. Et pour cause: la Guinée équatoriale a été disqualifiée en juillet dernier des éliminatoires de la CAN 2015. Le Nzalang Nacional [surnom de son équipe nationale] avait aligné un joueur non éligible en la personne de Thierry Fidieu Tazemeta, camerounais d’origine dont la naturalisation n’avait pas été effectuée dans les règles de la Fifa »».
Le Point résume bien le malaise général.
Le pays reste marqué par une histoire tragique, même si l’argent du pétrole coule désormais à flot.
D’une superficie de 28.051 km² pour une population d’environ 700.000 habitants, cette ancienne colonie espagnole a accédé à l’indépendance en 1968 sous la direction du président Francisco Macias Nguema, qui plongea le pays dans la terreur, ce qui lui valut le surnom de «Pol Pot africain», avant d’être renversé en 1979 par son neveu, l’actuel président Teodoro Obiang Nguema.
Les atouts sont incontestables
– Des infrastructures récentes: il y a deux décennies encore, le pays était le «parent pauvre» de l’Afrique Centrale pétrolière. La découverte de brut a depuis bouleversé la donne et la Guinée équatoriale s’est hissée au 3ème rang des exportateurs de pétrole subsahariens. L’argent du pétrole a notamment servi à construire des infrastructures: routes, hôtels, logements, etc.
– Des distances courtes: du fait de la taille du pays, les équipes n’auront pas à couvrir de longues distances d’un site à l’autre.
– Sécurité: la Guinée équatoriale a jusqu’à présent été épargnée par l’épidémie d’Ebola et n’est pas concernée par les menaces des groupes jihadistes qui sévissent dans une partie du continent, notamment chez ses voisins nigérian et camerounais.
Mais…
Le régime équato-guinéen est régulièrement dénoncé par les organisations de défense des droits de l’Homme pour sa violente répression à l’encontre des opposants politiques, des organisations indépendantes de la société civile et des médias. Pour le président Obiang Nguema, organiser la CAN est une occasion de tenter de changer l’image du pays où les services de sécurité sont omniprésents dans la vie quotidienne et très suspicieux à l’égard des étrangers.
La CAN, pour sauver les meubles, prend donc des risques sportifs- sanitaires (car l’Ebola tout de même n’est pas loin et pourrait décourager certains participants) et politiques. Elle s’est de fait elle-même mis dans la situation de ne pas pouvoir vraiment choisir.
Patrice Zehr