C’est presque devenu habituel! Chaque fois qu’il pleut, des effondrements s’ensuivent et l’on passe l’éponge, surtout lorsqu’on ne déplore pas de victimes…
Et l’on ferme encore les yeux sur ce «phénomène» né de l’insouciance de certains responsables qui n’ont que longtemps fait fi des lois et des programmes nationaux concernant l’habitat menaçant ruine…
Juste au début du mois de mars, à Casablanca encore, il y a eu l’effondrement de plusieurs habitations menaçant ruine. D’abord, l’effondrement tragique, le samedi 3 mars, du toit d’une maison à Derb Chorfa, qui a coûté la vie à une jeune fille et causé une blessure grave à sa sœur jumelle. Une semaine plus tard, soit le samedi 10 mars, trois autres habitations se sont effondrées dans l’Ancienne médina de Casablanca. Cette fois, aucune perte humaine, ni blessé. Cependant, ce même jour, plusieurs personnes ont été blessées, dont deux grièvement, suite à l’effondrement du toit d’un café à Hay Bouchentouf, à Derb Sultan encore… Et, comme à l’accoutumée, une enquête a été ouverte (sans vraiment savoir quand elle sera bouclée!), pour déterminer les circonstances de l’accident! Et comme toujours, l’on pense déjà, que «mère-nature» n’a pas été indulgente! Ce sont, bien sûr, les fortes précipitations et les rafales de vent qu’a connues Casablanca qui sont la cause! Il ne fallait donc pas qu’il pleuve à Casablanca, pour que ces bâtisses restent bien en place!
Mais où sont passés tous ces programmes de réhabilitation? Où est passé le programme national de lutte contre le menaçant ruine et, surtout, où est passée la loi? Eh oui, parce que, pour ceux qui l’ignoreraient encore, la loi 94-12 est dédiée à cette question mais… qui s’en soucie?
Pourtant, c’est chaque année la même «chanson». Dès qu’il y a un peu plus de pluie que d’habitude, c’est automatiquement l’effondrement de plusieurs constructions menaçant ruine qui causent des blessés graves, voire même des décès. Et pas seulement à Casablanca, le problème est aussi grave dans d’autres villes. Des drames et des victimes à Fès, à Meknès, à Salé ou encore à Marrakech. Le phénomène a pris de l’ampleur, en dépit d’un programme d’habitat menaçant ruine et d’un nouveau cadre législatif pour lutter contre ce fléau, car, au fil du temps, c’en est devenu un.
Que faut-il de plus pour que les gens assument pleinement leur responsabilité et passent à l’action? La suite de tragédies vécues en une semaine à Casablanca signifie bien que, dans ce cas de figure, la loi est loin d’être appliquée, alors qu’il y va de la vie de citoyens qui n’ont d’autre tort que celui de s’être retrouvés dans une situation de précarité…
L’exemple de Casablanca…
La médina de Casablanca a certes bénéficié de plusieurs programmes de réhabilitation. Des plus récents aux plus anciens, totalisant plus d’un quart de siècle de programmes et de solutions, elle peine toujours à sortir de l’impasse, passant pour un réel «cimetière» vivant et un vivier de prolifération d’habitats insalubres, de maisons vétustes et de bâtisses qui menacent de s’effondrer à tout moment.
Une réhabilitation en deux tranches, annoncée en grande pompe et inaugurée par Sa Majesté le Roi, devait être mise en œuvre. Un projet pour un bon paquet de millions de dirhams qui, dit-on, touche déjà à sa fin, mais au-delà…
Les effondrements menacent toujours. Plus ancien encore, le projet d’aménagement de l’Avenue Royale qui devait conférer à l’Ancienne médina un nouveau visage. Ce projet, qui touchait à l’origine quelque 12.000 foyers, est aujourd’hui à l’arrêt, voire aux oubliettes.
Les habitants concernés devaient migrer vers une cité périphérique, «Nassim» (commune de Lissasfa), des opérations de relogement avaient été faites sous la direction d’une société créée à cet effet, la Société nationale d’aménagement communal (SONADAC), aujourd’hui passée dans le giron de la CDG. Mais l’opération n’a pas abouti! Et, au lieu de logements à Nassim, des bénéficiaires se sont retrouvés dans des écoles et des établissements publics, transformés à l’occasion en réels camps provisoires… Un provisoire qui perdure!
Officiellement, on parle du relogement de bidonvillois et d’occupants d’habitations menaçant ruine! Un recensement faisait état de 150 ménages, dont 104 ménages bidonvillois et 46 occupants des équipements et des édifices publics!
Les chiffres déclarés sont pourtant loin d’être vrais. Comment, dans une telle opération, ne parle-t-on que de 66 constructions, dont la plupart ont fait l’objet d’arrêtés de démolition et dont 32 bâtiments seulement devront être démolis, alors que 19 sont à consolider et 15 sont jugés stables? Preuve qu’on se contente de la façade, dans le cadre du programme de réhabilitation, pour camoufler ce qu’il y a derrière, toutes ces bâtisses qui faisaient partie du grand programme d’aménagement et qui tombent en ruines aujourd’hui, bien qu’elles soient toujours occupées, puisque les ménages concernés refusent de quitter les lieux. Une attitude qui s’explique soit par une insuffisance de dédommagement, soit par le refus des conditions dans lesquelles le logement de substitution est octroyé, soit encore -et tout simplement- par souci de proximité du port et des zones d’activité… Ce refus implique la responsabilité des occupants et est interprété comme entrave à la bonne marche du projet!
Ce qu’en dit la loi
Il est à préciser que la loi 94-12, relative aux édifices menaçant ruine, met en place les procédures visant le traitement du problème des édifices en délabrement, la gestion des opérations de rénovation urbaine et la création d’un établissement national public dédié à cet effet. Cette loi permet également de déterminer les responsabilités des propriétaires et des locataires des édifices menaçant ruine…
Dans le cas d’un édifice menaçant ruine, le propriétaire doit procéder aux mesures d’urgence nécessaires, pour éviter le risque d’un effondrement. Ainsi, il doit entretenir, rénover et réhabiliter son immeuble pour assurer sa durabilité et garantir la sécurité des voisins. Pour sa part, le locataire d’un édifice menaçant ruine ou ses occupants doivent être informés à travers des procédures de notifications juridiques sur le danger d’effondrement du bâtiment en question. Cette loi prévoit de lourdes sanctions. Tout propriétaire d’un bâtiment menaçant ruine qui, après mise en demeure, refuse, délibérément et sans motif légitime, d’effectuer les travaux décidés par l’administration, est puni d’un emprisonnement d’un mois à trois mois et d’une amende de 30.000 à 50.000 DH ou de l’une de ces deux peines. Il en va de même pour tout occupant d’un bâtiment menaçant ruine qui, après mise en demeure, refuse délibérément et sans motif légitime d’évacuer le bâtiment en vue d’effectuer les travaux demandés. Rappelons que les statistiques d’un recensement datant de 2012 avaient estimé le nombre de ces bâtiments à 43.697 unités.
Dans le Grand Casablanca, une convention a été signée en juin 2012, pour le traitement de la problématique des logements menaçant ruine. Ladite convention énonçait le transfert de 9.250 familles vers des appartements d’un coût de 250 mille dirhams, dont chaque famille doit verser 100 mille dirhams. Dans ce contexte, quelque 5.000 familles ont été relogées, dont 2.000 non couvertes par ladite convention. 6.250 concernés n’ont donc pas bénéficié des termes de la convention. Ils continuaient d’occuper des lieux menaçant effondrement à tout moment, puisque recensés en tant que tels, au vu et au su des autorités concernées. On parle de responsabilité des occupants et de sanctions, mais ceux qui sont mis dans la bouche du canon, sont-ils ainsi les seuls qu’il faut incriminer?
Responsabilité et sanction
Vu de cet angle donc, l’on se rend vite compte qu’il ne s’agit pas de la seule responsabilité des citoyens. En effet, il existe, selon la loi, une multitude de contrôles et des opérations de suivi et de surveillance qui doivent, en principe, empêcher qu’un local déclaré «menaçant ruine» demeure occupé. Et pourtant… Beaucoup d’arrangements sont de mise et on joue souvent à «fermer l’œil», parfois moyennant une «enveloppe» bien garnie ou par simple crainte de riposte qui pourra lever le voile sur de bien graves dysfonctionnements. Ce qui fait que tous les intervenants se trouvent impliqués et l’on opte pour le silence sur certaines questions, telles que la prolifération des bidonvilles, de l’habitat insalubre ou encore l’extension du nouveau fléau de l’habitat menaçant ruine…
Tout le monde est ainsi fautif et est responsable en l’absence d’un contrôle rigoureux et d’une stricte application de la loi. Cette dernière qui ne semble être faite que pour la forme, tout comme un «historique» programme d’habitat menaçant ruine et qui fait pourtant date, mais dans le cadre duquel peu de choses ont, jusqu’à ce jour, été réalisées, faute de rigueur et de sérieux dans l’application de la loi et dans le suivi; en somme, faute de professionnalisme et de responsabilité… Voilà pourquoi, à chaque pluie, on entendra encore parler d’effondrements et ce, tant que l’irresponsabilité et l’impunité persisteront.
Hamid Dades