Poutine impose sa paix dans le Haut Karabakh
La Russie, au lendemain du cessez le feu du 9 novembre, a déployé 2000 hommes sur les territoires du haut Karabach repassant sous le contrôle de l’Azerbaïdjan. Un cessez le feu qui entérine la défaite militaire des Arméniens.
Le premier ministre arménien a décrit une décision «incroyablement douloureuse pour moi et pour notre peuple», aussitôt qualifiée de «capitulation» par son adversaire azerbaïdjanais.
Après six semaines de combats très rudes, les parties s’engagent à s’arrêter «à leurs positions». Cette disposition numéro un de l’accord de cessez-le-feu consacre la reconquête par l’Azerbaïdjan d’une bonne partie de territoires dépendants de l’ancienne république autonome du Haut-Karabakh. Les parties ont également accepté le déploiement d’un contingent russe de «maintien de la paix».
Grâce à des revenus importants tirés des hydrocarbures, au soutien de la Turquie, aux armes israéliennes et aux renforts de djihadistes syriens, l’Azerbaïdjan a ainsi obtenu par la force ce qu’elle n’aura jamais obtenu par la diplomatie.
Poutine paraît vainqueur d’une paix, suite à une guerre gagnée par la Turquie. Il devient à nouveau le parrain de cette vaste région du Caucase sud. L’Azerbaïdjan apparait comme le grand vainqueur sur le terrain, alors que Moscou était considéré comme l’allié des Arméniens.
En fait le Président azéri Aliev a bénéficié d’un feu vert de Moscou, Poutine déteste le premier ministre arménien Nikol Pachinian. Pachinian en effet a pris le pouvoir dans l’enthousiasme du peuple et en chassant un pouvoir largement inféodé à Moscou. Dans le cadre de la révolution de 2018, déclenchée à la suite de la tentative de Sarkissian de se maintenir au pouvoir à l’issue de son mandat présidentiel, il apparaît comme la principale figure de l’opposition. Le 8 mai, deux semaines après la démission de Sarkissian, il est élu Premier ministre par les députés. En octobre 2018, il provoque la tenue de législatives anticipées pour décembre 2018, scrutin que son parti remporte par une écrasante victoire. Poutine ne le lui a jamais pardonné. Pour Galia Ackerman, essayiste et historienne, auteure du «Régiment Immortel. La Guerre sacrée de Poutine», aux éditions Premier Parallèle, l’Azerbaïdjan a bénéficié de la bienveillance de Vladimir Poutine et d’un aval «tacite».
«Le Haut-Karabakh, qu’il soit sous contrôle azéri ou arménien, n’est pas une priorité pour Vladimir Poutine», explique l’historienne sur France 24. «Pour le président russe, laisser cette guerre suivre son cours était un moyen de se débarrasser de Pachinian et de renverser la situation en Arménie».
C’est donc le Russe qui a décidé de reprendre la main sur toute cette partie du Caucase. Une autre preuve en est l’effacement du «Groupe des Minsk» (cad: l’OSCE, Organisation sur la Sécurité et la Coopération en Europe). Les USA et la France n’ont joué aucun rôle dans une paix concernant un territoire dont ils étaient coresponsables au regard du droit international. Un nouveau recul international de l’occident.
Autre gagnant la Turquie. Les autorités turques, qui n’avaient jamais appelé publiquement l’Azerbaïdjan à mettre fin à sa reconquête militaire du Haut-Karabakh, ont salué avec emphase l’annonce du cessez-le-feu, conclu avec l’Arménie après une médiation russe. Le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Çavusoglu, a félicité Bakou pour sa «grande victoire». Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a applaudi «la libération totale du Karabakh et des territoires occupés».
En célébrant la victoire militaire de l’Azerbaïdjan, la Turquie fête aussi sa propre victoire militaire, tant l’appui d’Ankara, en particulier de ses drones, a joué un rôle déterminant dans l’avancée rapide de l’armée de Bakou. L’état-major azerbaïdjanais a également bénéficié du renfort de miliciens syriens déployés par la Turquie et du soutien tactique de hauts gradés turcs, du début à la fin de ces 44 jours d’offensive.
Si, au début du conflit, la République islamique d’Iran semblait pencher en faveur de l’Arménie, aujourd’hui elle soutient de plus en plus explicitement l’Azerbaïdjan, pays musulman chiite, comme elle, et son intégrité territoriale. La position de l’Iran s’est affinée le 6 octobre, lorsque le proche conseiller aux affaires diplomatiques du Guide suprême, Ali Khamenei, Ali Akbar Velayati, a sommé l’Arménie de quitter les territoires qu’elle a «occupés», dans un entretien accordé au quotidien ultraconservateur Keyhan. «Le sud de la République d’Azerbaïdjan est occupé par l’Arménie. A ce propos, il existe quatre résolutions de l’Organisation des Nations unies [ONU] obligeant l’Arménie à quitter ces territoires et à rester dans les frontières reconnues internationalement», avait-il ainsi réclamé.
Les Arméniens se sont toujours sentis encerclés et isolés. C’est plus vrai que jamais.
Patrice Zehr