Idriss Azami Al Idrissi, ministre-délégué chargé du Budget

«La fraude fiscale est un vol. Nous allons renforcer le contrôle fiscal»

Azami Al Idrissi

Dans ce large round up, en clôture des Assises nationales sur la fiscalité, le ministre du Budget, Idriss Azami Al Idrissi, revient sur la feuille de route du département qu’il dirige aux côtés de l’Istiqlalien, Nizar Baraka et précise la vision de son parti, le PJD, sur la fiscalité.

 

Qu’est-ce qui a dicté ces Assises nationales sur la fiscalité: le contexte politique ou le besoin de réformer ce grand chantier?

Bien sûr, c’est le nouveau contexte aussi bien sur le plan constitutionnel que sur ceux politique et économique. Sur le premier plan, nous avons une nouvelle constitution qui met l’accent sur les droits, le service public, les droits sociaux, économiques et culturels et, bien sûr, sur la nécessité de faire participer tout le monde, en l’occurrence les secteurs et l’ensemble des citoyens, à l’effort public de solidarité nationale et au développement économique du pays. Donc ça, c’est très important.

Et sur le plan politique?

Sur le plan politique, nous avons un nouveau gouvernement avec un programme qui met l’accent sur la création de la richesse, le développement d’une économie compétitive et l’équilibre social et spatial. Il est donc important de revisiter le système fiscal à l’aube de ce programme gouvernemental.

Dans quel sens envisagez-vous de revisiter le système fiscal?

Si nous voulons assurer la production et plus de croissance et d’emplois, il va falloir revisiter le système fiscal dans ce sens-là.

Comment qualifier l’actuel système fiscal?

C’est un système fiscal moderne mais qui a suivi plusieurs gouvernements et politiques économiques. Il a été renforcé et encouragé par plusieurs secteurs.

Où en est-on aujourd’hui, économiquement?

Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle phase économique. Nous avons de nouveaux défis. Le premier est celui de la consolidation du cadre macroéconomique et donc du déficit budgétaire.
En tant que gouvernement, nous avons le devoir de disposer des ressources publiques nécessaires pour favoriser les infrastructures économiques et sociales. Nous avons un autre défi, non moins important. C’est celui de notre balance des paiements, donc du déficit du compte courant de cette balance. Concernant notre balance commerciale, ce défi-là exige que la fiscalité joue un rôle important dans le sens de nous faire disposer des ressources nécessaires pour le développement économique et social. Il exige également d’inciter à la production, au développement de la croissance et à l’exportation pour atténuer l’impact sur notre balance commerciale. Voilà en résumé, le contexte qui a dicté ces Assises nationales sur la fiscalité.

Est-ce que vous sentez que vous êtes soutenu dans cette démarche par l’ensemble des opérateurs et partenaires socio-économiques ou alors vous naviguez seul?

Je pense que tout le monde est aujourd’hui sensibilisé au nouveau contexte aux niveaux constitutionnel, politique et économique.

Il y a quand même des choix à faire…

Bien entendu, les choix divergent. Les choix de la fiscalité sont des choix de politique publique.

Il y a un programme gouvernemental à mettre en œuvre. C’est un engagement…

Nous avons effectivement un programme gouvernemental sur la base duquel nous avons été approuvés.

Y a-t-il consensus sur un axe donné?

J’ai l’impression que, à partir du débat général, tout le monde, au moins sur le volet diagnostic, s’accorde sur la problématique du déficit budgétaire, sur celle de la balance commerciale et sur le fait que nous devons encourager les secteurs producteurs et exportateurs vers plus de valeur ajoutée et d’intégration économique.

Vers quel volet envisagez-vous d’orienter le débat?

Pétrole : Double tranchant ?

Dans le cadre de la consultation et de la concertation, nous allons continuer le débat sur le niveau de fiscalisation et la manière de faire intégrer le secteur informel, parce que ce dernier cause beaucoup de tort au secteur formel et donc aux secteurs producteurs et exportateurs. Il s’agit aussi de débattre sur la manière de faire profiter des secteurs, comme l’agriculture.

Et en ce qui concerne les salariés ?

Justement, les salariés sont aujourd’hui les plus fiscalisés par rapport à d’autres secteurs et à d’autres professions. Donc, il faudrait faire en sorte que l’assiette fiscale soit élargie de la manière la plus vaste mais, en même temps, avoir toujours en tête que le choix des politiques fiscales doit être un choix qui ne biaise pas les choix de production et d’exportation et ceux des secteurs d’investissement. Il faudrait aussi continuer à avoir un système fiscal qui favorise et encourage l’investissement privé national et étranger.

Ne faudrait-il pas aussi, tout faire pour favoriser l’attractivité du Maroc ?

Nous favorisons l’attractivité du Maroc dans les secteurs productifs, au lieu des secteurs de spéculation.

Durant ces Assises, on a beaucoup parlé du taux élevé des impôts au Maroc par rapport, par exemple, à la Tunisie et à l’Egypte. Le représentant de la Banque Mondiale l’a ouvertement dit dans son discours.

Ce n’est pas vrai, parce qu’au-delà du taux affiché, il va falloir examiner le taux réel.

Qui est?

Eh bien, c’est le taux affiché plus les exonérations fiscales. Et au niveau de ces dernières, rien qu’en 2013, nous avons 36 millions de dirhams d’exonérations fiscales. Donc, il y a un taux affiché et également un taux réel. Maintenant, l’idée, c’est d’élargir l’assiette fiscale. Plus celle-ci est élargie, plus nous avons la possibilité d’atténuer la pression fiscale.

Dans quel sens vont les exonérations fiscales?

Il va falloir examiner les exonérations fiscales dans le sens de leur efficacité économique et sociale.
Les exonérations fiscales ne doivent plus durer dans le temps et être permanentes. Encore une fois, elles doivent être des exonérations qui vont dans le sens de la politique économique du gouvernement -production et exportation-. Donc, il faudrait être dans le sens des exonérations qui sont contenues dans le temps, avec des objectifs clairs et avec l’idée de la contractualisation.

C’est-à-dire?

C’est-à-dire que l’exonération doit avoir des objectifs, que tout autour, l’évaluation doit être faite et que le retour en arrière pourrait être opéré dans les prochaines lois de Finances.

On a aussi parlé de la difficulté de réformer la TVA.

Ce qui est aujourd’hui à l’ordre du jour, ce n’est pas tant la difficulté de réformer la TVA que la difficulté de son application et de l’évolution qu’elle a eue, que ce soit la multitude des taux ou la multiplication des exonérations, ce qui a généré une situation qui, aujourd’hui, grève la trésorerie de l’entreprise et fait renchérir le coût de la production.

Comment donc réformer la TVA?

L’idée, à mon sens, c’est de voir quelle est la meilleure manière de la réformer dans le sens de lui rendre sa neutralité et, en même temps, d’alléger la pression sur la trésorerie des entreprises et de permettre à ces dernières de déduire la TVA aux meilleures conditions possibles.

Comment concilier compétitivité et équité?

La compétitivité et l’équité, c’est simple. C’est d’abord l’intégration de l’informel. Et là, nous avons comme politique – ça été discuté dans le cadre des Assises- de faire des incitations au profit du secteur informel et de l’accompagner dans le cadre de l’intégration dans l’économie formelle et donc des incitations. Mais bien sûr -et ça, c’est le premier volet-, c’est aussi de faire le contrôle fiscal en utilisant des systèmes d’information performants, en utilisant l’analyse du risque et en utilisant des équipes performantes. C’est aussi de renforcer tout aussi bien le facteur humain que technique et de profiter des nouvelles technologies. Donc, il s’agira de travailler sur l’incitation, mais également sur le contrôle et sur la fermeté de la loi.

Publication d’une circulaire sur la mise en œuvre de la loi relative à la simplification des procédures et formalités administratives

L’ex-ministre, Ahmed Réda Chami (actuellement dans l’opposition socialiste), s’est prononcé devant les Assises pour un impôt sur la succession qui, rappelons-le, a échoué en France, pour ne citer que ce pays. Qu’en pensez-vous et partagez-vous ce point de vue?

L’année dernière, nous avons introduit une nouvelle mesure qui va dans le sens de la justice et de l’appréhension de la plus-value, c’est-à-dire que, lorsqu’un bien a été cédé à une date donnée par les héritiers, la valeur de départ qui est utilisée pour la plus-value sera appréhendée au niveau fiscal: c’est la valeur d’origine de la propriété cédée. Et, donc, c’est une manière d’avoir plus d’équité au niveau de la création de la valeur.

Comment évaluez-vous cette mesure ? Quel est son impact?

Nous considérons cette mesure-là comme la plus juste, au lieu d’aller vers d’autres démarches qui auront un impact négatif sur la plus-value, mais également sur les concernés.

Comment réconcilier les citoyens avec l’administration fiscale?

C’est très important d’évoquer cette problématique parce que, d’abord, il va falloir que nous nous mettions d’accord sur le fait que l’impôt est un devoir national et citoyen. Il faut le dire et le répéter. Il faut aussi appeler les choses par leur nom: la fraude fiscale, c’est tout simplement un vol parce que, nous en avons l’impression, nous ne considérons pas la fraude comme telle, alors que c’est purement un vol des biens et des services publics. Une fraude fiscale, c’est une perte fiscale des services et des biens comme des politiques publiques. C’est donc une démarche qui porte préjudice à la communauté nationale.

Pour ce faire, il faut veiller à l’amélioration de la sensibilisation des citoyens comme de l’administration. Il faut le dire: les contribuables n’entrent pas de gaieté de cœur dans les locaux de l’administration fiscale. Ils appréhendent ce contact.

Bien sûr, nous allons travailler sur l’éducation fiscale. Nous avons signé, lors des Assises sur la fiscalité, trois conventions avec l’Education nationale et les entreprises pour accompagner les citoyens et expliquer l’impôt, son obligation constitutionnelle et citoyenne et son rôle économique et social. Mais au-delà de la sensibilisation, de l’éducation et de l’aspect culturel, il y a le niveau de contrôle. Il faut -et c’est ce que nous allons faire- renforcer les moyens de contrôle pour aller taper là où il faut en cas de fraude fiscale.

Il faudrait peut-être aussi donner l’exemple en matière de dépenses publiques?

Absolument et c’est prévu. Il faut que le citoyen sente le retour sur investissement de l’impôt. Bien entendu, l’impôt, c’est un devoir citoyen, mais la dépense publique doit également être faite dans les meilleures conditions, bénéficier au citoyen et qu’il y ait cette relation entre l’impôt et la qualité des dépenses publiques pour que ce citoyen soit davantage sensibilisé sur le rôle de l’impôt…

… Et surtout pour qu’il ne soit pas le seul à mettre la main à la poche.

Exactement!

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