Bataille de modèles économiques, de taux de croissance, de systèmes politiques… Le match Chine-Inde est un exercice privilégié des observateurs du monde émergent. Le rapport publié jeudi 14 décembre par les chercheurs du projet World Wealth and Income Database (WID.world) permet d’aller encore plus loin dans le jeu des comparaisons. Sa base de données livre un éclairage inédit sur le phénomène d’exacerbation des inégalités qui a accompagné le décollage économique des deux puissances asiatiques.
Les statistiques sont à manier avec une certaine précaution, car Pékin et New Delhi ne facilitent guère l’accès aux chiffres officiels. Sans compter qu’en Inde, seule une infime partie de la population est soumise à l’impôt. Mais les données fiscales et patrimoniales disponibles, croisées avec les enquêtes auprès des ménages et les comptes nationaux, n’en livrent pas moins des tendances nettes des trajectoires inégalitaires de ces deux Etats.
Un premier constat s’impose: si l’essor de l’Inde et de la Chine a permis une réduction de la pauvreté, la croissance a profité de façon disproportionnée aux citoyens les plus aisés. A fortiori dans des sociétés où prévalaient déjà d’importantes inégalités de statut, celles liées au système de castes, en Inde et à l’appartenance au Parti communiste, en Chine.
Mais -et c’est là le deuxième enseignement du rapport- le creusement des inégalités a été bien plus marqué du côté indien. Entre 1980 et 2014, la part de revenu captée par les 10% des Indiens les plus riches est passée de 30% à 56%. En Chine, cette part a augmenté de 27% à 41%. Au cours de cette période, les revenus des 50% les plus pauvres des Indiens ont crû huit fois et demie moins vite que ceux du «top 1%» des plus riches, contre un différentiel de «seulement» cinq fois en Chine.
La croissance indienne est plus fragile et dangereuse, au niveau de la cohésion sociale, que la chinoise.
Patrice Zehr