La décision d’indexer les prix des produits pétroliers, au Maroc, sur les cours mondiaux des hydrocarbures, a été prise par le gouvernement Benkirane et annoncée, dans la consternation générale, comme une décision banale, portée à la connaissance du public quelques jours seulement avant d’entrer en vigueur (annoncée début septembre pour une application le mois même).
Comment est-ce possible ?
L’indexation signifie non seulement une augmentation des prix à la pompe (essence, gasoil…), mais aussi, par voie de conséquence, une augmentation des prix générale ! Et cela, pour la simple raison que l’essence et le gasoil sont à la base de tous les services.
À commencer par le transport où toute augmentation à la pompe est systématiquement répercutée sur le consommateur final, c’est-à-dire le citoyen (et les marchands de fruits et légumes répercutent aussitôt ces augmentations de prix, au prétexte que le transport de leur marchandise leur aura coûté plus cher).
L’indexation signifie aussi que les prix suivront la variation des cours, qu’ils devront donc tantôt augmenter, tantôt baisser. Or, selon le peu que l’on sache de la décision du gouvernement, un réajustement des prix pourrait avoir lieu une fois par mois. Là aussi, mille et une questions se posent… Les prix connaîtront-ils un yo-yo perpétuel ? Les prix de quels produits et services ? Selon quels critères, quels procédés ? Sous quel contrôle ?
On apprend vaguement que malgré les variations, le cas échéant appliquées, un prix plafond serait fixé. Autrement dit, l’indexation sur les cours mondiaux ne serait répercutée sur le consommateur marocain que jusqu’à un certain point. Si le prix plafond est dépassé, c’est une assurance internationale qui devrait payer la différence. Quel serait ce prix plafond ? Quelle assurance accepte ce deal ? Quel sera son prix ? Quelles clauses prévues pour que l’État marocain ne paie pas plus à l’assurance que ce que lui aurait coûté le maintien de la subvention ? (Ce serait le cas si les prix ne cessaient de baisser à l’international).
Ainsi donc, les Marocains sont pris de court par cette décision du gouvernement Benkirane devant être appliquée sans plus amples détails, sans préparation de l’opinion publique, et sans concertation avec les représentants de cette opinion publique (les partis politiques, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, les syndicats, les professions concernées…).
Une décision qui intervient dans un timing complexe, où les familles ne savent plus à quel Saint se vouer, tant les dépenses s’accumulent. Dépenses récentes ou actuelles (frais du Ramadan, des vacances des enfants, de la rentrée scolaire) et celles à venir (Fête du mouton)…
Une décision, enfin, qui –curieusement- intervient sans même attendre la formation du nouveau gouvernement (avec un nouvel allié, le RNI) qui devra pourtant en assumer la charge et les conséquences…
C’est à n’y rien comprendre ! Certes, le débat sur la décompensation est lancé depuis longtemps et le FMI trépigne en attendant que le gouvernement marocain prenne ce dossier en mains. Mais la question –tout le monde le sait- est de la plus haute sensibilité. Comment un gouvernement peut-il espérer faire passer une pilule aussi amère, sans dégâts, en n’ayant même pas pris la peine d’informer ceux qui peuvent gérer avec lui la paix sociale ?
De telles décisions –quand elles sont inévitables- nécessitent que tous ceux qui en seront impactés y soient préparés avec doigté, pédagogie, intelligence… Sous peine de grosses menaces sur la paix sociale, voire sur la stabilité du pays.
N’y a-t-il que le gouvernement Benkirane pour l’ignorer encore?
B.A
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Hydrocarbures
Les prix désormais indexés !
C’est officiel. Les prix de vente de base des hydrocarbures (gasoil, essence, fuel industriel) seront indexés partiellement sur les cours à l’international.
Selon le dernier numéro du Bulletin officiel, signé par le chef de gouvernement le 19 août dernier, il a été procédé à la création d’un système d’indexation partielle des prix des dits produits. Il en ressort que la structure des prix sera révisée soit à la hausse soit à la baisse au 1er et au 16 de chaque mois. La réévaluation aura lieu en fonction des tendances de la moyenne mobile des prix du brut sur le marché international. C’est-à-dire, quand les prix de vente des produits pétroliers liquides dépassent de 2,5% le scénario prévisionnel établi par le gouvernement, en l’occurrence les départements des Finances, de l’Énergie et des Affaires générales.
Pour rappel, la loi de Finances 2013 avait retenu, au titre de ses prévisions, un cours moyen de pétrole de 105 dollars. L’État subventionne le gasoil à hauteur de 2,6 dirhams le litre, l’essence (0,8 dirham/litre) et le fuel industriel (930 dirhams/tonne). À l’épreuve des bouleversements géopolitiques que vit la région du monde arabe, essentiellement la Syrie, faut-il s’attendre à une envolée spectaculaire des cours du pétrole et partant, à une pression à la hausse chez nous?
Les scénarios établis jusqu’à présent confirment cette tendance puisque les Américains et leurs alliés sont en train d’affûter leurs armes en guise de préparatifs pour une attaque militaire «limitée dans le temps».
Certes, ces bouleversements et leurs effets négatifs sur les prix pétroliers ont mis la pression sur le gouvernement Benkirane pour activer ce système d’indexation. Cependant, il ne faut pas perdre de vue le fait qu’il ne s’agit là que d’une application stricto sensu des recommandations du FMI. Un clin d’œil rassurant de la part de Benkirane à l’institution de Bretton Woods, garantissant le début d’une réforme graduelle et globale de la Caisse de compensation. Selon les économistes contactés par Le Reporter, si les cours du pétrole à l’international continuaient de fluctuer autour des 107-108 dollars le baril, l’impact sur les prix à la pompe à l’échelle nationale ne subirait presque aucun effet. Par contre, si ces cours s’envolent pour franchir la barre des 150 dollars, en ligne avec l’éventuelle action militaire occidentale contre le régime de Damas, alors, le scénario sera «catastrophique». Et nul ne pourrait pronostiquer ce qui adviendrait, explique l’économiste Abdeslam Seddiki, ajoutant que le gouvernement réagira certainement dans le but d’éviter le pire. C’est d’ailleurs ce que confirme la déclaration faite à la presse du ministre Boulif qui a annoncé que «les prix des produits pétroliers au Maroc suivront les fluctuations des cours sur les marchés internationaux, mais de manière limitée».
M.M
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Le grand flou artistique
La mise en place du mécanisme d’indexation suscite nombre de questions, tant en ce qui concerne l’aspect socio-économique qu’en ce qui concerne l’aspect technique d’une telle décision. Éclairage et avis d’économiste.
Le flou artistique. Ainsi, s’avère être les conditions ayant entouré l’annonce officielle de la mise en place du mécanisme d’indexation. Mis à part le timing qui n’est pas encore tranché, en attendant éventuellement l’installation du nouveau gouvernement avec, comme nouvel allié, le parti du RNI, d’autres interrogations restent en suspens. Quels mécanismes président à la fixation du prix de vente maximum, ainsi qu’à l’adaptation de ce dernier aux fluctuations du marché international? D’ailleurs, l’expérience de certains pays européens, à ce titre, a montré certaines limites. Les instruments de couverture des risques sur les produits pétroliers liquides ne sont pas en reste, y compris la périodicité du contrat d’assurance et le total à verser. Le seul chiffre avancé par Mustapha El Khalfi, ministre de la Communication, est celui de 1 milliard de dirhams pour cette année. Il est question également de mesures d’accompagnement au profit des couches sociales vulnérables en vue de les prémunir contre les variations à la hausse des prix à la consommation. Là encore, le gouvernement annonce prévoir une aide financière pour le transport public, sans aucun autre détail.
Dans la foulée de ce contexte brumeux, qui laisse tout le monde sur sa faim, les effets d’une telle décision prise à l’improviste se feront sentir inéluctablement, comme nous l’explique l’économiste Mohamed Chiguer. Pour analyser de près les nouvelles donnes socioéconomiques, deux scénarios s’établissent. Primo, aussi bien le pouvoir d’achat des ménages que la compétitivité des entreprises auront à subir ces effets négatifs. Les résultats d’un exercice de simulation réalisé par le Centre marocain de conjoncture(CMC) ont révélé que toute flambée des cours pétroliers de 10 dollars entraîne sur son passage une perte de compétitivité pour le tissu entrepreneurial de l’ordre de 0,6%, de même qu’un accroissement des importations de 8%. Cependant, aux yeux de Chiguer, tout impact sur la compétitivité n’est qu’«un faux débat». «La compétitivité de l’économie nationale, ça fait longtemps qu’elle est au creux de la vague. D’ailleurs, les conclusions du dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental versent dans ce sens», souligne-t-il. Ce qu’il craint le plus, ce sont les risques d’une spirale inflationniste et ses effets d’entraînement sur le coût de la vie. Il pense que la paix sociale est en jeu. Déjà, la dernière enquête de conjoncture auprès des ménages, menée par le HCP, laissait entendre que leur moral était au plus bas et qu’ils ne savaient pas sur quel pied danser. «Plus de trois ménages sur quatre pensent que les prix des produits alimentaires continueront à augmenter dans le futur», note-t-on. Mais ce qui irrite le plus Chiguer, c’est le fait d’activer subitement le mécanisme d’indexation sans avoir défriché le terrain via des préalables indispensables. «Avant d’aborder toute mesure réformiste, il faudrait en premier lieu revoir les paramètres de base de la structure des prix, autrement dit le référentiel de base notifié sur le marché de Rotterdam», détaille-t-il. À titre d’informations, les notifications de ce marché se font en dollars. Ce qui montre les risques de change et de conversion en dirhams.
Et de se demander si les fondamentaux macroéconomiques du pays pourraient supporter les mécanismes d’indexation, sachant que l’économie basée sur un modèle de consommation énergétique à prédominance pétrolière n’est pas libéralisée à100%.
En guise de protection des consommateurs et des chefs d’entreprise, il s’avère opportun d’opérer une réduction des impôts sur les économies d’énergie, recommande-t-il. Le projet de loi de Finances 2014 prévoirait-il des mesures similaires?
Le second scénario (baisse des prix à l’international) promet par contre des effets relativement positifs. Mais Chiguer a un autre avis. Il doute que l’État puisse répercuter une éventuelle baisse des prix pétroliers. «Il n’y a aucune garantie que le gouvernement agisse ainsi. De plus, il n’est pas suffisamment outillé pour effectuer les contrôles et les adaptations nécessaires», conclut-il.
M.M