Le Général émirati, Ahmed Naser Al-Raisi, a été élu Président d’Interpol, jeudi 25 novembre (2021), a annoncé l’organisation internationale de police criminelle. Il a obtenu la majorité des deux tiers (68,9 %) au troisième tour du vote des Etats membres. Une victoire pour l Emirat au retentissement international, qui prend la tête d’une organisation capitale dans la lutte contre la criminalité mondiale.
C’est, pour les Emirats arabes unis (EAU), une victoire diplomatique sans précédent. Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane, Prince héritier et dirigeant de fait de la fédération émiratie, s’est rendu en visite officielle en Turquie, pendant longtemps son ennemie jurée à l’échelle régionale, au moment où siégeait l’assemblée générale d’Interpol, composée des représentants de ses 195 Etats membres chargés de désigner le Président et de renouveler le Comité exécutif de treize membres.
L’Organisation internationale de police criminelle (OIPC), communément abrégée en Interpol, est une organisation internationale créée le 7 septembre 1923 dans le but de promouvoir la coopération policière internationale. Son siège est situé à Lyon, en France. Interpol est connu pour délivrer, entre autres, des notices rouges, documents d’alerte qui une fois publiés permettent d’assurer la traque planétaire de criminels recherchés dans le monde. Ces documents qui contiennent des éléments d’identification et des éléments juridiques sur les individus recherchés sont diffusés à travers 195 pays membres. Ils facilitent grandement le travail des polices nationales en leur permettant d’identifier, de localiser et d’arrêter des individus recherchés sur la base de n’importe quel contrôle à des fins d’extradition. Sa devise est: «Relier les polices pour un monde plus sûr», et sa mission: «Prévenir et combattre la criminalité grâce à une coopération policière internationale renforcée».
Ahmed Naser Al-Raisi, qui faisait face à une candidate tchèque, n’a pas été élu lors des deux premiers tours de scrutin qui nécessitaient une majorité des deux tiers. Le général Al-Raisi, visé par de multiples plaintes pour torture, sera pendant quatre ans le visage et la voix de cette institution, basée à Lyon, aussi célèbre par son nom qu’opaque dans son fonctionnement. Le président d’Interpol, désigné pour quatre ans, occupe ses fonctions à temps partiel, de façon bénévole, et conserve ses fonctions dans son pays d’origine. La fonction de président est essentiellement honorifique –le directeur effectif de l’organisation étant son Secrétaire général, Jürgen Stock–, mais des organisations de défense des droits humains et des élus européens s’inquiètent de l’arrivée de M. Al-Raïssi.
Sa candidature soulevait un vent de fronde depuis plusieurs semaines. Inspecteur général du ministère de l’intérieur émirati, M. Al-Raisi est visé par plusieurs plaintes pour «torture» en France, où siège Interpol, et en Turquie, pays hôte de l’assemblée générale. «La campagne organisée de diffamation [contre M. Al-Raisi] a été écrasée sur le rocher de la vérité», s’est félicité Anwar Gargash, conseiller du président émirati et ancien chef de la diplomatie. Hiba Zayadin, chercheuse sur le Golfe à Human Rights Watch (HRW), a, de son côté, déploré l’élection du «représentant du gouvernement sans doute le plus autoritaire du Golfe» à la présidence d’Interpol. «Triste jour pour les droits humains», a-t-elle écrit sur Twitter. En octobre 2020, dix-neuf organisations non gouvernementales (ONG), dont HRW, s’inquiétaient déjà du choix possible du général émirati, «membre d’un appareil sécuritaire qui prend systématiquement pour cible l’opposition pacifique».
Un rapport britannique publié en mars a conclu que les Emirats arabes unis avaient détourné le système des notices rouges (les avis de recherche internationaux diffusés par Interpol) pour faire pression sur des opposants. D’autres pays sont accusés de faire de même. Dans une référence à peine voilée à M. Al-Raisi, la Tchèque Sarka Havrankova, l’autre candidate à la présidence d’Interpol, a rappelé sur Twitter que les statuts de l’organisation impliquaient de «s’opposer aux arrestations et détentions arbitraires et de condamner la torture».
Les faits cependant sont là et en même temps le Prince des Emirats a scellé sa réconciliation avec Erdogan. Le Prince héritier des Émirats arabes unis, homme fort du pays, Mohammed Ben Zayed Al Nahyane (dit « MBZ »), a été reçu le 24 novembre en grande pompe par Recep Tayyip Erdogan au Palais présidentiel de Bestepe, dans la capitale turque. Une première depuis 2012. Au cours de ce déplacement, les anciens rivaux régionaux ont conclu une dizaine d’accords économiques dans des domaines aussi variés que l’énergie, les transports, le militaire, le tourisme ou les services financiers. En effet, le richissime émirat prévoit d’investir plus de 10 milliards de dollars dans l’économie turque. Les difficultés économiques et financières –et les résultats décevants d’Erdogan dans les sondages électoraux– ont rendu ce gouvernement beaucoup plus ouvert à la modification des politiques régionales en échange du soutien des Émirats. Les raisons de ce rapprochement sont donc en partie conjoncturelles. Cette nouvelle dynamique entre Ankara et Abou Dhabi répondrait également au progressif désengagement américain du Moyen-Orient. De surcroît, l’Administration Biden est en froid avec Ankara et prend petit à petit ses distances avec les autocrates du Golfe. Les Émirats ont dû faire le point de cette nouvelle tendance et comprennent la nécessité de réduire une politique étrangère agressive.
Patrice Zehr