Les élections irakiennes ont été marquées par une abstention massive. Les Irakiens ne croient plus en leurs politiques. Ceux qui votent ont cependant mis en tête un parti chiite et son leader.
Mais ce qui est important, c’est que ce parti est un parti nationaliste irakien. On observe un recul des partis chiites pro-iraniens. Cela peut paraitre paradoxal, mais ce serait sous-estimer le facteur ethnique par rapport au facteur religieux. Pendant la meurtrière guerre Irak-Iran, les irakiens chiites n’ont pas hésité à combattre sous les ordres du régime sunnite de Saddam Hussein les armées chiites des Ayatollahs iraniens. Ensuite quand le président irakien a été vaincu et exécuté, les vainqueurs, pour punir les sunnites majoritaires, ont donné une large place aux chiites dont certains pro iraniens. Depuis l’Irak n’a pas retrouvé la stabilité d’une vraie nation. Le dernier vote en est un nouveau constat.
Les analystes estiment que, au-delà de la répartition des sièges dans un Parlement qui s’annonce fragmenté, l’absence d’une majorité claire va obliger les différentes factions à négocier des alliances. Le politologue Ihsan Al-Shammari pronostique des «frictions politiques» et «des luttes pour le poste de premier ministre et la répartition des ministères».
Les élections de dimanche 17 octobre (2021) étaient initialement prévues en 2022. Promises par le premier ministre, Moustafa Al-Kazimi, elles ont été avancées afin de calmer la contestation née en octobre 2019 pour dénoncer la corruption tentaculaire, une économie en panne et des services publics défaillants dans un pays pourtant riche en pétrole.
Réprimé dans le sang (au moins 600 morts et 30.000 blessés), le mouvement s’est depuis essoufflé. Des dizaines de militants ont été victimes d’enlèvements et d’assassinats. Les protestataires pointent les factions armées fidèles à l’Iran, au rôle incontournable en Irak et regroupées au sein du Hachd Al-Chaabi.
Le premier ministre, Moustafa Al-Kazimi, n’est, lui, officiellement pas candidat à sa succession, mais il continue de mettre en avant sa politique: il a annoncé, l’arrestation de Sami Jasim Al-Jaburi, un haut responsable de l’EI recherché par les Etats-Unis. La victoire des sadristes, signifie que ces derniers ont réussi à augmenter leur nombre au Parlement, passant de cinquante-quatre députés actuellement à plus de soixante-dix. Cela signifie aussi qu’ils conserveront leur statut de première formation, leur permettant de peser d’autant plus lors de la composition du futur gouvernement et de la désignation du premier ministre.
Loin derrière, les autres vainqueurs du scrutin sont notamment le mouvement Taqaddom (progrès), du président du Parlement, Mohammed Al-Halboussi, qui avec 38 sièges arrive en deuxième position et s’impose ainsi comme principale formation parmi les sunnites, ainsi que l’État de droit de l’ancien Premier ministre chiite Nouri Al-Maliki (37 sièges) et le Parti démocratique du Kurdistan (32 sièges), dirigé par l’ancien chef de gouvernement du Kurdistan autonome irakien, Massoud Barzani.
En revanche et toujours selon Az-Zaman, l’Alliance Al-Fatah, qui regroupe les mouvements politiques issus du Hachd Al-Chaabi, les très controversées milices chiites pro-iraniennes, a nettement reculé. Par ailleurs, des candidats indépendants issus du mouvement de protestation qui agite l’Irak depuis octobre 2019, ont remporté un succès surprise avec une bonne vingtaine de sièges. Ce camp politique, allié à l’Iran, reste toutefois une pièce incontournable de l’échiquier politique. En net recul à l’issue des élections législatives en Irak, d’influents partis chiites pro-Iran ont crié à la fraude affirmant qu’ils prendraient les «mesures» nécessaires pour annuler cette «escroquerie».
Moqtada Al-Sadr a vécu une relation difficile avec l’Iran, où il a poursuivi ses études religieuses. Concernant les États-Unis, lui et ses collaborateurs ont refusé de rencontrer des responsables américains. Lui et les dirigeants iraniens ont partagé des objectifs similaires lorsque ses combattants ont combattu les forces américaines après 2003. Mais il est considéré comme un nationaliste irakien, une identité qui l’a parfois mis en conflit avec l’Iran, un pays qu’il ne peut se permettre de contrarier. Le mouvement Al Sadr dispose d’une branche armée, l’armée du Mahdi (du nom du douzième imam, le Mahdi). Cette milice affronta les forces américaines en 2003 et 2004, puis début 2008. Le religieux a également implicitement critiqué les milices soutenues par l’Iran, dont certaines se définissent comme «la résistance».
«Même si ceux qui revendiquent la résistance ou autre, il est temps que le peuple vive en paix, sans occupation, sans terrorisme, sans milices et sans kidnapping», a-t-il déclaré dans un discours diffusé à la télévision d’Etat. «Aujourd’hui est le jour de la victoire du peuple contre l’occupation, la normalisation, les milices, la pauvreté et l’esclavage», a-t-il déclaré, faisant apparemment référence à la normalisation des liens avec Israël. «Il utilise un langage tranchant contre l’Iran et les groupes de résistance affiliés à l’Iran», a expliqué Gheis Ghoreishi, un analyste politique qui a conseillé le ministère iranien des Affaires étrangères sur l’Irak, parlant du discours de victoire de M. Sadr dans Clubhouse, un groupe de discussion en ligne. «Il y a un réel manque de confiance et des griefs entre Sadr et l’Iran».
Patrice Zehr