La «Nation iranienne» a démontré à l’occasion de la présidentielle qu’elle avait vaincu «une fois de plus» la «propagande des médias mercenaires de l’ennemi», a déclaré samedi 19 juin (2021) le guide suprême iranien, Ali Khamenei, au lendemain du scrutin.
Tout le monde pense que le Président élu sera le prochain Guide Suprême de la Révolution. L’élection d’Ebrahim Raïssi pourrait donc être lourde de conséquences pour les Iraniens qui appellent à plus de droits et de libertés. Leurs revendications –la liberté de la presse, le droit de vivre dans la dignité, le respect de la méritocratie dans l’accès aux postes publics, la transparence du pouvoir et la détente avec le monde– n’ont pas pu s’exprimer lors du scrutin du 18 juin. Si Ebrahim Raïssi, élu Président de la République islamique d’Iran avec 61,95 % des suffrages, selon des résultats définitifs annoncés samedi 19 juin, a limité ses apparitions physiques, il a été omniprésent dans l’espace public avec un affichage massif de portraits à son effigie dans les rues et sur les édifices. Le chef de l’autorité judiciaire aura même bénéficié du soutien post-mortem du général Ghassem Soleimani.
Mort en janvier 2020, l’ancien chef des opérations extérieures des gardiens de la révolution (l’armée idéologique du pays), le plus célèbre martyr de l’aile dure du régime, a ainsi été «rappelé» pour la cause: des affiches le mettant en scène au côté du futur Président jusqu’aux lettres de soutien qu’il lui aurait adressées. L’élection d’Ebrahim Raïssi à la présidentielle en Iran «devrait susciter une grave inquiétude» dans le monde, a déclaré samedi un porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères, accusant cet ultraconservateur d’être «engagé en faveur du programme nucléaire militaire» iranien. Ebrahim Raïssi est «engagé en faveur du programme nucléaire militaire iranien qui avance rapidement, son élection dévoile clairement les intentions nuisibles (…) de l’Iran et devrait susciter une grave inquiétude au sein de la communauté internationale», a indiqué sur Twitter Lior Haiat. Quelques heures après l’annonce de l’élection à la présidence en Iran de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi, l’ONG Amnesty International a indiqué que ce dernier devrait faire l’objet d’une enquête pour «crimes contre l’humanité» et «répression brutale» des droits humains.
«Le fait qu’Ebrahim Raïssi ait accédé à la présidence au lieu de faire l’objet d’une enquête pour crimes contre l’humanité, meurtre, disparitions forcées et torture, est un rappel sinistre que l’impunité règne en maître en Iran», a accusé Amnesty dans un communiqué. L’organisation de défense des droits humains basée à Londres a accusé Ebrahim Raïssi d’avoir été membre d’une «Commission de la mort» à l’origine, selon elle, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires, dans le secret, de milliers d’opposants détenus, lorsqu’il servait comme procureur adjoint du tribunal révolutionnaire de Téhéran en 1988. Interrogé en 2018 et en 2020 sur ces exécutions, Ebrahim Raïssi a nié y avoir joué le moindre rôle, mais a rendu «hommage» à l’«ordre» donné, selon lui, par l’ayatollah Khomeiny, fondateur de la République islamique d’Iran, de procéder à cette épuration.
Selon Amnesty, «le sort des victimes et le lieu où se trouvent les cadavres sont à ce jour systématiquement dissimulés par les autorités iraniennes, ce qui correspond (aussi) à des crimes contre l’humanité».
Ebrahim Raïssi, a-t-elle encore accusé, a «présidé à une répression brutale des droits humains» durant son mandat de chef de l’Autorité judiciaire ces deux dernières années. La répression a touché des «centaines de dissidents pacifiques, des militants des droits humains et des membres de minorités persécutées qui ont été détenus de manière arbitraire», selon l’ONG.
La République islamique d’Iran a opté pour un verrouillage sans précédent de l’élection présidentielle du 18 juin. Ce faisant, le régime a rompu avec une tradition qui offrait jusqu’alors un semblant d’exercice démocratique lors du scrutin présidentiel, dans un face-à-face entre deux camps: les partisans des réformes, favorables à une ouverture dans la société et vers le monde, contre les partisans de la révolution islamique, tenants d’une ligne antioccidentale et d’une plus grande limitation des libertés en Iran. L’élection de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi au poste de Président achève le verrouillage d’un système qui se prépare à une succession majeure au poste de guide suprême.
Si ce taux de participation historiquement bas n’est plus la principale préoccupation du système, c’est qu’il fait face à un enjeu existentiel: la succession au poste de guide suprême. Ali Khamenei a 82 ans et une santé chancelante. Or, il n’est que le second titulaire de ce poste. Le premier, l’ayatollah Rouhollah Khomeiny, a accompagné son règne d’une mobilisation totale de la société iranienne, entre hostilité des Etats-Unis, guerre avec l’Irak et épuration de l’opposition. Son successeur a bénéficié de cette aura. Le troisième homme qui occupera cette fonction aura la lourde tâche de reprendre le flambeau d’un régime dont l’héritage révolutionnaire n’est plus un argument suffisant.
Patrice Zehr