Les troubles en Iran, qui ont éclaté le 28 décembre 2017, ont cessé, peut-être provisoirement, le 3 janvier 2018.
L’armée d’élite du pouvoir a proclamé la fin du mouvement de contestation qui a fait 21 morts et entraîné des centaines d’arrestations, dans la foulée de manifestations massives de soutien au régime.
Parallèlement, l’Iran s’est plaint auprès du Conseil de sécurité et du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, d’ingérence des Etats-Unis dans ses affaires intérieures, tout en cherchant à minimiser le mouvement de contestation, le premier de cette ampleur depuis celui de 2009 contre la réélection du président ultra-conservateur, Mahmoud Ahmadinejad, qui avait été violemment réprimé.
Les manifestations, suivis d’affrontements mortels en Iran, ont surpris les observateurs. Elles surviennent dans un contexte international tendu, avec une mise en cause du régime iranien, qui serait impérialiste et soutiendrait le terrorisme, par Washington, mais aussi par Israël et l’Arabie saoudite. Cela permet au régime des Mollahs de dénoncer la main de l étranger et de mobiliser assez fortement ses partisans dans un réflexe nationaliste. D’autres pensent que le guide suprême a voulu freiner un président trop réformiste. «On est face à un mouvement diffus, dont c’est justement la grande force», estime dans la matinale d’Europe 1 Jean-Pierre Filiu, professeur à Science Po en histoire du Moyen-Orient contemporain. «On va chercher des meneurs; le régime iranien a déjà dénoncé des mains étrangères, ce qui est de l’ordre de la propagande la plus crue», pointe ce spécialiste, alors que le président Hassan Rohani a appelé Emmanuel Macron à agir contre «un groupe terroriste» basé en France et à l’origine, selon lui, des manifestations dans son pays. «Ce qui me frappe, c’est que l’un des premiers slogans qui a retenti était de dénoncer la politique d’expansion de la République islamique en Syrie, avec son aide au régime de Bachar Al-Assad. Ça brise le mythe de l’Iran uni dans ses projets de grandeur régionale, alors que l’on voit bien que c’est le régime et pas la population qui voudrait que l’on s’occupe de son niveau de vie, plutôt que de se lancer dans des aventures comme celles de la Syrie, de l’Irak, voire du Yémen», relève Jean-Pierre Filiu, toujours au micro de Patrick Cohen, sur Europe 1.
Les premières manifestations ont commencé le jeudi 28 décembre à Mashhad, deuxième ville du pays et siège des sympathisants d’Ebrahim Raissi, l’opposant conservateur au président Hassan Rohani, comme le rappelle Le Monde. C’est surprenant, car en contradiction avec des manifestants réclamant visiblement une meilleure vie, mais aussi plus de liberté et de démocratie. Peu à peu, la contestation s’est étendue à bien d’autres villes du pays, y compris des petites villes reculées. A Téhéran, des centaines d’étudiants ont manifesté devant l’université.
De très nombreuses vidéos circulent sur les réseaux sociaux et notamment la messagerie Telegram, très populaire en Iran. Le pouvoir a coupé l’accès à internet à plusieurs reprises, pour éviter la propagation de ces vidéos. La télévision d’Etat, elle, diffuse les images de rassemblements pro-gouvernement, comme ceux qui ont rassemblé des dizaines de milliers de manifestants dans plusieurs villes du pays, le mercredi 3 janvier.
Le mécontentement de la population est parti de l’annonce d’un certain nombre de mesures économiques. C’est plus particulièrement la hausse du prix de l’essence et des œufs, dont l’application était prévue en 2018, qui a mis le feu aux poudres, à tel point que cette vague de révolte est déjà surnommée «la révolution des œufs». Ces mesures ont finalement été abandonnées par le gouvernement, le 30 décembre, sans pour autant provoquer une accalmie parmi les manifestants.
La colère de la population gronde en fait depuis des années, selon Thierry Coville, chercheur à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et spécialiste de l’Iran. D’après ce dernier, la première cause réside d’abord dans le chômage endémique qui concerne 11,4% de la population active et jusqu’à 26,4% des 15-24 ans, d’après la Banque mondiale.
Le mouvement pourrait ne pas reprendre, malgré plus de 20 morts dans la répression. Mais le malaise ne peut être nié.
Donald Trump ne cache pas sa remise en cause de l’accord sur le nucléaire, dont il souhaite sortir rapidement et soutient ouvertement l’insurrection des Iraniens. «Le temps du changement est venu», a-t-il écrit sur Twitter. Il va jusqu’à appeler à un changement de régime, arguant que «le grand peuple iranien est réprimé depuis des années».
Le chef des Gardiens de la révolution, Mohammad Ali Jafari, a donné sa lecture des événements. «Un grand nombre de fauteurs de troubles, au centre de la sédition, ont reçu une formation de la contre-révolution», a-t-il dit en référence aux Moudjahidine du peuple, principale formation de l’opposition en exil. Ceux-ci «ont été arrêtés et il y aura une action ferme contre eux». Le général Jafari a également fait valoir que des milliers de personnes avaient été «entraînées» par les Etats-Unis pour «fomenter des troubles en Iran». Le numéro un iranien, l’ayatollah Ali Khamenei a, lui, accusé les «ennemis» de l’Iran de porter atteinte au régime, sans les nommer, alors que le président Hassan Rohani a parlé d’une «petite minorité» de contestataires.
Difficile encore de démêler le vrai du faux et de savoir si la contestation des œufs est spontanée, manipulée et si elle a un avenir.
Patrice Zehr