Bibi a été renversé, une partie de la rue exulte. Personne cependant ne sait si une nouvelle ère s’ouvre ou si on va vivre une parenthèse dangereuse. 60 contre 59, c’est le vote d’un pays divisé. Les 60 vont de la gauche à l’extrême droite religieuse avec un parti arabe israélien.
C’est le tout contre Benyamin Netanyahu, un espoir mais pas forcément un avenir. Un espoir représenté par le nouveau premier ministre Naftali Bennet. Naftali Bennett, 49 ans, est un modèle en termes de contrastes. Né dans une famille d’immigrants américains, il ne se considère pas comme appartenant lui-même à la communauté anglophone du pays ; ex-membre des commandos au sein de l’armée israélienne, partisan de l’annexion de la Cisjordanie, il vit à Raanana, une banlieue plutôt libérale ; millionnaire grâce à ses prouesses dans le secteur des technologies, il n’a que peu d’expertise dans les sciences informatiques. Bennett s’était tourné vers la politique suite à la guerre du Liban, en 2006. Réserviste de l’unité Maglan, cette année-là, il avait participé à des opérations derrière les lignes ennemies pour détruire les cellules et les lance-roquettes du Hezbollah. Comme il devait le raconter ultérieurement, la stratégie confuse adoptée par le Haut-commandement et l’indécision stratégique dont les politiques devaient faire preuve dans cette guerre – du point de vue d’un soldat qui se trouvait lui-même sur le terrain – devaient faire naître en lui le désir brûlant d’occuper un rôle de décisionnaire. Pour ses critiques, voir Bennett se hisser au poste de Premier ministre en étant à la tête d’un mouvement réunissant seulement six sièges, avec une formation qui échoue dorénavant à franchir le seuil électoral dans la majorité des enquêtes d’opinion réalisées, a quelque chose d’irritant.
«Mais il est difficile d’imaginer un acte qui soit davantage Bennett-esque. Soldat aguerri, millionnaire politique autodidacte, activiste politique devenu leader, homme outrageusement confiant, rapide, batailleur, ambitieux et versatile – le nouveau leader israélien a l’audace de la prise de risque et c’est un joueur invétéré, avec une soif inhabituelle de gagner», écrit le Times of Israël.
Le nouveau gouvernement a des allures d’auberge espagnole. Il comprend vingt-huit ministres dont six vice-ministres et constitue l’un des plus larges cabinets de toute l’histoire d’Israël, même s’il est de taille plus modeste que le précédent. Pour la première fois, il comptera dans ses soutiens un parti arabe, sans qui il n’aurait pas obtenu la majorité au Parlement. Le partage des ministères est un savant millefeuille. Yair Lapid est aux Affaires étrangères. L’ex-chef d’état-major de l’armée, Benny Gantz, conserve la Défense. Les Finances sont confiées au chef de file du parti russophone Israel Beitenou, Vidor Lieberman. Gideon Saar, un dissident du Likoud de Benyamin Netanyahou, est à la Justice et Ayelet Shaked, de Yamina, à l’Intérieur. La travailliste Merav Michaeli prend les Transports et Omer Barley, lui aussi issu des rangs travaillistes, détient le portefeuille sensible de la Sécurité intérieure.
Leur unité est cimentée par la volonté de se débarrasser de Benyamin Netanyahou qui devient le chef de l’opposition. Leur programme commun envisage une loi pour l’exclure du jeu. Le projet vise à limiter à huit ans, soit deux mandats, la longévité d’un premier ministre. L’accord met de côté les sujets sensibles comme la colonisation de la Cisjordanie ou la création d’un État palestinien, mais ils pourraient resurgir en cas de tensions à Jérusalem-Est, de violences en Cisjordanie, ou de guerre avec le Hamas. Naftali Bennett et Yair Lapid auront un droit de veto sur les décisions importantes. Les sujets de frictions ne devraient pas manquer tant l’attelage est hétéroclite.
Ça ne durera pas longtemps pensent les partisans du roi Bibi.
Netanyahu, lui, s’est exprimé dimanche après-midi (13 juin 2021) devant le Parlement à Jérusalem, quelques minutes avant le vote de confiance du nouveau gouvernement, dressant le bilan de ses 12 années au pouvoir. «Je suis devant vous au nom des millions de citoyens qui ont choisi de ne pas baisser la tête. Plus de deux millions de personnes ont voté pour le Likoud et un million ont voté pour des partis de droite. Grâce à eux, je compte continuer à remplir la mission de ma vie: garantir l’existence, la sécurité et la prospérité d’Israël», a déclaré le Premier ministre.
«J’ai eu le mérite d’agir jour et nuit, pour notre pays bien-aimé. Avec mes partenaires, nous avons fait d’Israël une grande puissance mondiale dans de nombreux domaines. En étant forts et fiers, grâce au renforcement d’Israël sur le plan économique, militaire et sécuritaire, le pays a obtenu des succès fantastiques», a-t-il poursuivi. Il a également rappelé qu’Israël est le premier pays à être sorti de la pandémie de coronavirus grâce à la détermination «hors pair» de son gouvernement, alors que de nombreux Etats sont encore confinés et vivent au rythme des restrictions.
«Nous avons mis en place de grandes réformes et avons fait du pays l’une des 20 économies les plus riches du monde. Nous avons réduit les écarts de richesses. D’ailleurs, l’indice de l’inégalité est au plus bas depuis des décennies», a-t-il ajouté. «Nous avons entretenu des relations particulières avec le Président russe, ce qui nous permet de garantir la liberté d’action de l’armée de l’air dans le ciel syrien, afin d’empêcher que l’Iran ne s’établisse le long de notre frontière nord», a-t-il encore dit. «Vous ne ferez jamais taire» les électeurs du Likoud, les Haredim, la droite toute entière et moi-même, a-t-il lancé à la nouvelle coalition, promettant que lui et ses alliés «feront tomber ce mauvais gouvernement» et seront «de retour plus vite que vous ne le pensez pour diriger le pays à notre manière».
Un discours bilan avec une menace, Netanyahu a du mal à reconnaître sa défaite.
Patrice Zehr