Le Premier ministre israélien est déçu. Il s’attendait à une plus large victoire. Il a prononcé un très bref discours. Certes son parti arrive en tète, mais il aura du mal à former un gouvernement de coalition. Il n’est même pas sûr qu’il puisse éviter…. Un 5ème scrutin.
Malgré de nombreuses affaires et des manifestations permanentes contre lui dans la rue, il pensait que sa victoire sur la Covid allait entrainer une victoire dans les urnes. Israël est cité dans le monde comme un exemple de la vaccination et du retour à une vie normale, ou presque, malgré la pandémie. Considéré depuis des années -il est au pouvoir depuis 12 ans- comme un faucon, il avait réussi à faire avancer l’esprit de la paix entre son pays et de nombreux pays arabes. Le résultat confirme la grande fragmentation d’une opinion israélienne qui penche nettement cependant à droite.
La Commission électorale centrale a publié jeudi soir (25 mars 2021) les résultats définitifs du quatrième scrutin qui a eu lieu le 23 mars, laissant à nouveau le Premier ministre et ses opposants politiques sans issue claire pour former un gouvernement de coalition. La quatrième journée électorale depuis avril 2019 s’achève dans l’indécision, encore une fois, et sans discours éclatant de victoire. Car en Israël, la victoire relative ce n’est pas vraiment la victoire. M. Nétanyahu peut s’accréditer d’une droite dominante, qu’il espère réunifier. Il est certain que le vote a été profitable aux partis de droite et même d’une droite particulièrement extrême. On notera que la poussée du mouvement islamique du sud complique encore la galaxie des droites religieuses.
Le Likoud de Netanyahu termine légèrement affaibli mais en tête, avec 30 sièges. Il s’appuie sur un vote ultra-orthodoxe d’une stabilité de granit (16 sièges) et parvient à contenir les défections d’anciens alliés. En chute libre avec six sièges, Gideon Saar, qui a été membre du Likud pendant trois décennies, avait même occupé la deuxième place sur la liste électorale du parti. Au mois de décembre, il a quitté la formation et fondé un nouveau mouvement politique : Tikva Hadasha.Il ne peut que constater que les électeurs du Likoud ne sont pas tendres pour ceux qui le quittent. Un autre point important est une fuite vers une extrême droite religieuse ou xénophobe d’une partie de l’électorat. Bibi devra courtiser son ancien ministre de la Défense et leader de la droite nationaliste religieuse, Naftali Bennett, avec lequel il entretient des relations orageuses. Dans la position très enviable du faiseur de roi, ce dernier n’a toujours pas dévoilé ses intentions, alors que son parti Yamina (« À droite ») peut espérer remporter 8 sièges de députés selon les projections.
Ce qui le rend incontournable pour les deux blocs, les pro- et anti-Netanyahu, qui se sont affrontés pendant ce scrutin. «Ce pouvoir que vous m’avez donné, je vais l’utiliser en suivant un seul principe: faire ce qui est bon pour Israël, ce qui est bon pour les citoyens d’Israël», a déclaré, dans la nuit, Naftali Bennett. Avant d’ajouter, non sans ambiguïté: «Le temps est venu de panser les plaies, de dépasser les clivages». Un message à double sens, puisqu’à 48 ans, Naftali Bennett tient l’occasion de couler politiquement le Premier ministre en rejoignant une coalition formée par le bloc anti-Netanyahu, composé de mouvements du centre, de la gauche et de dissidents de droite, ou de le sauver en négociant, en position de force, son ralliement à une coalition qui sera plus en phase avec ses propres convictions.
Et de poursuivre: «Sans Naftali Bennett, il est presque impossible de former une coalition». Naftali Bennett se démarque également des autres acteurs politiques en accordant le bénéficie du doute à Benjamin Netanyahu, poursuivi pour corruption dans trois affaires, en disant attendre le verdict de la justice, là ou d’autres exigent son retrait de la scène politique le temps de ses procès. Une manière de ménager son rival avec lequel il pourrait à nouveau gouverner, en attendant que son heure vienne, lui qui a confié pendant la campagne que son objectif était de devenir lui-même Premier ministre. «Son profil de leader religieux est un obstacle pour ses ambitions personnelles, car le fait est qu’en Israël, jusqu’ici, il n’y a jamais eu de Premier ministre qui s’affichait clairement comme religieux», indique Alain Dieckhoff. Et de conclure : «Aujourd’hui, Naftali Bennett n’est pas en mesure de prendre la tête d’un gouvernement, son parti pèse trois fois moins que le Likoud au terme de ces législatives. Il est donc condamné à s’entendre avec Benjamin Netanyahu, à moins de basculer dans l’autre camp et de provoquer l’incompréhension d’un grand nombre de ses électeurs».
Tout dépendra de la marge de manœuvre de Benjamin Netanyahu, s’il ne parvient pas à débaucher des députés d’autres partis, il sera très dépendant de Yamina. «Parmi les députés à débaucher, on se retrouve aux extrêmes de l’extrême. Le parti HaBayit HaYehudi, ou Sionisme Religieux, remporterait 7 sièges. «Béni soit Dieu, ces résultats sont le fruit d’une concertation entre tous ceux qui décident de mettre la Torah en premier», a déclaré Bezalel Smotrich, numéro un du parti, aux côtés de deux autres formations politiques qui forment la coalition: les suprémacistes d’Otzma Yehudit représentés par Itamar Ben Gvir, et le parti ouvertement homophobe d’Avi Maoz, Noam, dont l’entrée à la Knesset est inédite.
Ce qui inquiète, c’est l’impact de ces élections sur l’inflexion de la politique internationale d’Israël vis-à-vis des pays arabes. Netanyahu, lui, est partisan de maintenir et même d’amplifier les espaces de paix récemment ouverts. Il est attentif, après Trump, aux positions de Biden. Mais il devra aussi tenir compte de sa coalition gouvernementale s’il réussit à l’arraché à former un gouvernement et à en prendre la tête. Sinon, il devra prendre le risque d’un nouveau vote malgré la lassitude incontestable de l’électorat qui par une abstention en hausse a privé «Bibi» d’une victoire indiscutable.
Patrice Zehr