Ainsi donc, Hamid Chabat a été élu dimanche 23 septembre, secrétaire général du parti de l’Istiqlal, avec 478 voix contre 458 pour Abdelouahed El Fassi.
La bataille a été âpre. Rien n’y a manqué. Ni les déclarations sarcastiques (de part et d’autre), ni les batailles rangées des supporters des deux candidats, ni les détournements d’alliances, ni aucun des moyens auxquels il est généralement fait recours dans les compétitions de cette importance.
Car la compétition était en effet importante. L’enjeu en était les rênes du plus vieux parti du Maroc. Et, compte tenu de l’importance de ce parti sur l’échiquier politique national, l’enjeu devenait par la même occasion la possibilité d’accession à la primature, en cas de victoire aux futures élections.
Cette compétition se déroulait entre deux hommes que tout oppose. Hamid Chabat, syndicaliste autodidacte, devenu député-maire de Fès et numéro un d’un des principaux syndicats du Maroc, l’UGTM. Un personnage haut en couleurs, dont l’ascension sociale est aussi fulgurante que polémique. Et Abdelouahed El Fassi, fils du fondateur du parti Allal El Fassi, médecin et ex-ministre, tellement discret, voire effacé, que personne ne s’en souvenait avant son retour à la politique avec cette candidature.
A chacun de ces deux candidats, ses supporters parmi les militants de base, les cadres du parti, les députés, les ministres… Lors du vote du conseil national, seules 20 voix les ont départagés. C’est dire dans quelle situation se trouve aujourd’hui l’Istiqlal ! C’est un parti quasiment scindé en deux: les pro-Chabat et les pro-El Fassi, les deux camps étant divisés sur tout…
Les apparatchiks istiqlaliens ont beau vouloir rassurer sur l’avenir de leur parti, ils ont beau dire que les candidats étaient en simple compétition électorale et que le nouveau chef est désormais celui de tous, ils donnent juste l’impression de chercher à s’auto-persuader ou à conjurer le mauvais sort.
Le fait est que pour la moitié des militants, l’arrivée de Chabat à la tête de l’Istiqlal n’est rien moins qu’une «Nakba» (catastrophe. En référence au mot qu’emploient les Palestiniens depuis la 1ère guerre israélo-arabe de 1948). «C’est un cycliste qui va gérer des docteurs», fulmine un anti-Chabat. Un autre lance: «Quoi, l’Istiqlal dirigé par ce… (suit un chapelet d’insultes que l’on ne peut reproduire ici). C’est la fin du monde !». Quant aux plus pragmatiques, ils s’inquiètent déjà de ce qu’il arrivera à ceux qui se sont ouvertement opposés à Chabat, ainsi qu’aux proches de la famille El Fassi. «Chabat voudra sûrement remplacer Nizar Baraka par Adil Douiri, au ministère des Finances», pronostiquent des Istiqlaliens qui disent s’attendre à tout «de la part d’un revanchard comme lui».
Pour l’autre moitié des militants, Chabat est un héros. C’est «le fils du peuple qui a réussi à déjouer la tentative de main-mise de la famille El Fassi sur l’Istiqlal». «C’est l’homme du changement». «C’est celui qu’il faut face à un PJD dirigé par Benkirane»…
Le plus étonnant, c’est que de nombreuses figures de proue de l’Istiqlal ont suivi Chabat. Cela en dit long sur les rancœurs, longtemps tues mais accumulées, contre les dirigeants sortants du parti.
Bien sûr, on les traitera d’opportunistes, voire de traîtres. On s’offusquera de leur soutien à Chabat. Mais la question qu’il convient de poser est la suivante: si l’on en est là, à qui la faute ?
Chabat a mené un combat. C’est son droit. Et tout ce qu’il a fait pour le gagner est de bonne guerre.
Par contre, tous les observateurs s’accordent à le dire: c’est la direction sortante de l’Istiqlal qui n’a pas mené un bon combat. Disons-le franchement, elle a fait preuve de cécité et de manque d’intelligence. Cécité, parce qu’elle a voulu imposer Abdelouahed El Fassi, fils du fondateur, au moment où toutes les populations du monde arabe se dressaient contre le pouvoir en héritage et réclamaient démocratie, transparence et égalité des chances… Manque d’intelligence, parce qu’en voyant les réactions à cette candidature, elle aurait dû, au lieu de s’entêter, vite corriger le tir en s’adaptant à la conjoncture. Par exemple, en lançant au sein du parti un appel à candidatures, voire en encourageant un ou des profils qui aillent mieux avec le contexte. Les chefs sortants de l’Istiqlal peuvent bien applaudir aujourd’hui la transparence et la démocratie qui ont marqué cette élection du secrétaire général, ce n’est pas à eux que l’Istiqlal les doit. Il a fallu que Chabat les oblige à ce choix. Eux, étaient encore dans le mode «désignation». Résultat: c’est Chabat qui est désormais aux commandes de l’Istiqlal. Dieu sait ce qu’il fera de son mandat, mais une chose est sûre: il ne sera pas le dirigeant de tous les Istiqlaliens. Il a trop de rancœur contre le camp qu’il vient de détrôner et ce camp a trop de mépris pour lui. L’épisode de l’élection du comité exécutif qu’il n’a pas accepté de reporter et le retrait des pro-El Fassi de ce comité en sont une indiscutable illustration. Comment avec un tel «démarrage», soutenir la thèse d’un Istiqlal uni autour de Chabat ? A moins d’un miracle, la fracture est inévitable…