Cela paraît invraisemblable, vu de l’étranger, mais à l’issue des élections législatives du 4 mars prochain, Silvio Berlusconi peut redevenir l’homme fort de l’Italie.
Il sera de toute façon à nouveau incontournable. Pourtant, sous le coup de condamnations judicaires, il est inéligible et ne peut se présenter. Berlusconi a dépassé les 80 printemps et reste le personnage le plus détesté d’une partie des Italiens. Mais il est toujours charismatique pour d’autres et à la tête d’un des partis d’une coalition de droite qui peut l’emporter.
Cette droite aura fait une campagne de plus en plus xénophobe contre les migrants. C’est l’immigration qui a occulté tout le reste. Il y a eu, dans un climat déjà très tendu, le meurtre sauvage d’une jeune Italienne par des Nigérians membres d’un gang, la fusillade contre des immigrés d’un fasciste, revendiquée, une manifestation contre le fascisme et des polémiques d’une rare violence dans la presse.
En conséquence, il y a une évidente radicalisation d’une droite italienne qui a le vent en poupe, comme dans d’autres pays européens, même si elle est concurrencée par le populisme insolite du Mouvement 5 étoiles.
L’ancien Premier ministre, Berlusconi, entend installer comme une évidence l’idée qu’il est bien de retour. De fait, avec 35% à 38% d’intentions de vote, la coalition de droite qu’il dirige devrait se retrouver en tête au soir des élections législatives du 4 mars.
L’Europe tremble déjà à l’approche de ces élections législatives italiennes du 4 mars. Une échéance hautement révélatrice des maux qui rongent les démocraties européennes et américaine: haine des partis politiques, des élites et de la pression migratoire. A droite, le Cavaliere, inéligible au parlement pour fraude fiscale, pourrait, même si c’est très improbable, aspirer à un retour au pouvoir. Il compte sur l’alliance de son parti, Forza Italia, avec l’extrême droite –la Ligue de Matteo Salvini et les post-fascistes de Fratelli d’Italia–, pour tenter de décrocher une majorité permettant de gouverner (41%).
Mais le scénario le plus probable est celui d’un scrutin sans vainqueur. Certains médias s’inquiètent de «l’envie d’ultra-droite» des électeurs, représentée par les intentions de vote grandissant pour Forza nuova, mais aussi pour CasaPound ou encore pour Fratelli d’Italia.
Peu soutenue par l’Union européenne dans la crise migratoire, souffrant d’une économie qui s’est contractée de 9% entre 2006 et 2016 et d’une dette représentant 132% du PIB, l’Italie est une démocratie en grande difficulté. Si la pure europhobie de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles –ils exigeaient une sortie de l’euro– s’est estompée, les Italiens se détournent de l’Europe. L’Institut Jacques Delors s’en est vivement préoccupé. Près de la moitié des Italiens (46%) estiment que leur pays s’en sortirait mieux hors de l’UE. Il n’est pas étonnant que la Ligue, les post-fascistes et même le Mouvement 5 étoiles cofondé par l’humoriste Beppe Grillo, fassent de l’immigration le bouc émissaire des problèmes transalpins. Crédité de 27,8% des votes, le Mouvement 5 étoiles est bien parti pour être la première formation de la Péninsule, sans capacité toutefois de gouverner, car isolé.
Et puis Berlusconi, pour beaucoup, est le leurre qui cache l’extrême droite. A 44 ans, le milanais Matteo Salvini, chef de file du principal parti d’extrême droite, la Ligue du Nord, pourrait se trouver en situation de devenir le prochain président du Conseil italien .Il pourrait en effet bénéficier du soutien d’une hétéroclite coalition de droite, notamment soutenue par Silvio Berlusconi, en particulier si les électeurs le choisissaient comme l’élément fort de ce bloc. Aujourd’hui, l’ensemble est à 37,2% dans les sondages, largement devant ses concurrents, mais encore loin d’une majorité parlementaire. Et dans le détail, la Ligue du Nord est créditée de 13,2% des intentions de vote, Forza Italia (droite) de 16,8% et enfin Fratelli d’Italia (extrême droite) de 4,7%.
Selon le politologue Jean-Yves Camus sur Europe 1, Matteo Salvini a réussi à transformer la Ligue du Nord en un parti «beaucoup plus national, souverainiste, anti-immigration, islamophobe, avec une récurrence très forte sur le thème de l’identité». De fait, du temps d’Umberto Bossi, la politique de la Ligue du Nord était uniquement centrée sur le nord du pays, là où réside l’essentiel de son électorat. Matteo Salvini a en quelque sorte «ouvert» son parti pour que celui-ci parle à plus d’électeurs et cela a marché. Les thèmes qu’il utilise sont dans la lignée de ce que proposent les autres partis d’extrême droite européenne: islam, immigration incontrôlée, contrôle de Bruxelles… Proche de l’autre parti d’extrême droite, Fratelli d’Italia, emmené par Giorgia Meloni, les deux formations politiques cumulent 18% des intentions de vote, selon les études d’opinion.
Les Italiens renouvellent donc leur Parlement le 4 mars prochain, dans un climat d’incertitude totale. Mais dans un pays qui a connu 64 gouvernements depuis la proclamation de la République en 1946, l’instabilité qui s’annonce n’est pas une nouveauté. Après le Brexit en 2016 et la montée de l’extrême droite en France, en Allemagne ou encore en Autriche, Bruxelles et les capitales européennes s’inquiètent désormais de la poussée des populistes et eurosceptiques dans la troisième économie de la zone euro.
Patrice Zehr