J’ai été viré pour cause de… propreté!

Anouar, 32 ans, est aide-boulanger. Il a été viré de son emploi, parce qu’il refusait de travailler dans la saleté. Voici son récit.

«Je suis un homme qui travaille dans le domaine de la boulangerie pâtisserie. J’ai été viré pour des raisons complètement absurdes, inconcevables et dangereuses. Pour le moment, même après avoir déposé une plainte pour licenciement abusif, ma conscience me taraude. Je devrais dénoncer mon employeur pour ses honteuses manigances qui sont le véritable motif de notre différend. Faute de moyen,  je ne le peux malheureusement pas.

Mon avocat me dit que la partie adverse, qui m’a mise à la porte, fait le nécessaire pour m’enfoncer et ne pas me verser mes droits. Honte à mon employeur, il avance du faux, j’en ai toutes les preuves. Ce qu’il ne sait pas, ce misérable, c’est que j’ai en ma possession des vidéos complètes de ce qui m’a poussé à me rebeller et crier au scandale et ce, à de nombreuses reprises. Il ne pourra en aucun cas, à ce moment-là, continuer de mentir. Mais il risque de gagner, parce qu’il est plus fort en magouilles.

J’ai œuvré dans de nombreuses crémeries dans lesquelles j’avais appris à confectionner des viennoiseries. Ensuite, j’ai été embauché pour un meilleur salaire dans d’autres fabriques plus ou moins spécialisées. Je ne suis pas diplômé, certes, mais j’ai acquis de l’expérience dans le domaine de la boulangerie pâtisserie.  C’est un travail pénible qui nécessite de l’endurance et de la disponibilité. Mais surtout d’être à cheval sur l’hygiène… et c’est là que le bât blesse dans le cas présent. Je peux en raconter des tonnes de péripéties dans ce boulot, mais cette dernière est à mon sens la plus intolérable qui soit.

Durant des années, j’ai été salarié dans une enseigne bien connue dans ma ville de résidence. Mais, ni mon travail, ni mes efforts -et il fallait en faire- n’avaient  jamais été récompensés comme ils auraient dû l’être.  D’autres étaient arrivés après moi comme de simples vendeurs et avaient su négocier leur contrat. C’est pourquoi, ébranlé, je n’avais pas hésité à démissionner sans demander mon reste. Evidemment, ce n’était pas un coup de tête irréfléchi. Une proposition de travail ailleurs bien plus avantageuse m’avait été offerte.

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Je me suis retrouvé à jongler avec à peu près les mêmes problèmes bien spécifiques à ce domaine, précisément. Mais dans l’ensemble, surtout au début, j’arrivais à m’en sortir. Le plus ennuyeux, il faut le dire, c’est que je passais beaucoup de temps à nettoyer mon espace de travail moi-même. Je ne cessais de demander que l’on me débarrasse de cette corvée, afin que je puisse m’attaquer à mon travail. Aucune de mes réclamations n’avait été prise en considération. Il fallait par conséquent que je m’y attelle. Les autres employés ne semblaient aucunement dérangés par ce qui attisait ma mauvaise humeur. L’un d’entre eux, un jour, m’expliqua que je perdais mon temps à demander l’impossible dans ces lieux qui n’avaient jamais été contrôlés par qui que ce soit du reste. Et que je n’avais pas d’autre choix que de me la boucler et bosser dans la saleté, comme tout le monde. Cela m’avait terriblement choqué. Je continuais donc de tout décrasser avant de travailler, achetant de ma poche les détergents, puisqu’ils ne m’avaient jamais été fournis.  Il en fut ainsi pendant quelques mois, jusqu’à ce le patron m’invite à décupler la cadence de production. Comme d’habitude, pensant qu’il s’en était allé, je plaçais mon téléphone pour qu’il me filme en besogne. Je prouvais de cette façon à ma petite amie que je n’étais nulle part ailleurs. C’est ainsi que mes premières vidéos d’altercation avec cet ignoble individu furent enregistrées. Il n’y a finalement pas que du mauvais dans cette nouvelle technologie. Après m’avoir demandé de fournir le triple de la quantité  de  petits pains au chocolat, il continua, jurant d’un ton sec que je perdais beaucoup de temps en nettoyage. Je lui avais dit que je m’occupais de ce qu’il m’avait demandé, mais que je ne pouvais me passer de lavage. Il me rétorqua qu’il n’en avait rien à foutre, puis s’en alla. Ce fut le début de notre série de querelles. Il ne me lâcha plus. Je ne m’étais pas laissé faire, non plus. Chaque fois qu’il me houspillait, je trouvais l’occasion de le piquer au vif. Tantôt me plaignant du manque de produits pour l’hygiène, tantôt qu’il fallait de toute urgence faire un grand ménage, de fond en comble, parce que les pâtissiers ne faisaient plus de différence entre le chocolat, le vermicelle et les crottes de souris. Que les colonies de cafards avaient envahi les lieux. Qu’il n’était pas exclu que quelques clients viennent se plaindre.  Que je n’y pouvais rien s’ils en découvraient des fragments dans leur baguette. Il se mettait dans tous ses états et m’ordonnait de faire comme il me le demandait, que le reste n’était pas mes oignons. 

Et moi, je suis arrivée avec ma valise, rêvant au mariage…

La dernière fois où j’avais mis les pieds dans ce trou à rat avec une devanture clinquante, c’est celle où il m’avait demandé de récupérer de la farine qui s’était déversée par inadvertance sur le sol. Impossible pour moi de fabriquer quoi que ce soit avec toutes ces saletés. Je lui avais donc jeté mon tablier au visage. Sur ce, il me lança que j’étais viré. C’est le cœur léger que j’avais plié bagage, il en est resté ahuri. Aujourd’hui,  je travaille, il y a de l’offre dans ce secteur. Le problème pour moi est que ce n’est pas la décision de la justice, en ma faveur ou non, qui me secoue de plus en plus. C’est de ne pas avoir encore assez de courage, ni d’argent pour dénoncer ce malade qui n’a qu’une seule ambition, c’est de remplir ses caisses. Ce que j’espère de tout mon cœur, c’est qu’il y ait plus de contrôles dans toutes ces fabriques à pains et viennoiseries, parce qu’il y va de la santé des gens».

Mariem Bennani

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