Jamila, 58 ans, chef comptable en entreprise et mère de deux enfants. Elle quitte son mari en plein mois de ramadan. Elle explique pourquoi.
«Pour accueillir le mois sacré de ramadan, je me suis offert un cadeau: l’absence de mon mari. Certains y ont vu de la démence, les pauvres! Le comble, c’est qu’ils se sont mués en muftis pour m’en dissuader. Que de perte d’énergie en parlotte, pour rien! Ont-ils seulement conscience que cette décision n’est pas de celles que l’on peut s’amuser à prendre à la légère? Depuis un bon bout de temps déjà, je rongeais mon frein jusqu’à ce qu’il soit cassé, bousillé.
Et puis, comme c’est mal me connaître finalement. Je ne suis certainement pas le genre à laisser tomber mon époux en plein mois de jeûne. Si j’ai bouclé mes valises une fois pour toutes, ce n’est pas parce que je suis une impie! Du tout! C’est même le contraire…
J’ai connu mon époux alors qu’il me semblait que tout espoir de fonder un jour un foyer avec l’homme de mes rêves était vain. Je désespérais à 30 ans, en remarquant en plus, que toutes les filles de ma promotion étaient déjà casées avec des enfants. Même leurs petites sœurs y étaient arrivées, alors que, pour moi, il ne se passait rien, nada! Les jeunes hommes que je rencontrais me semblaient trop frivoles, pas du tout intéressés par une relation sérieuse. Ils ne correspondaient pas à mes attentes.
Cela me complexait terriblement, jusqu’à ne plus laisser de chance à quiconque de m’approcher. Je préférais de loin m’occuper de mon job qui, du reste, ne me laissait guère de temps pour cogiter sur le bide consenti de ma vie sentimentale. Beaucoup trop d’années s’étaient écoulées, avant que je rencontre par hasard mon mari. Il faut préciser -et c’est important- que nous nous entendions bien, mais nous étions aux antipodes sur les convictions de la foi. Lui musulman, mais pas du tout pratiquant et, moi très attachée aux préceptes religieux fondamentaux. Je dois également avouer qu’à cette époque, je n’y voyais pas de gravité. Il m’avait d’ailleurs promis qu’il changerait, si j’acceptais vite de l’épouser. Sans mentir, je n’en étais pas à zoomer en détails sur le degré de sa croyance. J’avais seulement compris qu’il ne s’acquittait pas de la prière. Par contre, je ne supportais pas son penchant pour la boisson alcoolisée.
De toute façon, je m’imaginais que ces petits défauts n’étaient pas difficiles à corriger plus tard. D’autant qu’il avait d’autres qualités que je jugeais bien plus importantes. C’est pourquoi, après une année assidue de fréquentation sans problèmes, j’avais accepté sa demande. Nous nous sommes donc mariés mais, malheureusement, je me suis rendue compte au fil du temps que mon époux manquait totalement de foi. Je ne m’en formalisais plus, parce que nous avions eu des enfants, donc beaucoup de travail et d’autres chats à fouetter. Je me suis complètement investie dans mon devoir de maman, d’épouse, de cadre en entreprise, sans jamais délaisser les préceptes imposés par ma croyance religieuse.
Et c’est lorsque je m’étais mise à instruire nos enfants sur les rites obligatoires de la foi, que mon époux s’était mis en travers de mon chemin. Il s’y opposait fermement jusqu’à me faire perdre la boussole. Je ne comprenais pas pourquoi il y mettait tant d’acharnement. Cela dura assez longtemps.
Enfin, un jour, alors qu’il était ivre, il se mit à table avouant ce qu’il m’avait caché durant des années. Je fus absolument consternée de savoir que mon époux ne jeûnait pas et qu’il souhaitait, en plus, que nos enfants en fassent autant.
Le combat auquel j’allais devoir être confrontée était de taille mais, avec une implacable détermination, je lui ai tenu tête. Je n’ai alors cessé de lutter contre un démon inépuisable.
En ce qui me concerne, cette bataille avait une importance capitale. L’éducation religieuse de mes bambins se devait d’être conforme à l’appel divin, point barre. Si leur père était un dénégateur, grand bien lui fasse, mais pas nous.
Mes prières ont été exaucées, malgré tout ce que l’on peut imaginer comme résistance. En effet, j’ai dû affronter les plus viles manigances avec, parfois, des accès de violence.
J’ai supporté l’insoutenable jusqu’à l’épuisement, pour sombrer ensuite dans la dépression nerveuse. Ce fut l’unique fois où il avait, lui aussi, baissé la garde, mais il était trop tard.
A ce rythme infernal, il ne s’était pas rendu compte que les fondations de notre couple avaient été secouées une fois de trop.
Cette pénible étape de mon existence avec lui s’est arrêtée comme le tic-tac d’une horloge, avec tout de même un vent nouveau salvateur à souhait. Je m’étais rendue compte que je n’avais plus rien à craindre, que ma mission avait été accomplie avec succès.
Mes enfants étant devenus adultes et pieux, je pouvais claquer la porte à la figure de ce maudit passé. J’ai tout simplement demandé le divorce à quelques jours de ce nouveau mois sacré de ramadan, pour le passer avec mes enfants enfin dans la sérénité.
Ma décision avait retourné notre famille, nos amis qui avaient tenté de m’imposer la réconciliation par les hadiths et les recommandations divines. La bonne blague! Forcément, ces gens n’avaient jamais eu vent de ce qui se tramait chez nous; ils ne se fiaient qu’aux apparences. Ils peuvent raconter ce qu’ils ont envie de raconter à mon sujet, ils ne savent rien. Aujourd’hui, je suis tellement enchantée d’être enfin libérée du cauchemar de l’impiété que mon mari voulait nous imposer, que ce n’est pas demain la veille que j’y retournerai».
Mariem Bennani