Wael, 13 ans, écolier, parle de sa vie d’enfant de divorcés, mais pas seulement… Son récit de petit bonhomme déjà blessé est poignant.
«Je suis un menteur malgré moi, parce que dans ma classe, je n’ose pas dire que mes parents sont divorcés, que mon père est en prison et que ma mère se cache pour échapper à ses menaces de représailles. Après chaque vacance scolaire, je redoute tous les jours qui se lèvent et qui me feront prendre le chemin de l’école. La réalité de ma vie est insoutenable, la cacher l’est encore plus. Ma souffrance n’a jamais connu de répit, surtout depuis que je suis en âge de comprendre les raisons de ma situation et le drame de ma famille. Je désespère également de ne jamais voir ma mère. Je rêve qu’elle me serre dans ses bras et qu’aucun malheur ne lui soit arrivé.
C’est mon souhait le plus cher en ce monde. Quant à mon père, cet ignoble individu, je préfère le savoir là où il est et que je ne puisse jamais avoir à le croiser, au moins jusqu’à ce que je sois en mesure de me défendre. Je me demande parfois quelle aurait été ma vie, si je n’avais pas eu des grands-parents aussi formidables que les miens. Cela ne suffit pas pour autant à me réconforter, parce que je ne sais pas pour combien de temps encore ils seront là pour me protéger; ils sont si vieux. Je ne sais pas si je suis un cas isolé. De toutes façons, je ne souhaite à personne d’en connaître les dédales. Mon père et ma mère n’ont pu divorcer que lorsque j’avais eu deux ans, même s’ils ne vivaient pas ensemble. Ce sont mes grands-parents maternels qui m’ont recueilli, heureusement pour moi. L’histoire sordide du divorce de mes parents, je la sais et elle me fait si mal. Ma plus grande hantise aujourd’hui est que l’un de mes camarades de classe n’en découvre le secret. Leur curiosité à mon égard s’amplifie d’année en année. J’ai droit à des questions à chaque occasion et même sans occasion. Ce sont des tortures que j’arrive à contourner difficilement. Je mens effrontément, je ne fais que ça en racontant que mes parents vivent à l’étranger et que leur travail de nuit ne leur permet pas d’avoir le temps de s’occuper de moi. C’est tout ce que j’ai pu trouver comme baratin plausible. J’attends avec la plus grande impatience que le serment de mon grand-père se concrétise. Oui, il a promis que nous nous en irons loin d’ici, que nous déménagerons, que nous changerons de vie et que nous échapperons à ceux qui nous tourmentent avec leur terrifiante histoire de vengeance. Changer de province, de ville, enfin de collège et voir ma mère, au moins quelques fois, ce serait ça de volé à notre misérable destinée.
Mes parents ont divorcé parce que mon père n’avait pas voulu d’enfant et que ma mère était tombée enceinte quand même. Ma venue au monde non désirée a causé le drame dans leur couple. Ma mère était contrainte de fuir le domicile conjugal, parce qu’elle subissait la violence de mon père. Ce salaud la tabassait pour un oui ou pour un non. Il ne voulait pas de moi et lui assenait des coups de pieds au ventre pour qu’elle avorte. Il s’arrangeait, par le biais de la justice, à la faire revenir à la maison et recommençait ses sauvageries. J’ai vu toutes les photos et les expertises médicales. Lorsque ma mère avait porté plainte et qu’elle avait demandé le divorce, il en avait fait une affaire d’honneur. Il a fallu plusieurs années pour qu’elle puisse divorcer. Mais mon père n’avait jamais voulu s’acquitter des montants de dédommagements et pensions pour lui injustifiés. Ils se sont accumulés de mois en mois jusqu’à ce que la justice fasse son travail, le retrouve et l’arrête. Il avait juré de se venger une fois en liberté. Ma mère n’a pas eu d’autre choix que de prendre la fuite pour échapper à sa folie meurtrière. Mes grands-parents m’ont raconté que la famille de mon père était venue chez nous pour tenter la réconciliation et l’abandon des poursuites. Mais, aucun terrain d’entente n’avait été possible, puisque mon père refusait obstinément de payer sa dette. Depuis, ils n’ont plus jamais essayé d’entrer en contact avec nous. Je ne les ai jamais vus, je ne les connais pas. A cause de ce voyou de père, je suis condamné, moi aussi, à ne jamais voir ma mère et à ne pas grandir comme tous les enfants du monde dans la sérénité. Lorsque je pense à ma maman, au danger auquel elle a été exposée, qui au demeurant existe encore, j’ai envie de grandir et vite. Aujourd’hui, je suis obligé de dissimuler ce déshonneur qui plane sur ma tête. Il n’en reste pas moins que viendra le jour où moi aussi je serai un homme et je pourrai nous protéger, ma mère et moi. J’espère qu’entre-temps, jamais ce malade emprisonné ne puisse atteindre le but qu’il s’est fixé et commettre l’irréparable avec ma mère».
Mariem Bennani