Qui n’a déjà entendu cette anecdote –peu charitable pour les gens du troisième âge- où un octogénaire qui continuait de suivre les femmes dans la rue, interrogé sur son comportement, répondait: «Euh oui, je suis les femmes, mais je ne me souviens plus pourquoi…» ?
Il en est ainsi aujourd’hui des mouvements de contestation au Maroc. Cinq mois après le coup d’envoi du «printemps arabe» en Tunisie et trois mois après l’apparition de sa déclinaison marocaine sous l’enseigne «Mouvement du 20 février», les manifestants continuent de manifester et les forces de l’ordre continuent d’intervenir. Mais les uns et les autres le font systématiquement… Et c’est cela le plus affligeant et le plus inquiétant à la fois.
Au début, il y avait un mouvement de jeunes descendus dans la rue, le 20 février 2011, pour revendiquer, à la faveur du printemps arabe, démocratie, réformes politiques et justice sociale au Maroc.
D’abord sceptiques, les partis politiques, dans leur grande majorité, ne l’ont pas suivi. Mais le sens de la responsabilité et de l’organisation dont il a fait preuve a eu raison de cette appréhension. Le Mouvement a alors conquis les politiques et s’est attiré une large sympathie populaire. De leur côté, les forces de l’ordre se sont faites discrètes suivant de loin les manifestations qu’il a organisées dans différentes villes du pays et n’intervenant qu’en cas de provocations de casseurs.
Puis il y a eu le discours royal du 9 mars qui se voulait un message fort, proposant des réponses aux revendications de réformes politiques, mais aussi à celles de limitation des pouvoirs du Roi. Une commission de révision de la constitution a été mise en place, ainsi qu’une instance de suivi regroupant partis et syndicats et une large consultation sur la réforme a été lancée.
Il y a eu également de nombreux autres «signaux forts» en matière de droits de l’homme et de droits économiques et sociaux. Tout un arsenal a été mis en place: Conseil économique et social, Conseil national des droits de l’homme (qui remplace le CCDH avec des pouvoirs plus étendus), Médiateur (qui remplace Diwan Al Madhalim), Délégué interministériel aux droits de l’Homme (Mahjoub El Haïba). Tandis que le Conseil de la concurrence et l’instance de lutte contre la corruption se sont vus attribuer des compétences plus larges.
Pourquoi donc un tel bras de fer aujourd’hui, entre manifestants et forces de l’ordre ? Pourquoi les bastonnades du week end dernier ? Pourquoi les menaces du «Mouvement du 20 février» (qui vont de celle d’embraser la rue à celle d’attaquer le ministre de l’Intérieur devant la cour pénale internationale, une pétition circulant dans ce sens)? Parce qu’il y a maldonne sur le «Mouvement du 20 février».
Pour les pouvoirs publics, ce Mouvement a été entièrement récupéré par la gauche radicale et par les islamistes de l’association non autorisée Al Adl Walihssane. D’où la persistance des «manifs» quels que soient les gestes de bonne volonté du pouvoir, une montée crescendo et une radicalisation des revendications, voire une stratégie de déstabilisation systématique dont la dernière illustration est la tentative d’enflammer les quartiers populaires (Bni Makada à Tanger, Sbata à Casa). Il faut donc mettre un terme à cette instrumentalisation et le faire avec la plus grande fermeté.
Au sein du Mouvement du 20 février, on ne nie pas le maintien de la pression, mais on revendique le droit aux manifestions pacifiques et quand il y a échauffourées, on en rejette les torts sur les forces de l’ordre.
Un dialogue de sourds s’est installé. Les forces de l’ordre disent répondre aux provocations par la fermeté et les manifestants disent réagir à la répression des forces de l’ordre. L’inquiétante spirale ne s’arrête pas alors que le Conseiller du Roi, Mohamed Moatassim vient de confier aux partis (lundi 30 mai) la première mouture de la nouvelle Constitution dont il se murmure qu’elle va au-delà des attentes…
Le pays a de gros défis à affronter. La situation économique et financière est préoccupante. Et, malgré la conjoncture internationale et régionale tourmentée, le Maroc tente de poursuivre ses objectifs et sa politique des grands chantiers. Les assises de l’industrie, ce 31 mai, en attestent. Il n’est pas demandé à tous de faire comme le personnel de la RAM qui a décidé de refermer son cahier revendicatif jusqu’en janvier prochain. Mais les «manifs» tous azimuts auxquelles répondent les bastonnades systématiques commencent à inquiéter. Accélérer l’agenda politique y changera-t-il quelque chose ?