Sabri, 29 ans, est propriétaire et conducteur d’une navette du personnel. Ce jeune homme a décidé de divorcer, après 4 mois seulement de vie commune. Il en donne les raisons.
«Le revirement si rapide de ma situation amoureuse, j’en suis le premier à m’en trouver désarçonné. Il y a seulement quatre mois en arrière, ma dulcinée et moi roucoulions de bonheur, mais aujourd’hui, c’est déjà terminé. Mieux encore, je me sens libéré, enfin tranquille, sans complexes, ni remords et surtout sauvé in extrémis d’une faillite. J’avoue que ce fut la pire expérience que j’ai connue dans ma vie. Je ne suis pas prêt -et ce, pour longtemps, je crois-, de me laisser prendre dans les filets de quiconque. Je suis tellement écœuré que je suis prêt en toute honnêteté à le jurer sur ma vie, sur celle de mes parents, sur le Saint Coran et sur tous les Saints marabouts du Royaume.
Et croire que j’étais si déterminé, absolument convaincu -et j’insiste là-dessus-, parce que ma vie et mon comportement avaient changé et qu’il ne me manquait plus pour mon équilibre que le mariage! Il était loin mon passé de natif d’un petit patelin de la province qui s’était tiré de son bled où il n’avait aucune chance d’évoluer. Avec mon bac en poche, j’espérais continuer d’étudier, pour accéder à un niveau supérieur et devenir un notable. Malheureusement, cela ne s’est guère passé ainsi. N’étant pas habitué à gérer, comme un adulte responsable, mon emploi du temps universitaire, je me suis d’abord autorisé à sécher les cours. D’autant que j’étais l’ami le plus disponible de la terre, ne serait-ce que pour faire un tour de voiture avec tout camarade le souhaitant. Celui aussi qui était toujours partant pour faire la fête. Même sans moyens, ma présence était indispensable pour ma bonne humeur et sûrement plus pour mon physique très plaisant, attirant grand nombre de filles. Evidemment, c’est en parfaite inconscience que je plombais mon avenir.
Je plongeais inévitablement et au ralenti dans l’abîme de la totale dépravation. Je ne cessais de mentir à mes parents et à moi-même que la nouvelle année n’allait pas se passer comme celle qui venait de mourir. Il n’y a que la réussite d’un grand nombre de mes camarades qui fit enfin sonner mon dur réveil à la réalité. Tous fraîchement diplômés et recrus, ils affichaient la félicité de gagnants, alors que moi, je puais l’échec et la médiocrité. Je fus si dégoûté de ma personne que je ne retournai pas dans mon bled perdu. Une fois aux côtés des miens et surtout aux côtés de mon père, je repris peu à peu confiance en moi. Il me fit rencontrer des personnes de mon âge, ambitieuses, qui ont réussi à s’en sortir dans leur existence et sans grand cursus scolaire. C’est ainsi que moi aussi, j’allais devenir entrepreneur, ou plus exactement petit transporteur.
Cela fut possible grâce à la famille, à toutes les informations récoltées, à la promesse d’un donneur d’ordre. Je passais donc en premier mon permis de conduire. Ensuite, mon comptable, ami de la famille de surcroît, se chargea d’établir toutes les formalités requises pour l’obtention d’autorisations pour exercer l’activité de transporteur du personnel d’une entreprise et du crédit pour l’achat du véhicule requis. Dès lors, je m’attelais à mon job avec fierté, non sans fatigue. Rien ne m’importait plus que de payer mes traites tous les mois et je m’en sortais.
Tout se déroulait à merveille, pour moi, jusqu’à ce qu’il arriva ce maudit jour où je rencontrai cette jeune fille, dont je tombais follement amoureux. En imbécile heureux, je perdis la raison à vouloir dans les plus brefs délais me caser pour fonder une famille. Mes parents ne firent aucune objection à mes projets. Et de l’autre côté non plus. Nous célébrâmes trop rapidement notre mariage et nous nous installâmes dans un logement de location. L’enchantement du premier mois de vie commune, durant lequel je ne travaillais pas, se mua en un quotidien infernal impossible à supporter. D’abord, ma jeune épouse s’ennuyait à mourir toute seule à m’attendre. Elle ne cessait toutes les minutes de me harceler au téléphone. Elle ne comprenait pas que l’exercice de mon métier nécessitait une extrême vigilance. En plus, à dire vrai, il était plus qu’assommant de me sentir obligé de lui révéler mon circuit avec précision et de rester prisonnier de ses plates et interminables conversations. Et si ce n’était que cela, ma chère voulait que nous restions branchés par caméra interposée. Je lui avais fait plaisir une fois, mais un drame s’en est suivi à cause d’une passagère qu’elle avait vue me lancer quelques vannes. Je découvrais que ma femme était très jalouse et cela m’énervait. Ce n’était pas ses seuls défauts. Notre domicile n’était jamais entretenu, ni mes affaires, ni ma panse… alors qu’elle ne travaillait pas. Lorsque je déposais mon véhicule au garage et que je ne songeais qu’à rentrer pour me reposer, mon épouse m’accueillait avec une humeur des plus redoutables. Le repas infect qui m’attendait, je devais en plus le réchauffer moi-même et le manger tout seul. Je ne servais donc qu’à payer les factures et elles devenaient extrêmement lourdes. Je réalisais un peu trop tard que tous les défauts de ma conjointe étaient bien trop ancrés en elle; en parler était tout simplement inutile. Quant à moi, déjà, je ne supportais plus ses questionnaires, ses appels, son manque d’hygiène et aussi mes dépenses qui allaient, doucement mais sûrement, me conduire à la catastrophe. Je me faisais une tout autre idée de la vie de couple. Je rêvais d’harmonie, de complicité, de bien-être, de construire un avenir à deux. Rien de tout cela n’avait existé et je n’eus d’autre choix que de défaire nos liens. Je me débarrassais définitivement de ce pressentiment qu’un ciel était prêt à me tomber sur la tête et de mon moral malmené et trop souvent au ras des pâquerettes. Mon divorce fut aussi rapide que mon mariage. Soulagé de cet énorme poids, je comprenais qu’au final, les échecs, c’était toujours moi qui allais vers eux, mais que, désormais, un homme averti en vaut deux».
Mariem Bennani