Abdelmounim, 68 ans, à la retraite, est père de famille avec enfants et petits-enfants. Cet homme va se retrouver dans une situation dédaléenne avec un jeune couple arrogant. Des conseils altruistes, c’est certain, il n’en donnera plus jamais de sa vie…
«J’en suis encore à me demander ce qui m’avait pris ce jour-là à m’afficher volontairement paternaliste, avec de sombres abrutis trop imbus de leur pauvre petite personne. Je n’aurais jamais dû.
Je regrette amèrement de n’avoir pas détourné mon regard de ce bambin aux joues roses, tout mignon, que je voyais exposé au danger extrême par sa propre mère. Pour moi, à cet instant précis, ma conscience me dictait qu’il était de mon devoir de réagir pour la bonne cause. C’est de cette façon qu’a débuté cette sordide affaire.
Je me trouvais dans un supermarché à faire mes courses. Au rayon des laitages, s’offrait à moi une scène déplorable. Une très jeune femme à l’allure bien moderne s’activait à mordiller l’arrière d’un gobelet d’une boisson lactée. Elle s’acharnait avec les dents à la percer. Une fois sa laborieuse besogne achevée, elle tendit l’emballage perforé à son bébé manifestement furieux. Ce malheureux petit de deux ans environ stoppa immédiatement les sanglots, agrippa de ses petites mains le pot, puis se mit avidement à le suçoter pour en tirer le breuvage. Je n’avais jamais vu pareille horreur! Mon sang ne fit qu’un tour. Quelle folie que d’exposer son bébé à tant de microbes et de le faire soi-même! Terrifié, je crus bon d’aller arracher à l’enfant ce que je considérais comme étant nuisible pour sa santé. Puis, dans ma lancée, je me tournais vers la mère pour lui expliquer les raisons de mon geste et la gravité du sien.
De ma démarche philanthrope, il en résultera un épisode navrant. La jeune femme en question eut un comportement des plus bizarres. La mine déconfite, elle se mit à tonitruer des grossièretés à mon encontre. Elle vociférait à tue-tête, en boucle, que je n’avais pas le droit de toucher à son enfant. Que je me prenais pour qui de lui avoir adressé la parole et qu’en plus, je me permette de lui donner des ordres et des conseils… Que je n’étais qu’un sale type, un grossier personnage qui devrait s’occuper de ses oignons et de son aspect répugnant, en premier. Simultanément, l’enfant, comprenant que quelque chose virait au drame, se mit à pleurer, poussant des cris à percer les tympans. Apparaît également le mari, un violent sauvage qui, sans essayer de comprendre la situation, m’assena des coups de poings qui m’expédièrent sur les présentoirs. Blessé à la tête et à la hanche, mon sang déjà se répandait partout. Heureusement qu’un jeune homme l’avait retenu emprisonné dans ses bras musclés, sinon, je trépassais. Le couple en rage poursuivait en chœur les insultes. Ils juraient aussi vouloir m’étriper et m’arracher la langue et les yeux. Les responsables du magasin, alertés, n’avaient guère eu d’autre choix que d’appeler au plus vite la police et une ambulance pour moi. Bien plus tard, nous nous sommes retrouvés au poste de police pour une confrontation. A l’entrée du poste de police, je comprenais que le jeune couple continuait de m’en vouloir mortellement: ils fulminaient que leur vengeance à mon encontre serait terrible. Ma fille qui m’accompagnait avait eu le génie de filmer avec son portable une partie de leurs paroles. Ils répétaient vouloir me donner une leçon pour leur avoir manqué de respect et de les avoir traités de parents sales et irresponsables et que j’étais la cause du malheur dans lequel ils se trouvaient en ce moment. Aucune tentative de réconciliation à l’amiable n’était possible, bien évidemment. Ils me collaient un procès. Le pire était ce qui se trouvait dans leur déposition. La jeune femme m’accusait d’avoir tenté de la séduire. Face à son refus de m’adresser la parole, je m’en étais pris à son enfant en le bousculant de sa poussette. Ainsi toujours, selon ses dires, l’arrivée du mari m’avait poussé à aller me jeter sur les étals pour m’y faire moi-même des blessures. Effrayante constatation, je découvrais une amère réalité: aujourd’hui, par excès d’arrogance, de suffisance, certaines personnes mal éduquées sont vraiment capables du pire. De mon côté, n’ayant pour ma défense aucune preuve, ni témoignage, seulement la vérité à raconter et l’enregistrement vidéo de ma fille, je crois bien qu’ils vont réussir à me faire emprisonner. Mon avocat me dit qu’il y a de fortes chances que l’enregistrement de ma fille ne soit pas recevable par les juges. Il ne me reste donc que l’enregistrement de la surveillance vidéo du supermarché, mais je ne suis pas certain qu’il fonctionne et qu’on m’en délivre une copie. Cette dernière serait une pièce maîtresse pour m’innocenter. Je tente l’impossible pour me la procurer.
Est-ce seulement concevable de se retrouver molesté, puis traîné en justice pour avoir cru bon de donner les conseils d’hygiène les plus élémentaires à une mère?… Et pour le bien-être de son enfant?».
Mariem Bennani