Toufik, 54 ans, cadre en entreprise, est marié et père de trois enfants. Cet homme qui ne peut pas dire non à son épouse, raconte ce qu’il lui en coûte… Incroyable !
«Ah, quelle chance ils ont tous ces hommes qui arrivent à tenir tête, mener à la baguette, ou par le bout du nez leur épouse, leur compagne, ou leur petite amie! C’est à se demander si par hasard, eux, seraient nés avec tout un manuel de directives magiques imprimé dans leurs neurones? Peu importe, une chose est sûre, c’est qu’ils détiennent un secret! Regardez les news sur ce Simon, l’arnaqueur de Tinder. Vous savez, j’ai eu envie de crever le plafond quand j’ai vu le film qui retrace son portrait. C’est juste énorme! Et pour un gars comme moi, le béni-oui-oui de service, ça l’est encore plus.
Ma femme, je l’ai épousée, il y a 18 ans. J’avais 34 ans et elle 19 ans. Elle ne m’avait pas été imposée, je l’avais choisie tout seul. Je le précise bien au cas où l’on s’y méprendrait. Je m’étais amouraché d’elle sans la connaître. Je l’avais repérée dans ce café où chaque matin je prenais mon petit déjeuner avant d’aller bosser. Tous les jours, sauf le samedi et dimanche, le matin, je la retrouvais assise à la même place. Même si elle était accompagnée très souvent par trois ou quatre personnes, mes yeux restaient fixés sur elle et sur personne d’autre. Mon intérêt pour ma future épouse s’amplifiait de jour en jour. Son image hantait mes pensées, à tel point que j’avais fini par craquer en demandant des informations sur elle au garçon de café. Que voulez-vous, je n’avais pas d’autre choix ou moyen. Top ! Cette pipelette allait m’offrir tout ce que je demandais.
Dans ce qu’il m’avait rapporté, il n’y avait rien de méchant. Il connaissait ses parents, des fonctionnaires, de bons clients également du café. Quant à la jeune fille en question, c’était une étudiante dans un établissement privé de proximité. Ledit lieu était un point d’ancrage de beaucoup de ses camarades de classe. Je reconnais que le tableau brossé m’avait soulagé et concédé quelque courage aussi. Je ne m’étais donc pas trop attardé à tenter de l’approcher mais il avait fallu quand même espérer la trouver seule. Elle m’avait offert un merveilleux sourire quand je lui avais demandé de but en blanc son prénom et s’il était possible de la voir ailleurs. En même temps, je lui avais tendu ma carte de visite avec inscrit au dos mon numéro de téléphone personnel. Vous comprendrez que l’ambiance qui planait autour de nous, avec ses parents ou ses amies qui pouvaient débarquer sans avertir, ne me permettait pas de m’éterniser dans cette prise de contact.
Je fus très heureux et comblé d’avoir rapidement de ses nouvelles. Et c’est comme ça que nous avions pu mieux nous connaître jusqu’à ce que cela se termine par un mariage. Cette décision fut prise d’un commun accord et, malgré tout ce que je vais vous raconter, je ne l’ai jamais regretté.
Je devrais reconnaître aussi l’immense privilège d’avoir eu des beaux parents adorables et très compréhensifs qui s’étaient très bien entendus avec ma famille. Et heureusement, je touche du bois, cela dure encore. Une année après notre union, nous avions eu notre premier enfant et les deux autres étaient également vite arrivés. Pour bien s’occuper de nos enfants, ma femme avait décidé de ne jamais chercher à travailler. Et moi pour rien au monde, je le lui aurais reproché, parce que du boulot elle en avait déjà beaucoup et de trop même. En toute franchise, c’est que j’ai toujours préféré qu’il en soit ainsi pour un tas de raisons. Mais que je le veuille ou non, cela ne va pas durer…
Le rififi dans notre foyer allait pointer dès que nos enfants avaient tous les trois dépassé les dix ans. Dame mon épouse se plaignant que la routine l’accablait, m’avait proposé sa solution pour en être soulagée. Ce qui est sûr, c’est que depuis un moment j’avais remarqué cette mauvaise mine qu’elle affichait. Et puisque selon ses dires j’étais le détenteur de la baguette magique pour retrouver son bien-être, j’étais tout ouïe. J’avais dû supporter qu’elle me dresse sa vision, sur ce que pouvait nous rapporter à tous le magnifique projet d’ouvrir un salon de mise en beauté pour femmes. Mais avant, il fallait que j’accepte de l’inscrire dans une école pour qu’elle obtienne un diplôme. Et ensuite, que je prenne des crédits pour acheter et aménager un local commercial. Est-ce que je vous avais déjà prévenu que j’étais incapable de lui dire non?
Bref, mon accord donné, il n’y eut alors plus d’autre intérêt à la maison que le monde de la coiffure et de l’esthétique. Je ne vous raconte pas les taillades de tignasses que nous nous étions farcis les enfants et moi, sans parler des travaux pratiques de soins et make up sur nos tronches. Je peux dire que l’aventure n’était pas triste.
Il y avait eu aussi le démarrage du business avec tout un lot de mauvaises surprises dont je ne veux plus me souvenir. Bref, au bout d’un an, je n’avais toujours pas vu l’ombre d’un retour sur investissement. Et finalement, pour ne pas nous enliser encore plus dans les méandres de l’échec, nous avions dû fermer boutique. Bizarre mais vrai, je n’avais pas vu mon épouse s’inquiéter un brin pour l’équilibre financier de la famille. Au contraire, elle était revenue à la charge avec un nouveau projet. Cette fois, elle exigeait une inscription dans une école de stylisme modélisme pour se lancer correctement dans le secteur du vêtement traditionnel féminin qui, selon elle, rapportait gros. Bien évidemment, pour ma pomme toutes les transformations nécessaires à la réalisation de sa nouvelle lubie. Voyant qu’elle s’y était mise à fond, je n’osais pas lui faire de reproches sur les dépenses que cela allait engendrer.
Oui, comme d’habitude, j’avais dit amen mais, misère de misère, ce projet lui aussi avait connu un flop. Dans son local, nouvellement agencé par un décorateur (le seul qui avait accepté d’être payé à crédit), ma moitié ne recevait tous les jours que la visite de mouches… Ses seules et uniques clientes furent sa mère et sa sœur. Mon épouse, avait essayé de pénétrer le monde des influenceuses pour écouler la collection de ses tenues mais je préfère taire les détails de ce fiasco. Avait-elle eu des cheveux blancs, ou des rides au front de me savoir criblé de dettes au point de devoir solliciter l’aide de mes parents pour payer la scolarité des enfants? Pas le moins du monde, vu qu’elle allait me proposer d’en finir avec la couture pour faire de son atelier un lieu où l’on boit des jus de fruits et où l’on croque des tacos-frites. Bien sûr que j’avais encore dit oui, pourvu que les changements et mes déboires financiers cessent.
Au moins, dans cette activité, la caisse du soir n’était pas vide et mon épouse arrivait à payer ses fournisseurs et ses deux employés. Mais, comme toujours, il n’y avait que moi pour nous acquitter des traites de crédits et de toutes les autres factures. Je n’avais pas eu le temps d’être rassuré, de souffler, que mon épouse était venue un soir me dire qu’elle n’en pouvait plus des mauvaises odeurs de fritures sur elle et qu’elle souffrait atrocement de douleurs dans les jambes. Aussi qu’elle pensait qu’il serait plus judicieux pour nous de céder la gérance à quelqu’un d’autre. Ce fut fait à la vitesse grand «V», sauf qu’à peine avais-je eu le temps de m’imaginer tiré d’affaire, qu’il y a eu ce virus…
Je me souviendrai et ce, jusqu’à mon dernier souffle, combien avait été immense ma tourmente, fort heureusement les choses ont fini par être débloquées. Et vous n’allez certainement pas me croire, mais j’ai encore donné ma bénédiction à ma très chère épouse quand elle a dit vouloir s’investir cette fois dans le domaine de la vente de produits cosmétiques naturels, du terroir, mais qu’avant elle souhaitait poursuivre des études de naturopathie. Et, j’ai aussi accepté qu’elle s’arrête en plein élan d’apprentissage pour bifurquer vers la vente de bijoux sur internet. On verra si elle ne change pas d’avis, encore une fois, d’ici peu. En tout cas, elle sait qu’elle peut compter sur moi pour dire oui… Parce que je ne suis pas fou de dire non à ma femme, voyons !»
Mariem Bennani