Ratiba, 48 ans, commerçante et divorcée avec deux enfants à charge, se sent bien seule dans son combat de femme indépendante.
«Lorsque certaines de mes clientes trouvent que j’ai beaucoup de chance de ne pas être salariée et de ne pas avoir d’homme dans ma vie, cela me navre. Il me coûte de ne pas pouvoir leur confier ma détresse. Elles sont loin d’imaginer les difficultés auxquelles j’ai été exposée et celles que j’endure chaque jour, depuis l’achat de ce magasin qui est mon gagne-pain.
Il y a quelques années, j’avais choisi de placer l’indemnité de mon départ volontaire dans l’acquisition d’une petite boutique. Je l’avais fait sans l’accord de mon mari qui voulait que nous meublions toute notre maison nouvellement construite avec cet argent. Je trouvais son idée égoïste, puisque cette maison était la sienne. De plus, depuis notre mariage, je lui avais toujours remis la totalité de mon salaire, je n’avais droit qu’à une misère pour mes emplettes personnelles. C’est pour cette raison aussi qu’il me tenait tant à cœur d’être propriétaire d’un bien. Aussi, voulais-je calmer mon mental, parce que j’allais cesser de travailler et rester à la maison pour m’occuper de mes enfants.
Mais cette démarche avait été perçue par lui comme étant une monstrueuse traîtrise. Il coulait de source que la vie commune allait finir par devenir un supplice. Seule la rupture avait été notre salut. C’est fou ce dont un mari et un père est capable de tenter lorsque l’argent est en jeu. J’avais même accepté de divorcer à l’amiable, de prendre en charge mes enfants et de m’en aller vivre avec eux chez mes parents. Je ne peux pas dire que j’avais été accueillie à bras ouverts. Il était inconcevable dans la mentalité rigide et très traditionnaliste de ma mère que je puisse délaisser un mari avec une bonne situation et ma maison. Mon père, lui, avait été plus compréhensif et m’avait beaucoup soutenue moralement. Grâce à son aide, je n’avais pas trouvé le temps de m’apitoyer sur mon sort. Bien au contraire, il m’avait poussée, presque obligée, à me relever de ma défaite. Ainsi, j’avais immédiatement ouvert cette boutique sans même l’aménager. Le peu d’argent qui me restait m’avait servi à la remplir de marchandises que j’avais déposées à même le sol. J’avais même pu acheter une vieille petite auto d’occasion pour me déplacer et surtout aller dénicher les meilleurs fournisseurs inaccessibles avec les transports en commun. Tout n’était pas rose. J’ai eu de très mauvais moments à passer, parce qu’au début, les frais de scolarité de mes enfants engloutissaient une grande part de mes bénéfices. Je ne sais pas où je puisais cette rage de m’en sortir. J’avais réussi un exploit en fidélisant une clientèle lunatique, très frileuse. Cela n’a jamais été aussi facile que je le raconte, je me suis même habituée aux désenchantements de journées sans recettes, de lots de marchandises invendables, de chèques en bois. Mais le pire pour moi, c’est la présence et les agissements d’un voisin commerçant. Cet homme s’est installé depuis 3 ans. Son magasin est mitoyen du mien, il est mon concurrent direct. Depuis qu’il est là, nous sommes tous en guerre, les uns contre les autres, en proie à ses manigances machiavéliques. Le syndic de la galerie n’arrive pas à payer les charges. De ce fait, plusieurs fois dans l’année, nous sommes privés d’eau, d’électricité et de nettoyage. Il a longtemps soutenu que personne ne pouvait l’obliger à payer les charges. Il a fallu le traîner en justice pour le faire changer d’avis. Ensuite, il a fait fi des lois de la copropriété en s’octroyant le droit de boucher le passage dans la galerie avec des montagnes d’invendus. Il a étalé sa marchandise partout et jusque devant ma vitrine. Je suis la seule à lui avoir tenu tête en lui demandant de tout retirer, parce qu’il était en faute. Depuis, je suis son ennemie jurée. Il multiplie les insultes et les actes de barbarie à mon encontre. Il a défoncé à coups de pied et de marteau les portes des toilettes attenantes à mon magasin, un soir, alors que les boutiques étaient fermées et m’a accusée d’en être l’auteure. Les odeurs pestilentielles faisaient fuir mes clientes et moi même, je n’ai pas eu d’autre choix que de procéder aux réparations à mes frais. Ensuite, il a osé faire des graffitis sur tous les murs, écrivant à la bombe que j’étais une prostituée. Encore une fois, personne n’avait vu qui avait fait ça et j’étais dans l’obligation de faire le nécessaire pour effacer ces horreurs qui ont fait jaser vendeurs et vendeuses, ainsi que la clientèle. J’en ai été terriblement affectée au point de prendre la décision de ne plus payer les charges du syndic jusqu’à ce que tous les propriétaires des boutiques réagissent et fassent quelque chose pour qu’il arrête de me persécuter. Tous se sont rangés de son côté, contre moi. Ce qui m’a profondément touchée, c’est que même les femmes ne m’ont pas soutenue dans ma démarche. Depuis, il se sent vainqueur, me rit au nez, s’assemble avec les autres commerçants pour ne cesser de médire à mon sujet et comploter. Je m’étais défendu de le traîner en justice; je pensais qu’il finirait bien par se fatiguer à la longue et qu’il me ficherait la paix. Mais maintenant, la coupe est pleine. Cet individu doit être sévèrement puni par la loi et j’espère qu’au moins cette fois j’aurai un soutien en béton. Pourtant, je le sais, je ne dois pas trop rêver: je ne suis qu’une femme seule, divorcée, donc condamnée d’office…».
Mariem Bennani